L’apport de Savitri Devi
by Ernesto Milá
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A chaque fois que l’on a parlé de l’ésotérisme nazi, tôt ou tard est apparue la figure de Savitri Devi. A cela ont contribué puissamment deux motifs: en premier lieu, le fait qu’elle fut l’épouse d’un lettré appartenant à la caste supérieure, parfait connaisseur des doctrines védiques, ce qui, d’une façon ou d’une autre, accrédite une certaine préparation traditionnelle. En second lieu, la fidélité à ses convictions de jeunesse qui l’amenèrent à donner des conférences élogieuses pour la figure de Hitler jusqu’aux jours qui précédèrent sa mort (1982).
Savitri Devi apparaît dans tous les livres plus ou moins à scandale qui ont touché au thème néo-nazi. Elle participa à la création de l’Union mondiale nationale-socialiste [W.U.N.S.] et collabora avec divers groupes néo-nazis. Son ambition était de créer une organisation internationale «aryenne» capable de combattre les ennemis de l’aryanité. Elle exposa ses idées sur tous ces thèmes dans une multitude d’articles et de conférences généralement données devant des publics très minoritaires et prédisposés à accueillir favorablement sa prédication. Savitri Devi parvint à mieux cerner le phénomène hitlérien que M. Serrano. Ainsi, par exemple, alors que celui-ci affirme que Hitler était une manifestation de Vishnou, Savitri Devi dit avec plus de prudence:
Adolf Hitler n’était pas Kalkî — bien qu’il ait été, de même, essentiellement parlant, que l’antique Rama Chandra, ou que le Krishna historique, ou que Siegfried, ou que le Prophète Mahomet, le Chef d’une vraie «guerre sainte» (c’est-à-dire d’un combat incessant contre les Forces de désintégration; contre les Forces de l’abîme). Il était, comme tout grand combattant contre le courant du Temps, un Précurseur de Kalkî. Il était — toujours quant à son essence — l’Empereur de la Caverne. Avec lui, celui-ci est réapparu, intensément éveillé et en armes, comme il était réapparu déjà sous la figure de divers grands chefs allemands, en particulier de Frédéric II de Prusse, qu’Adolf Hitler vénérait tant. Mais ce n’était pas là sa dernière et définitive réapparition en ce cycle.» [Souvenirs et réflexions d’une aryenne, 1976]
Les choses étant ainsi posées, Savitri Devi considère comme logique la défaite du nazisme et la fin de Hitler: son heure n’a pas encore sonné; quand il a pris le pouvoir, le cycle n’était pas arrivé à son terme, aussi un mouvement victorieux ne pouvait se produire pour remonter le courant de la décadence. Hitler était dramatiquement prédestiné à l’échec, parce que l’heure de la fin du Kali-Yuga n’avait pas encore sonné. Dans ce sens, son interprétation cyclique est correcte. Le Führer, s’étant fondé sur la cyclologie fabriquée par Hörbiger et ne correspondant pas à celle traditionnelle, a peut-être cru en la possibilité d’une victoire finale en accord avec les lois cycliques du cosmos que Hörbiger se vantait d’avoir découvertes. Mais ce n’était que calcul erroné: l’échec final montre qu’il en fut ainsi.
L’avantage dont dispose Savitri Devi sur d’autres spécialistes de l’ésotérisme nazi réside en ce qu’elle avait reçu une formation traditionnelle, et qu’ainsi elle donnait la prééminence aux textes sacrés de la Tradition. Le point de départ étant donc «orthodoxe», Savitri Devi n’est pas pour autant affranchie de quelques «distorsions» dues à son admiration qui outrepasse toute raison pour la figure de Hitler. En effet, Savitri Devi était une hitlérienne fanatique et ce fanatisme gâte et déforme parfois sa formation traditionnelle, oblitérant la validité de ses conclusions.
En particulier, l’œuvre de Savitri Devi souffre d’une appréciation erronée du problème racial. Elle ignore que, lorsque Hitler parlait de la race aryenne, ce qu’il désignait par là, c’étaient les peuples germaniques, et cela est manifeste aussi, bien que de façon plus atténuée que chez Hitler, chez Rosenberg lui-même. Le national-socialisme, en dehors d’une quelconque veine occultiste, fut avant tout une forme de pangermanisme qui, tout au plus, vers la fin de la guerre et contraint en partie par l’état du conflit, dut «s’ouvrir» en autorisant la formation de contingents de volontaires de pays aryens et non aryens.
Même quand Savitri Devi fait une esquisse du système des castes en Inde, elle ne semble pas comprendre exactement son fondement. Il serait peut-être utile de citer à ce sujet l’essai lumineux de Frithjof Schuon, Castes et Races: «(...) La race est une forme, la caste un esprit», pose-t-il au commencement de la partie «Le sens des races». Mais sans entrer dans des considérations sur le système des castes, il est évident que Hitler le détruisait implicitement quand il écrivait dans Mein Kampf qu’«être balayeur dans le Reich est plus honorable que d’être monarque d’une nation étrangère». Cela étant, l’appréciation de Savitri Devi, quand elle nous dit — citant un brahmane — que Hitler voulait «restituer le système des castes et l’étendre au monde entier», n’exprime, semble-t-il, qu’une illusion.
L’origine du système des castes n’est pas une simple séparation raciale; il s’apparente au concept aryen de la victoire et de la vie ante et post-mortem. Dans la mesure où les victorieux s’opposent à d’autres peuples tout au long de la guerre et dans la mesure, surtout, où la victoire revient à ceux qui disposent d’une puissance surhumaine et transcendante, ils se superposent aux vaincus et se stratifient en castes, dont chacune assume une fonction déterminée, qui corresponde à ses caractéristiques intérieures dominantes. Le thème racial dans la formation des castes est quelque chose d’accessoire; c’est seulement a posteriori qu’il se trouve qu’une race — les tribus dravidiennes — forme les castes inférieures, ou les hors-caste, et qu’une autre race, les Aryens, forme les castes supérieures.
Peut-on trouver quelque chose de cela dans le national-socialisme? Pour y découvrir des éléments ayant un lointain rapport avec cette thèse, il faut faire un effort de compréhension historique. Par exemple, pour la reconstruction du système des castes, il fallait une éducation non pas égalitaire mais diversifiée, adaptée à l’esprit et aux exigences du caractère de chacune des castes. De fait, on trouvait quelque chose de cela dans les SS. Là, qu’en fussent ou non conscients ceux qui le promurent, se construisit une véritable «caste guerrière». De même, dans le «Front du Travail», on pouvait penser que se formait une caste de «prolétaires» (qu’on nous passe l’expression: non pas de prolétaires au sens moderne du terme, mais de producteurs maîtres de la force de leur travail). En tout cas, il ne faut pas oublier que la composante dominante au sein du national-socialisme était l’élément guerrier: comme on le sait, les aristocraties guerrières furent à l’origine du phénomène du «titanisme»; aussi, si on désire donner à l’hitlérisme un qualificatif adéquat, il faut choisir celui de «titanesque».
L’un des aspects les plus contradictoires du national-socialisme fut cette double tendance; d’une part, égalisatrice et niveleuse (grandes manifestations dans lesquelles le principe de la personnalité se diluait dans les masses océaniques et uniformisées, orgueil égalitaire d’appartenance à une même nation, etc.) et, d’autre part, encline à créer une atmosphère guerrière et «titanesque».
Une autre découverte juste de Savitri Devi, c’est d’avoir localisé le centre d’influence traditionaliste au sein du régime nazi: elle voit dans l’Ahnenerbe le «dépositaire de la tradition». Et, en cela, elle a raison, comme elle a raison de ne pas vouloir aventurer des hypothèses sur l’ésotérisme de la Loge Thulé dont les rituels ne sont pas clairs pour elle ... Et elle ajoute, comme preuve de sincérité: «Il est impossible de dire jusqu’à quel point la Société Thulé était en possession de cet héritage inestimable venu des temps ...» [op. cité]
Ainsi, alors que Miguel Serrano est enclin à tomber dans des lieux communs occultistes de la littérature de consommation, Savitri Devi a parfaitement conscience du péril que supposent les sectes antitraditionnelles. Peu importe qu’elle considère le théosophisme et le mouvement de Rabindranath Tagore comme exclus de la tradition hindoue seulement parce qu’ils se sont montrés anti-hitlériens; ce qui compte, c’est qu’elle les ait identifiés comme des forces contre-initiatiques.
Cette femme, Savitri Devi, née à Lyon le 30 septembre 1905, se rendit en Inde où elle se maria avec le brahmane Mukherji quand celui-ci publiait la revue The New Mercury, soutenu par le consulat allemand à Madras. Mukherji reçut les félicitations des fonctionnaires du consulat allemand et figura parmi les partisans de Subas Chandra Bose, héros de l’Inde populaire encore de nos jours, qui offrit ses services aux Japonais. Quand son mari mourut, elle revint en Europe, travaillant comme enseignante dans une école à Montbrison, de 1960 à 1969. Puis elle revint en Inde, et finalement s’éteignit en Europe en 1982. La vue très affaiblie et en mauvaise santé, elle passa ses dernières années en France, en Allemagne (d’où elle fut expulsée pour avoir diffusé des idées nazies), et en Angleterre, où elle mourut alors qu’elle attendait le visa pour se rendre aux Etats-Unis et y donner un cycle de conférences organisées par des groupes néo-nazis yankees. C’est là que furent envoyées ses cendres.
Le bilan final des travaux de Savitri Devi est évidemment plus positif que celui des œuvres de Miguel Serrano; il y a chez elle une meilleure formation traditionnelle, moins de tendances occultistes, peut-être aussi un peu plus de sincérité. Savitri Devi ne prétend jamais parler ex cathedra ni disposer de maîtres occultes qui communiquent avec Hitler «en astral»; mais, finalement, chez tous deux existe une admiration inconditionnelle et irrationnelle pour Adolf Hitler, admiration qui, dans le cas de Savitri Devi, lui fait souvent prendre ses désirs pour des réalités
Ce texteest extrait du livre du Prof. Ernesto Milà, Nazisme et ésotérisme, Pardès 1990.
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