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III

ANTHROPOCENTRISME ET INTOLERANCE

Gloire au Christ! les bûchers luisent, flambeaux hurlants;
La chair se fend, s’embrase aux os des hérétigues,
Et de rouges ruisseaux sur les charbons brûlants
Fument sous les cieux noirs au bruit des saints cantiques
!”
Leconte de Lisle, (L’Agonie d’un saint ; Poèmes Barbares).

Je te l’ai dit, et le répète, — car on ne saurait trop le répéter : “Défais-toi de la superstition de “l’homme”, ou rends grâce aux Dieux immortels si tu en es par nature libéré ; si “l’homme”, en tant que tel, ne t’intéresse pas ; si seul la Perfection t’intéresse et si tu n’aimes l’homme que dans la mesure où il se rapproche, — individuellement et collectivement — du type idéal de la Race ; dans la mesure où, être d’un jour, il reflète ce qui est éternel”.

As-tu assez médité sur l’histoire du monde pour avoir remarqué un fait déroutant, à savoir que peu de gens ont péché plus odieusement contre les hommes que ceux qui les aimaient le plus, et voulaient, avec le plus d’obstination, “faire leur bonheur” (fût-ce contre leur gré), soit dans ce monde, soit dans un Au-delà auquel ils croyaient fermement ? Nietzsche, peut-être le seul très grand maître de la pensée que l’Occident ait produit en marge du Christianisme, l’a remarqué, lui. “Les Chrétiens ne nous aiment plus assez”, dit-il, “pour nous brûler vifs sur les places publiques”1.

On a, en effet, beaucoup parlé des horreurs commises par l’Eglise de Rome, au nom de la défense de l’orthodoxie chrétienne. Ce qu’on a presque toujours oublié de dire, c’est que la Sainte Inquisition, organe de cette Eglise, agissait par amour. Elle croyait — comme tous les bons Catholiques du douzième, treizième, ou même dix-septième siècle — que hors de l’Eglise, il n’y avait pas de salut; que l’individu qui quittait la voie rigide du dogme, et cessait par là d’être un fidèle, allait, à sa mort, droit en enfer. Et elle savait que les hommes, inclinés


1. Dans “Jenseits von Gut und Böse.”

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au péché depuis la désobéissance d’Adam, suivent les mauvais exemples avec beaucoup plus de promptitude que les bons ; que l’hérétique était donc un danger public, — une “brebis galeuse qu’il fallait, au cas ou elle refusait la guérison offerte, c’est-à-dire l’abjuration de ses erreurs, la pénitence et le retour au sein du troupeau béni, retrancher à tout prix de l’ensemble de la population. Et plus la séquelle du procès d’hérésie serait spectaculaire et terrible, et moins les âmes simples, qui sont la majorité, seraient tentées de se rebeller à leur tour contre l’autorité de l’Eglise; moins elles risqueraient d’être à jamais séparées de Dieu. La crainte de Dieu, qui est, dit-on, le commencement de la sagesse, se confondrait ici avec la crainte du feu visible, avec la crainte de la douleur physique, chez celui (ou celle) qui aurait, au moins une fois, assisté au “brûlement” d’un hérétique et vu et entendu l’homme se débattre dans ses liens et hurler au milieu des flammes.

Je crois, quant à moi, sincérement, que les Pères Inquisiteurs n’étaient pas des monstres, et qu’il leur en coûtait, devant un refus formel d’abjurer, d’avoir à livrer un être humain “au bras séculier”, sachant quel supplice le dit “bras séculier” lui. réservait. Cette décision, qui parait aujourd’hui, à tant de gens, si “contraire à l’amour chrétien”, leur était toutefois inspirée par l’amour chrétien tel qu’ils l’entendaient, compte tenu de leur interprétation de passages des Ecritures concernant l’Au-delà. Ils aimaient trop les hommes, c’est-à-dire les âmes humaines, pour pouvior accepter le risque de les savoir en danger de perdition, au contact des “maîtres d’erreurs”. S’il existe quelque chose contre quoi on doive se révolter à la pensée des horreurs de la Sainte Inquisition, (à moins qu’on ne soit entièrement d’accord avec celle-ci, — après tout, pourquoi pas, si on a la même foi qu’elle ?) ce n’est certes pas la “méchanceté” des pères inquisiteurs, mais bien cet amour inconditionné de tous les hommes, y compris des hérétiques et des mécréants (à ramener, ou à amener à Jésus-Christ) ; cet amour de tous les hommes pour la seule raison qu’ils sont considérés comme les seuls vivants “ayant une âme immortelle créée à l’image de Dieu”, amour dont les membres du Saint Office étaient, avec tous, ou presque tous les Chrétiens de leur époque, les premières victimes.

A celui qui n’aime pas particulièrement les hommes, la destinée de ceux-ci, — salut ou perdition, dans un hypothétique

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Au-delà, — est matière d’indifférence. La soi-disant “tolérance” des gens de notre époque n’est, en réalité, qu’une absence totale d’intérêt aux questions de dogme, en particulier, et aux questions métaphysiques en général ; un scepticisme profond en ce qui concerne l’Au-delà, — et une indifférence de plus en plus répandue (bien que de moins en moins avouée) à l’égard des hommes. A tout prendre, les hommes ne s’en portent pas plus mal: non seulement n’y a-t-il plus de bûchers sur les places publiques, dans les pays de civilisation chrétienne, catholiques ou réformés, (dans les pays chrétiens soumis à l’Eglise Orthodoxe d’Orient, il n’y en eut jamais), mais une excommunication majeure, lancée contre un individu par quelqu’Eglise que ce soit, n’aurait, en Occident, aucune conséquense sociale: l’excommunié continuerait à vivre le lendemain comme il vivait la veille. Personne ne s’apercevrait qu’il a été excommunié (sauf peut-être les dévotes de sa paroisse).

Si, à une date aussi récente que 1853, — il y a un peu plus d’un siècle, — un moine excommunié, Théophile Kaïris, a pu être incarcéré par ordre du gouvernement grec, et mourir en prison, ce n’est pas que les Hellènes étaient, à cette époque, “moins tolérants” que leurs frères de France ou d’Allemagne. C’est seulement que la Grèce n’était pas alors, (comme elle n’est pas davantage aujourd’hui) l’Occident, et que l’enseignement de l’Eglise Orthodoxe d’Orient y était (comme il y est toujours) tenu pour “religion nationale” — intangible parce que “nationale”, comme celui de l’Eglise romaine l’est en Espagne, en Irlande libre, ou . . . en Pologne, malgré le Communisme imposé au peuple, — ce qui est une contradiction vivante, étant donné le caractère largement humain et “non de ce monde” de tout vrai Christianisme.

* * *

Il n’en demeure pas moins vrai que, partout où l’on affirme l’amour envers tous les hommes, il y a intolérance à l’égard de tous ceux d’entre eux qui concoivent le “bonheur de l’homme” autrement que le philanthrope qui les juge, ou qui déclarent ouvertement ne pas se soucier de ce bonheur.

Et cela n’est pas vrai seulement de la recherche de la béatitude dans un Au-delà sur lequel, faute de connaissance précise, il est permis de discuter indéfiniment. Cela l’est aussi de la poursuite

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du bonheur en ce bas monde. On pourrait croire que cette notion-là est, elle au moins, assez claire. N’est-elle pas tirée de l’expérience de tous les jours ? Or, justement, l’expérience de tous les jours, même alors qu’elle paraît identique, ne suggère pas à tous les mêmes conclusions. Un Bédouin qui souffre de la faim et un chômeur européen (ou un vieux, n’arrivant pas à vivre de sa minable petite retraite) ne réagiront pas de la même façon à leur commune misère. Le premier s’y résignera sans murmure. “C’était”, pensera-t-il, “la volonté d’Allah”. Le second dira que c’est “la faute du gouvernement”, et ne se résignera pas. La solitude complète, qui parait à tant de gens urne torture, semble à d’autres un état très supportable, et à quelques-uns, une véritable bénédiction. Il n’existe pas de “minimum universel de bien-être physique, et surtout moral, en deçà duquel aucun homme ne peut être heureux. On a vu des gens — rares, il est vrai — garder jusque dans les supplices une sérénité qui semblait impossible. Et c’est dans les “sociétés de consommation” les plus prospères que les suicides de jeunes sont, statistiquement, les plus nombreux, — plus de treize mille par an, par exemple, en Allemagne fédérale, où rien ne manque . . . matériellement.

Les dévots du bonheur humain sur terre, — qui, malgré ces faits, sont légions — sont tout aussi intolérants que les amis de leur prochain soucieux, avant tout, du salut des âmes. Malheur à celui qui ne pense pas comme eux ! Malheur à celui aux yeux de qui l’individu n’est rien, s’ils croient, eux, qu’il est tout et que son “bonheur” ou son plaisir, passe avant tout ! Malheur à celui aux yeux de qui le progrès technique, appliqué à la vie quotidienne, n’est pas un critère de valeur collective, s’ils y voient, eux, la seule base de discrimination entre les peuples ! Et surtout, malheur à celui qui proclame que certains individus, — dont lui-méme — voire certains peuples, ont plus besoin de foi, d’enthousiasme, de fanatisme, que de confort matériel, fût-ce du “minimum nécessaire” de nourriture corporelle, s’ils se trouvent être, eux, les défenseurs de l’homme, de ceux-là que tout fanatisme, et surtout tout fanatisme guerrier, effraye ! Il n’y a, pour comprendre combien cela est vrai, qu’à considérer la façon dont les Marxistes qui, théoriquement, élèvent si haut “tous les travailleurs”, traitent les ouvriers et les paysans, aussi bien que les intellectuels, qui ne sont pas de leur bord, — à fortiori ceux qui font mine de s’opposer activement à leur système de “valeurs”, ou ne

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serait-ce qu’à leur administration, au nom de ces “valeurs” elles-mêmes. Il n’y a qu’à voir comment tant de Chrétiens, théoriquement humanitaires, traitent, aussitôt qu’ils sont nantis de quelque pouvoir, les Communistes, leurs frères. Il n’y a, surtout, qu’à se souvenir comment les combattants pour la cause de “l’homme”, aussi bien Marxistes que Chrétiens ou Déistes, et Francs-maçons de tout poil, nous ont traités toutes les fois qu’ils l’ont pu, nous, les détracteurs avoués de toute philosophie centrée sur l’homme et non sur la vie, nous qu’ils accusent de “crimes contre l’humanité”, comme si nous avions la monopole de la violence. (Ces gens n’ont pas, apparemment, le sens de l’ironie.)

Si l’on convient de décorer du nom de tolérance toute non-intervention dans les affaires d’autrui, il y a deux attitudes qui méritent cette appellation : celle de l’indifférent, étranger aux problèmes qui préoccupent d’autres hommes; de celui à qui certains domaines de l’expérience humaine, du sentiment ou de la pensée, sont littéralement fermés, et qui n’aime assez aucun individu ou groupe d’individus pour chercher à se placer à son point de vue et à le comprendre; et celle de l’homme qui croit à la diversité indéfinie des races humaines, des peuples, des personnes (fussent-elles souvent de même race) et qui s’efforce de comprendre toutes les cultures, toutes les religions et, dans la mesure où cela est possible, toutes les psychologies individuelles, parce que ce sont là des manifestations de la Vie. La première est l’attitude d’un nombre croissant de citoyens de nos “sociétés de consommation”, que la métaphysique n’intéresse pas, que la politique laisse “froids”, que les activités du voisin ne, concernent pas . . . à moins, bien entendu, qu’elles ne dérangent leur train de vie et ne suppriment quelques uns le leurs petits plaisirs. Ce n’est là de la “tolérance” que par un abus de langage. En bon français savoureux, cela s’appelle du je-m’enfoutisme. La seconde — la vraie tolérance — est celle de Ramakrishna et de tous les Hindous en matière religieuse. C’est celle de l’Antiquité, aussi bien aryenne que sémitique, amérindienne, extrême-orientale ou océanienne. C’est celle de tous les peuples d’avant l’ère chrétienne, sauf un seul : le peuple juif. (Et cette exception tragique, dont je reparlerai, ne semble s’être affirmée qu’assez tard dans l’histoire de ce peuple, par ailleurs insignifiant). C’est celle qui, malgré ce changement graduel

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de mentalité qui accompagne, au cours d’un même cycle temporel, le passage d’un âge au suivant et maigre la dégradation humaine du début à la fin de chaque âge, persiste plus ou moins, presque partout, jusqu’à la seconde moitié, environ, du dernier âge, — de celui que la tradition hindoue appelle Kali Yuga, ou Age Sombre.

Certes, l’exaltation de l’homme, quelle que soit sa race et sa valeur personnelle, au-dessus de tout ce qui vit, remonte à la nuit des temps. Mais tant que persiste, chez la vaste majorité des peuples, assez de sagesse antique pour que chacun admette qu’il y a des différences fondamentales entre lui et d’autres, et pour que, loin de haïr ces différences, il les observe avec sympathie, au moins avec curiosité, on peut dire que notre cycle n’est pas encore entré dans sa phase dernière, celle qui le conduira immanquablement au chaos. Ou, pour exprimer mon idée dans une formule brève et suffisamment vigoureuse pour retenir l’attention, je dirai que la superstition de “l’homme” amorce la décadence ; et que celle de l’uniformité humaine — uniformité des “besoins primordiaux”, des “devoirs”, etc. . . . — la précipite. Il est d’ailleurs certain que la seconde superstition procède de la première; qu’elle est impensable sans elle. Il suffirait, pour s’en convaincre, de remarquer que les religions (et les philosophies) les plus tolérantes sont précisément celles qui ne sont pas centrées sur l’homme, mais traitent celui-ci comme une manifestation de la vie, un produit de la Nature parmi tant d’autres.

L’Hindouisme (si l’on en excepte quelques sectes) a cette attitude. Le Bouddhisme aussi. La légende veut que le Bouddha ait, déjà dans son enfance, réssuscité un cygne, tué par le mauvais Dêvadatta. Elle raconte aussi que, “dans une de ses vies antérieures”, étant ascète dans la forêt, il se dépouilla volontairement du rayonnement qui suffisait à le protéger des bêtes féroces, afin d’offrir son propre corps en pâture à une pauvre tigresse affermée — et à ses petits. Elle ajoute que, tandis que les ongles et les dents avides le déchiraient, son cœur débordait d’amour envers l’énorme belle “chatte” et les bébés félins.

Il est à noter qu’aucun miracle, même aucune bonne action — et à plus forte raison aucun acte d’abnégation tel que celui-ci — en faveur d’une bête, n’a été attribué par la tradition chrétienne à Jésus de Nazareth. Il est aussi à noter que, de

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toutes les grandes religions internationales, seul le Bouddhisme s’est propagé sans violence. (L’Hindouisme aussi, que professent tant de races différentes. Mais je l’ai déjà dit : l’Hindouisme n’est pas “une religion”, mais une civilisation). Le Christianisme, lui, s’est répandu par la violence en pays germaniques, et slaves ; par la bribe, dans le bassin de la Méditerranée, où le nombre des Chrétiens est soudain monté en flèche dès que la doctrine, jusqu’alors méprisée, fut proclamée “religion d’État” par l’Empereur Constantin, et que chacun servait sa propre carrière en y adhérant.

* * *

On ne saurait trop le répéter, le souligner : l’intolérance, religieuse ou philosophique, est le propre des dévots de “l’homme” indépendemment de toute considération de race ou de personnalité. En conséquence de quoi, ce sont les vrais racistes qui font preuve de la plus grande tolérance.

Sans doute exigent-ils de leurs compagnons d’armes une fidélité absolue à la foi commune. Ce n’est pas là “de l’intolérance” ; c’est une question d’ordre. Chacun doit savoir ce qu’il veut, et ne pas adhérer à une doctrine pour faire ensuite des réserves à son égard. Celui qui a des objections à formuler — et surtout, des objections concernant les valeurs de base de la doctrine — n’a qu’à demeurer hors de la communauté des fidèles, et ne pas prétendre être le camarade de ceux dont il ne partage pas la foi entièrement. Sans doute aussi le raciste est-il prêt à combattre les hommes qui agissent, voire même qui pensent, en tant qu’ennemis de sa race. Mais il ne les combat pas en vue de les changer, de les convertir. S’ils restent à leur place, et cessent de s’opposer à lui et à ses frères de sang, il les laisse tranquilles — car ils ne l’intéressent pas assez pour qu’il prenne souci de leur sort, en ce monde ou en un autre.

Dans le troisième Livre de ses “Essais”, Montaigne déplore que, conquises pour conquises, les Amériques ne l’aient pas été “par les Grecs ou les Romains” plutôt que par les Espagnols et les Portugais. Il pense que le Nouveau Monde n’aurait alors jamais connu les horreurs commises en vue de sa conversion à une religion considérée par les conquérants comme la “seule” bonne, la seule vraie. Ce qu’il ne dit pas, ce que, peut-être, il

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n’avait pas saisi, c’est que ce sont justement l’absence de racisme et l’amour de “l’homme” qui sont à la racine de ces horreurs. Les Grecs et les Romains — et tous les peuples de l’Antiquité — étaient racistes, au moins à l’époque de leur grandeur. En tant que tels ils trouvaient tout naturel que des peuples différents aient différents Dieux, et des coutumes différentes. Ils ne se mêlaient pas d’imposer aux vaincus leurs propres Dieux et leurs coutumes, sous peine d’extermination. Même les Juifs ne faisaient pas cela. Ils méprisaient tellement tous ceux qui sacrifiaient à d’autres Dieux qu’Iaweh, qu’ils se contentaient — sur l’ordre de ce Dieu, dit la Bible, — de les exterminer sans chercher à les convertir. Ils leur imposaient la terreur de la guerre — non cette “terreur spirituelle” qui, comme l’écrit si bien Adolf Hitler, “est entrée pour la première fois dans le Monde Antique, jusqu’alors beaucoup plus libre que le nôtre, avec l’apparition du Christianisme”1. Les Espagnols, les Portugais, étaient Chrétiens. Ils imposèrent aux Amériques la terreur de la guerre et la terreur spirituelle.

Qu’auraient fait, à leur place, des Grecs de l’ancienne Grèce, ou des Romains ou d’autres gens de race aryenne qui auraient eu, au seizième siècle, l’esprit de nos racistes du vingtième ? Ils auraient, sans nul doute, conquis les pays ; ils les auraient exploités économiquement. Mais ils auraient laissé aux Aztèques, aux Tlascaltèques, aux Mayas, etc., ainsi qu’aux peuples du Pérou, leurs Dieux et leurs coutumes. Bien plus : ils auraient exploité à fond la croyance de ces peuples en un Dieu “blanc et barbu”, civilisateur de leur pays, qui, après avoir quitté leurs ancêtres bien des siècles auparavant, devait revenir de l’Orient, régner sur eux, — leurs descendants, — avec ses compagnons, comme lui de teint clair. Leurs chefs auraient agi, et ordonné à leurs soldats d’agir, de telle sorte que les indigènes les prissent effectivement pour le Dieu Quetzalcohuatl et son armée2. Ils auraient respecté les temples — au lieu de les détruire et de bâtir sur leurs ruines les monuments d’un culte étranger. Ils auraient été durs, certes — comme le sont tous les conquérants. Ils n’auraient pas été sacrilèges. Ils n’auraient pas été les destructeurs de civilisations qui, même avec leurs faiblesses, valaient la leur.


1. “Mein Kampf,” édition allemande de 1935, p. 507.
2. Ou, au Pérou, pour le Dieu Viracocha et la sienne. Les Péruviens avaient d’ailleurs, au début, appelé les Espagnols des “Viracochas.”

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Les Romains, si tolérants en matière de religion, ont, eux, à l’occasion, persécuté les fidèles de certains cultes. La religion des Druides a été, par exemple, interdite dans les Gaules par l’Empereur Claude. Et il y a eu ces persécutions des premiers Chrétiens, dont on n’a que trop parlé, sans toujours savoir ce qu’on disait. Mais toutes ces mesures de répression étaient d’ordre purement politique, non doctrinal — ni éthique. C’est en tant que chefs de la résistance clandestine des Celtes contre la domination romaine, et non en tant que prêtres d’un culte qui pouvait paraître insolite aux conquérants, que les Druides ont été dépouillés de leurs privilèges (en particulier, de leur monopole de l’enseignement des jeunes) et poursuivis. C’est en tant que mauvais citoyens, qui refusaient de rendre hommage à l’Empereur-Dieu, incarnation de l’État, et non en tant que dévots d’un Dieu particulier, que les Chrétiens furent, persécutés. Si, au seizième siècle, des conquérants Indo-européens, fidèles à l’esprit de tolérance qui a toujours caractérisé leur race, s’étaient rendus maîtres des Amériques en exploitant la croyance indigène au retour du Dieu blanc, Quetzalcohuatl1, il n’y aurait eu aucune résistance à leur domination, donc aucune occasion de persécutions de la nature de celles que je viens de rappeler. Non seulement les peuples du Nouveau Monde n’auraient-ils jamais connu les atrocitiés de la Sainte Inquisition, mais leurs écrits, (pour ce qui est de ceux qui, comme les Mayas et les Aztèques, en possédaient) et leurs monuments auraient subsisté. Et dans Ténochtitlan, devenue au cours des siècles une des grandes capitales du monde, les imposantes pyramides à étages — intactes — domineraient aujourd’hui les rues modernes. Et les palais et les forteresses de Cuzco feraient encore l’admiration des visiteurs. Et les religions solaires et guerrières des peuples du Mexique et du Pérou, tout en évoluant, probablement, au contact de celle des vainqueurs, au moins dans leurs formes extérieures, auraient gardé leurs principes de base, et continué de transmettre, de génération en génération, les vérités ésotériques éternelles sous leur symbolisme particulier. En d’autres termes, se seraient installées en Amérique centrale et dans l’ancien Empire des Incas, des dynasties aryennes, dont les rapports avec les pays conquis auraient été plus ou moins semblables à ceux qu’avaient


1. Ou Viracocha, au Pérou.

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autrefois entretenus, avec l’aristocratie et les peuples de l’Inde, les dynasties grecques qui, du troisième siècle avant au premier après l’ère chrétienne, avaient régné sur ce qui est aujourd’hui l’Afghanistan, le Sindh et le Punjab.

Malheureusement, l’Europe elle-même avait, au seizième siècle, depuis longtemps succombé à cet esprit d’intolérance qu’elle avait, avec le Christianisme, reçu des Juifs. L’histoire des guerres de religion en fait foi, en Allemagne comme en France. Et quant au vieux sang helléno-égéen — le sang même du “Monde antique”, autrefois si tolérant — il était, gagné au service de l’Eglise romaine, représenté, parmi les conquérants du Pérou, en la personne de Pedro de Candia, aventurier crétois, l’un des plus impitoyables compagnons de François Pizarre.

On me dira que les cruautés commises au nom du salut des âmes, par les Espagnols dans leurs colonies (et par les Portugais dans les leurs : l’Inquisition fut, à Goa, peut-être pire encore qu’au Mexique, ce qui n’est pas peu dire !) ne sont pas plus imputables au vrai Christianisme, que ne le sont, au racisme aryen tel que l’entendait le Führer, les actes de violence inutiles, accomplis sans ordres, au cours de la Seconde guerre mondiale, par certains hommes revêtus d’uniformes allemands. On me diraque ni Cortez ni Pizarre ni leurs compagnons, ni les Inquisiteurs de Goa ou d’Europe, ni ceux qui approuvaient leur action, n’aimaient l’homme comme le Christ aurait voulu que ses disciples l’aimassent.

C’est vrai. Ces gens-là n’étaient pas des humanitaires. Et je n’ai jamais prétendu qu’ils l’aient été. Mais ils étaient des humanistes, non au sens étroit d”érudits”, mais au sens large : d’hommes pour qui l’homme était, dans le monde visible tout au moins, la valeur suprême. C’étaient, de toute façon, des gens qui baignaient dans l’atmosphère d’une civilisation centrée sur le culte de “l’homme”, qu’ils ne dénonçaient ni ne combattaient, — bien au contraire ! Ils n’étaient pas forcément, — ils étaient même très rarement — bons envers l’être humain des autres races (voire de la leur !) comme Jésus voulait que chacun le fût. Mais jusque dans leurs pires excès, ils vénéraient en lui, fût-ce sans pour autant l’aimer, l’Homme, seul être vivant créé, selon leur foi, “à l’image de Dieu”, et pourvu d’une âme immortelle, ou du moins, — aux yeux de ceux qui, dans leur cœur, s’étaient déjà détachés de l’Eglise, comme, plus tard, à ceux de tant de colonialistes

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listes du dix-huitième ou dix-neuvième siècle — seul être vivant doué de raison”.

Ils le vénéraient, malgré les atrocitiés qu’ils commettaient contre lui, individuellement ou collectivement. Et, même si certains d’entre eux, dans le secret de leurs pensées, ne le vénéraient pas plus qu’ils ne l’aimaient, ne lui accordant, s’il n’était qu’un “sauvage”, ni âme ni raison, — après tout, il a existé des Chrétiens qui refusaient d’attribuer aux femmes une âme semblable à la leur — cela ne change rien au fait que la “civilisation” dont ils se réclamaient, et dont ils étaient les agents, proclamait, elle, l’amour et le respect de tout homme, et le devoir de lui aider à accéder au “bonheur”, sinon dans cette vie terrestre, du moins dans l’Au-delà.

On a quelquefois soutenu que toute action entreprise dans les colonies, y compris l’action missionnaire, était, fût-ce à l’insu de ceux qui l’accomplissaient, téléguidée par des hommes d’affaires n’ayant, eux, en vue, que le profit matériel et rien d’autre. On a insinué que l’Eglise elle-même ne faisait que suivre les plans et exécuter les ordres de tels hommes — ce qui expliquerait en partie pourquoi elle semble s’être intéressée bien davantage aux âmes des indigènes qu’à celles des chefs conquérants et de leurs soudards qui, cependant, péchaient si scandaleusement contre “le” grand, “le” seul commandement du Christ : la loi d’amour. Même si toutes ces allégations reposaient sur des faits historiques susceptibles d’être prouvés, on serait malgré tout forcé d’admettre que les guerres coloniales auraient été impossibles, du seizième au dix-neuvième siècle (et surtout peut-être au dix-neuvième), sans la croyance, alors généralement répandue en Europe, qu’elles procuraient l’occasion de “sauver” des âmes, et de “civiliser” des “sauvages”.

Cette croyance que le Christianisme était la “vraie” foi pour “tous” les hommes, et que les normes de conduite de l’Europe marquée par le Christianisme étaient, elles aussi, pour “tous” les hommes, le critère de la “civilisation”, n’était, ouvertement au moins, mise en question par personne. Les chefs qui dirigeaient les guerres coloniales, les aventuriers, soldats et brigands, qui les faisaient, les colons qui en bénéficiaient, la partageaient, — même si, aux yeux de la plupart d’entre eux, l’espoir du profit matériel était au moins aussi important, sinon plus, que le salut éternel des indigènes. Et qu’ils l’eussent partagée ou

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non, ils n’en demeuraient pas moins soutenus, dans leur action, par cette croyance collective de leur lointain continent ; de la chrétienté tout entière.

C’est elle qui — officiellement — justifiait leurs guerres qui, faites dans les conditions dans lesquelles elles l’étaient, mais uniquenent au noms du profit, voire de la sécurité, (comme l’avaient été, au treizième siècle, les guerres des conquérants mongols), auraient paru “inhumaines”. C’est elle qui, toujours officiellement, définissait l’esprit de leur conduite envers l’indigène. De là cette hâte à convertir celui-ci, de gré ou de force, ou au moyen de “pots de vin”, à leur foi chrétienne, ou à lui faire (plus tard), partager les “trésors” de leur culture, en particulier à l’initier à leurs sciences, tout en lui faisant perdre tout contact avec les siennes propres,

* * *

Cette prétention du Christianisme historique, comme d’ailleurs de l’Islam, à être “la seule vraie foi”, est un héritage du Judaïsme, dont la tradition sert (en partie) de base aux deux religions.

Le monde antique — y compris celui des peuples apparentés aux Juifs par le sang, tels que les Canaanéens, les Amorites, les Jébusites, les Moabites, les Phéniciens et plus pard les Carthaginois — était, comme l’a écrit Adolf Hitler dans la citation rapportée plus haut, un monde de tolérance. Racine, sans doute sans se rendre compte que hommage il rendait par là aux ennemis du “peuple de Dieu”, a souligné ce fait quand, dans la première scène du troisième acte d’“Athalie”, il a mis dans la bouche de cette reine, adoratrice des Dieux et Déesses de Syrie, les paroles qu’elle adresse à Joad, Grand-prêtre des Juifs :

Je sais, sur ma conduite, et contre ma puissance,
Jusqu’où de vos discours vous poussez la licence;
Vous vivez, cependant; votre temple est debout
. . .”

La fille d’Achab entendait par là que si, à sa place, les Juifs avaient eu le pouvoir, ce ne sont pas eux qui, auraient laissé debout les sanctuaires des Baalim, ni qui auraient laissé vivre leurs fidèles, et à plus forte raison leurs prêtres. La fin de la tragédie, — où l’on voit la reine traitreusement enfermée dans le temple d’Iaweh, et massacrée sans pitié par ordre de Joad, — et

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toute l’histoire des Juifs telle que la rapporte l’Ancien Testament, confirment d’ailleurs sa clairvoyance..

Que dit en effet la sainte Bible, aux Juifs, à ce sujet ? “Quand le Seigneur votre Dieu vous amènera dans la terre que vous devez recevoir en héritage, et chassera devant vous bien des peuples : les Hittites et les Jerjessites, et les Amorites et les Canaanéens, les Pérézites et les Hévites et les Jébuséens, sept peuples, plus importants et plus forts que vous, et quand il les livrera entre vos mains, vous devez les écraser et les détruire par la violence; vous ne devez pas faire avec eux de traités, ni montrer envers eux de pitié ; vous ne devez pas vous unir à eux. Ni : vous ne donnerez vos filles à leurs fils, ni vous ne prendrez leurs filles comme épouses pour vos fils, car elles les détourneraient de moi et les inciteraient à adorer d’autres Dieux” . . . “Voici comment vous devez agir envers ces peuples : vous renverserez leurs autels et briserez leurs statues et les réduirez en miettes ; vous couperez leurs bois sacrés, et brûlerez par le feu leurs images sculptées, car vous êtes le peuple saint aux yeux du Seigneur votre Dieu. Il vous a choisis, afin que vous soyez le peuple élu — parmi tous les peuples qui sont à la surface de la terre”1.

Et une fois qu’après une conquête qui dépasse (et de loin !), en atrocité, celles qu’ont menées d’autres peuples, tant dans l’Antiquité que plus près de nous, les Juifs se sont enfin fermement établis en Palestine ; une fois qu’il y a deux royaumes juifs à peu près stables : l’un en Judée, l’autre dans le nord du pays, comment l’Ecriture juive — devenue Ecriture “sainte” aux yeux de tant de peuples, pour la seule raison que leur religion s’appuie sur la tradition et l’histoire d’Israël — comment cette Ecriture, dis-je, caractérise-t-elle chacun des rois qui succède à son père, sur le trône soit de Jérusalem, soit de Samarie ? Oh, c’est très simple ! Elle le déclare “bon” ou “mauvais”, sans nuances de jugement, et même sans référence à son comportement politique, en tant que roi ; “bon”, s’il a adoré Iaweh, le Dieu des Juifs, sans jamais courber le front devant d’autres divinités ; bien plus : s’il a persécuté les fidèles de tous les cultes autres que le sien ; s’il a rasé les bois sacrés des “faux” Dieux, détruit leurs images, interdit la célébration de leurs mystères, tué leurs prêtres2 ; “mauvais”


1. Deutéronome, Chapitre 7, Versets 1 à 7.
2. Voir à la fin du Chapitre 12 du Second Livre de Samuel, le traitement infligé par le “bon” roi David aux prisonniers après la prise de la ville de Rabbah, capitale des Ammonites.

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si, au contraire, il a fait preuve d’un esprit de bienveillante tolérance, et surtout s’il a lui-même sacrifié aux Baalim ou aux Déesses-Mères, selon la coutume des peuples que les Juifs avaient “chassés devant eux”, du treizième au onzième siècle avant Jésus-Christ, lors de la conquête de la “terre promise”. L’alternance des “bons” et des “mauvais” rois est impressionnante par sa monotonie. Chaque histoire d’un règne commence de la même façon, — par les mêmes phrases — selon que l’Ecriture loue ou blâme le roi. “Et il fit ce qui était juste aux yeux du Seigneur, et suivit les traces de David, son ancêtre. Il supprima le culte de Baal sur les hauts lieux, et brisa les statues et coupa les bois sacrés . . .”1. Il s’agit ici d’Ezékias, fils d’Ahaz, roi de Judée, Mais il pourrait tout aussi bien être question de n’importe quel “bon” roi, au sens où l’Ecriture juive entend ce mot. Et voici la description du règne de Manassé, le fils et successeur d’Ezékias, qui avait douze ans lors de son accession au trône, et qui gouverna la Judée pendant cinquante-cinq ans. “Il fit ce qui était mauvais aux yeux du Seigneur, et suivit les abominations des peuples que le Seigneur avait chassés devant les enfants d’Israël. Il restaura les hauts lieux que son père, Ezékias, avait dévastés, et éleva des autels à Baal, et planta un bois sacré comme l’avait fait Achab, roi d’Israël ; et il plia le genou devant toute l’armée des corps célestes, et adora ceux-ci”2. Elle est identique à tous les débuts de comptes-rendus de “mauvais” règnes que l’on trouve dans l’Ancien Testament — “mauvais” à cause du seul fait que la tolérance y était pratiquée, selon l’esprit de tous les peuples de l’Antiquité.

Il est à noter que la masse des Juifs antiques ne semble aucunement avoir eu, par nature, cette intolérance qui a joué, dans l’histoire d’Israël, un rôle si lourd de conséquences. Le “Juif moyen” d’avant, et plus encore peut-être d’après, la conquête de la Palestine, avait tendance à considérer tous les Dieux des peuples voisins comme “des” Dieux. Les similarités que ces divinités présentaient avec Iaweh, son Dieu à lui, retenaient beaucoup plus son attention, apparemment, que les différences


1. La Bible, Rois II, Chapitre 18, versets 3 et suivants.
2. La Bible, Rois II, Chapitre 21, versets 2 et suivants.

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qui les en séparaient. Et il fallait toutes les malédictions des prophètes et toute la sévérité (confinant souvent à la cruauté) des “bons” rois, pour l’empécher d’offrir, à l’occasion, des sacrifices à ces Dieux étrangers. Ce sont Moïse, les prophètes, et quelques uns des rois juifs — tels David, ou Ezékias — qui ont, en le marquant du signe de l’intolérance religieuse, retranché Israël de la communauté des peuples du désert — des peuples “sémitiques”, comme on les appelle — et qui, en cultivant chez lui le mythe du “peuple élu”, indissolublement lié au culte du “Dieu jaloux”, l’ont préparé au rôle unique qu’il a, à partir du quatrième siècle avant Jésus-Christ, joué dans le monde. Ce sont eux qui sont, en dernière analyse, responsables de toutes les violences commises au cours des siècles, au nom de la “vérité” exclusive des religions issues du Judaisme, en particulier, de toutes les atrocités perpétrées au nom du Christianisme, depuis l’épouvantable meurtre d’Hypatie en l’an 415, jusqu’au massacre des quatre mille cinq cents chefs germains fidèles au Paganisme de leur race, à Verden, en l’an 782, et jusqu’aux bûchers de l’Europe médiévale et de l’Amérique conquise.

* * *

On a beaucoup parlé du “racisme” juif. Et on a fait de la doctrine du “peuple élu” une expression de ce “racisme”. En réalité, aux yeux des Juifs de l’Antiquité, — j’entends, naturellement, des Juifs orthodoxes, — l’appartenance à leur race, c’est-à-dire à la “famille d’Abraham”, n’avait de valeur que si elle était alliée au service exclusif du “Dieu jaloux”, Iaweh, protecteur exclusif d’Israël. D’après la Bible, les Moabites et les Ammonites étaient, racialement, très près des Juifs. Les premiers ne descendaient-ils pas de Moab, fils de Lot et de sa propre fille aînée, et les seconds de Ben-Ammi, fils de Lot et de sa propre fille cadette1 ? Or Lot, fils de Haran, était neveu d’Abraham2. Il ne semble pas que ce lien de parenté ait facilité les rapports entre les enfants d’Israël et ces peuples. Si le sang les unissait, leurs cultes respectifs les séparaient. Chemosh, le Dieu des Moabites, et Milcom, le Dieu des Ammonites étaient, aux yeux des Juifs, “des abominations” — comme tous les Dieux de la terre, sauf le


1. La Bible. Genèse, Chapitre 19, versets 36, 37, 38.
2. La Bible, Genèse, Chapitre 11, verset 27.

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leur — et leurs adorateurs, des ennemis à exterminer. Le racisme juif, indépendant de toute religion, l’attitude qui consiste à accepter comme Juif et à traiter en conséquence tout homme tel, quelles que puissent être ses croyances — me paraît être quelque chose de récent, datant tout au plus du dix-huitième ou du dix-septième siècle, c’est-à-dire de l’époque où les maçonneries d’inspiration israélite ont commencé à jouer un rôle déterminant dans la politique des nations d’Occident. C’est peut-être un produit de l’influence du rationalisme occidental sur les Juifs, — malgré eux. Il a trouvé son expression la plus spectaculaire à la fin du dix-neuvième siècle et au vingtième, dans le Sionisme, qu’on pourrait appeler un nationalisme juif d’avant-garde. Ce mouvement respecte, certes, la tradition religieuse du Talmud et de la Bible, mais sans s’identifier à elle en aucune façon. Sa foi politique est “nationale”, mais ne saurait être comparée à celle de l’Espagne ou de l’Irlande catholique, par exemple, ou à celle de la Grèce moderne, elle aussi inséparable de la religion d’État. Mais je l’appellerai un nationalisme plutôt qu’un “racisme”, car elle implique l’exaltation du peuple juif en tant que tel, sans la conscience enthousiaste d’une quelconque solidarité de sang unissant tous les peuples du désert que l’on a coutume d’appeler “sémitiques”.

Moderne dans son expression, ce nationalisme n’est pas, toutefois, dans son essence, différent de la solidarité qui, après l’introduction de la loi mosaïque, existait entre tous les enfants d’Israël, dès le treizième siècle avant l’ère chrétienne. La religion d’laweh jouait alors un rôle primordial. Mais ce rôle consistait justement à faire sentir à tous les Juifs, du plus puissant au plus humble, qu’ils étaient le peuple élu, le peuple privilégié, différent des autres peuples, y compris de ceux qui étaient le plus près d’eux par le sang, et exalté au-dessus d’eux tous. Cela, les Juifs l’ont senti de plus en plus, dans les Temps Modernes, sans le secours d’une religion nationale; d’où l’importance décroissante de cette religion parmi eux (sauf dans les quelques foyers permanents d’orthodoxie juive).

En d’autres termes, les Juifs, qui pendant des siècles avaient été une peuplade insignifiante du Moyen Orient, parmi tant d’autres, — très près des autres, par le langage et la religion, avant Abraham et surtout avant la réforme mosaïque, — sont peu à peu devenus, sous l’influence de Moïse et de ses successeurs Josué et

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Kaleb, et puis, sous celle des prophètes, un peuple tout rempli de l’idée qu’il se faisait de lui-même ; n’ayant que mépris pour les hommes de même race que lui, qui l’entouraient, et à plus forte raison pour les gens d’autres races; ne voyant en leurs Dieux que des “abominations” — mettant à part, sur l’ordre du prophète Ezra, lors du retour de la longue captivité de Babylone, ceux de ses enfants, demeurés en Palestine, qui avaient épousé des femmes canaanéennes, et cela, sous prétexte que celles-ci ne pouvaient que relâcher le lien qui les unissait, eux et leur famille, à Iaweh, et affaiblir en eux la conscience de “peuple élu”, de peuple pas “comme les autres”.

Ils auraient pu demeurer ainsi indéfiniment, isolés du reste du monde par un orgueil national aussi incommensurable qu’injustifié, — car ils étaient, déjà dans l’Antiquité, passablement métissés, quant à la race, ne serait-ce que du fait de leur séjour prolongé en Egypte. (Le monde ne s’en fût certes pas plus mal porté, — au contraire). Ils ne le demeurèrent pas parce que, à l’idée de “Dieu unique” et de “Dieu ‘vivant” — de “vrai” Dieu, opposé aux “faux” Dieux, aux Dieux locaux et à puissance limitée des autres peuples, — ne pouvait moins faire que de s’ajouter, tôt ou tard, l’idée de vérité universelle et de communauté humaine. Un Dieu qui seul “vit”, alors que tous les autres ne sont qu’insensible matière, tout au plus habitée par des forces impures, ne peut être, logiquement, que le vrai Dieu de tous les adorateurs possibles, c’est-à-dire de tous les hommes. Pour refuser de l’admettre, il aurait fallu attribuer aux Dieux des autres peuples aussi, vie, vérité et bienfaisance, en d’autres termes, cesser de ne voir en eux que des “abominations”. Et à cela les Juifs se refusaient, après les sermons et les menaces de leurs prophètes. Le Dieu unique pouvait bien préférer un peuple. Mais il fallait qu’il soit, par nécessité, le Dieu de tous les peuples — celui que, dans leur folie, ils ignoraient, alors que seul le “peuple élu” lui rendait hommage.

La première attitude des Juifs, conquérants de la Palestine, envers les peuples adorateurs d’autres Dieux qu’Iaweh, fut de, les haïr et de les exterminer. Leur seconde attitude, — alors qu’en Palestine la résistance canaanénne avait depuis longtemps cessé d’exister, et surtout, alors que les Juifs perdaient de plus en plus le peu d’importance qu’ils avaient jamais eue sur le plan international, pour finir par n’être que les sujets de rois grecs,

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successeurs d’Alexandre, et plus tard, d’empereurs romains, — fut de jeter en pâture spirituelle à un monde en pleine décadence, en même temps que l’idée de l’inanité de tous les Dieux (sauf le leur), la conception fausse de “l’homme”, indépendant des peuples ; de “l’homme”, citoyen du monde (et bientôt “créé à l’image de Dieu”), qu’Israël, peuple élu, peuple de la Révélation, avait mission d’instruire et de guider au vrai “bonheur”. C’est l’attitude des Juifs, plus ou moins ostensiblement barbouillés d’Hellénisme, qui du quatrième siècle avant Jésus-Christ jusqu’à la conquête arabe au septième siècle après lui, formaient une proportion toujours plus influente de la population d’Alexandrie, ainsi que de toutes les capitales du monde hellénistique, puis romain. C’est l’attitude des Juifs de nos jours, celle, précisément, qui fait d’eux un peuple pas comme les autres, et un peuple dangereux : le “ferment de décomposition” des autres peuples

Elle vaut la peine que je tente de t’en faire l’historique.

Je l’ai dit : elle était en germe déjà dans le fanatisme de ces serviteurs du Dieu “unique” et “vivant” qu’étaient les prophètes juifs, de Samuel jusqu’aux rédacteurs de la Kabbale. Une chose qu’il ne faut surtout pas oublier, si on veut essayer de la comprendre, c’est que le “Dieu unique” des Juifs est un Dieu transcendant, mais non immanent. Il est en dehors de la Nature, qu’il a tirée du néant par un acte de volonté, et différent d’elle en son essence ; différent, non seulement de ses manifestations sensibles, mais encore de tout ce qui pourrait, d’une façon permanente, les sous-tendre. Il n’est pas cette Ame de l’Univers à laquelle croyaient les Grecs et tous les peuples indo-européens, — et en laquelle le Brahmanisme voit encore la Réalité suprême. Il a fait le monde comme un ouvrier d’art fabrique une merveilleuse machine : de l’extérieur. Et il lui a imposé les lois qu’il a voulues, et qui auraient pu être autres, s’il les avait voulues différentes. I1 a donné à l’homme domination sur les autres êtres créés. Et il a “choisi” le peuple juif parmi les hommes, non pour sa valeur intrinsèque — cela est clairement spécifié dans la Bible — mais arbitrairement, à cause de la promesse, faite une fois pour toutes, à Abraham.

Dans une telle optique métaphysique, il était impossible de considérerr les Dieux des autres peuples — et cela, d’autant moins que ceux-ci figuraient, pour la plupart, des Forces naturelles ou

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des corps célestes, — comme “aspects” ou “expressions” du Dieu unique. Il était aussi impossible de souligner le moins du monde l’indéfinie variété des hommes et l’inégalité irréfutable qui a toujours existé entre les races humaines, voire entre les peuples plus ou moins de la même race. L”`homme”, quel qu’il fût, devait avoir en soi, et seul des êtres créés, une valeur immense, puisque le Créateur l’avait formé “à son image”, et établi, à cause de cela même, au-dessus de tous les vivants. La Kabbale le dit d’ailleurs très nettement : “Il y a l’Etre incréé, qui crée : Dieu ; l’être créé, qui crée : l’homme; et . . . le reste : l’ensemble des êtres créés — animaux, plantes, minéraux, — qui, eux, ne créent pas.” C’est l’anthropocentrisme le plus absolu, — et une philosophie fausse au départ puisqu’il est évident que “tous les hommes” ne sont pas créateurs (il s’en faut bien !) et que certains animaux peuvent l’être1.

Mais cela n’est pas tout. Dans cette nouvelle perspective humaniste, non seulement le Juif gardait-il sa place de “peuple élu” — de “peuple saint”, comme le dit la Bible — destiné à porter au monde la Révélation unique, mais tout ce que les autres peuples avaient produit ou pensé n’avait de valeur que dans la mesure où cela concordait avec la dite révélation, ou dans la mesure où cela pouvait s’interprêter dans ce sens. Ne pouvant nier l’énorme contribution des Grecs à la science et à la philosophie, des Juifs d’Alexandrie, de culture grecque, (et parfois de noms grecs, tel cet Aristobule du troisième siècle avant Jésus-Christ) n’ont pas hésité à écrire que tout ce que la pensée grecque avait créé de plus solide — l’œuvre de Pythagore, de Platon, d’Aristote, — n’était dû, en dernière analyse, qu’à l’influence de la pensée juive !! — avait sa source dans Moïse et les prophètes. D’autres, tel ce fameux Philon d’Alexandrie, dont l’influence sur l’apologétique chrétienne a été si considérable, n’ont pas osé nier l’évidente originalité du génie hellénique, mais n’ont retenu, des idées élaborées par lui, que celles qu’ils pouvaient fût-ce en les altérant, voire en les déformant tout à fait, amener à “concorder”


1. L’intelligence pratique des, animaux n’est plus mise en question; or, elle aussi peut être créatrice, comme le montrent, en particulier, les expériences de Koehler. Mais que l’on songe surtout aux peintures — éminemment “abstraites” — exécutées par plusieurs des chimpanzés de Desmond Morris, créations que l’on pouvait prendre et que l’on a, en fait, actuellement prises, pour des œuvres humaines de même style.

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avec la conception mosaïque de “Dieu” et du monde1. Leur œuvre est ce produit hybride qui porte dans l’histoire de la pensée le nom de “philosophie judéo-alexandrine”, ensemble de rapprochements ingénieux de concepts tirés plus ou moins directement de Platon (pas forcément dans l’esprit de Platon) et de vieilles idées juives (telles que la transcendance du Dieu unique et la création de l’homme “à son image”), échafaudage superflu, sans doute, aux yeux du Juif orthodoxe, à qui la Loi mosaïque suffit, mais merveilleux instrument de main-mise spirituelle sur les Gentils, au service de Juifs, (orthodoxes ou non) désirant ardemment arracher à d’autres peuples la direction le la pensée occidentale (et plus tard, mondiale).

La philosophie judéo-alexandrine et la religion, de plus en plus imprégnée de symbolisme égyptien, syrien, anatolien, etc., que professait le peuple, de race de plus en plus abâtardie, du monde hellénistique, constituent la toile de fond sur laquelle se détache peu à peu, dans les écrits de Paul de Tarse et des premiers, apologistes, et se précise au cours de la succession des Conciles, l’orthodoxie chrétienne telle que nous la connaissons. Comme le remarque Gilbert Murray, “c’est une étrange expérience . . . que d’étudier ces congrégations obscures, dont les membres, issus du prolétariat du Levant, superstitieux, dominés par des charlatans, et désespérément ignorants, croyaient encore que Dieu peut procréer des enlants dans le sein de mères mortelles, tenaient le “Verbe”, l’“Esprit” et la “Sagesse divine” pour des personnes portant ces noms, et transformaient la notion de l’immortalité de l’âme en celle de “résurrection des morts”, et de penser que c’étaient ces gens-là qui suivaient la voie principale, menant à la plus grande religion du monde occidental.”2

Sans doute y avait-il, dans ce Christianisme des premiers siècles, prêché en grec (la langue internationale du Proche Orient à cette époque) par des missionnaires juifs, puis grecs, à des masses urbaines sans race, — si inférieures, à tout point de vue, aux hommes libres des anciennes poleis hellènes — nettement plus d’éléments non-juifs que juifs. Ce qui y dominait, c’était l’élément que je n’ose appeler “grec”, mais “égéen”, ou plutôt


1. Edouard Herriot, “Philon le Juif”, édition 1898.
2. Guibert Murray, “Five stages of Greek religion”, édition 1955 (New York) p. 158.

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“méditerranéen pré-hellénique” — ou proche-oriental pré-hellénique, car les peuples de l’Asie Mineure, de la Syrie et de la Mésopotamie l’illustraient tous, eux aussi, plus ou moins, dans leurs cultes venus du fond des âges. C’était le mythe du jeune Dieu cruellement mis à mort — Osiris, Adonis, Tammouz, Attys, Dionysos — dont la chair (le blé) et le sang (le jus du raisin) deviennent nourriture et boisson des hommes, et qui ressuscite en gloire, tous les ans au printemps. Cet élément-là n’avait jamais cessé d’être présent dans les mystères de la Grèce, à l’époque classique tout comme auparavant. Transfiguré, “spiritualisé” par le sens de l’allégorie attaché aux plus primitifs des rites, il est manifeste dans les religions internationales “de salut”, rivales du Christianisme dans l’Empire romain : dans celle de Mithra ; dans celle de Cybèle et d’Attys. Comme Nietzsche l’a si bien vu, le génie de Paul de Tarse a consisté “à donner un sens nouveau aux mystères antiques,” — à s’emparer du vieux mythe préhistorique, à le revivifier, à l’interprêter de telle façon que, pour toujours, tous ceux qui accepteraient cette interprétation accepteraient aussi le rôle prophétique et le caractère de “peuple élu” du peuple juif, porteur de l’unique révélation.

Historiquement, on ne sait à peu près rien de la personne de Jésus de Nazareth, de ses origines, de sa vie avant l’âge de trente ans, tant et si bien que des auteurs sérieux ont pu mettre en doute son existence même. D’après les Evangiles canoniques, il a été élevé dans la religion juive. Mais était-il Juif de sang ? Plus d’une des paroles qui lui sont attribuées tendraient à faire croire qu’il ne l’était pas. On a d’ailleurs dit que les Galiléens formaient en Palestine un îlot de population indo-européenne. De toute façon, ce qui est important, — ce qui est à l’origine du tournant de l’Histoire que représente le Christianisme — c’est que, Juif ou non, il est présenté comme tel, et, ce qui plus est, comme le Messie attendu du peuple juif, par Paul de Tarse, le vrai fondateur du Christianisme, ainsi que par tous les apologistes qui se suivent au cours des siècles. Ce qui est important, c’est qu’il est, grâce à eux, intégré à la tradition juive ; qu’il est le lien entre elle et le vieux mythe méditerranéen du jeune Dieu de la Végétation, mort et réssuscité, qu’elle n’avait jamais accepté : le Messie auquel on prête les attributs essentiels d’Osiris, de Tammouz, d’Adonis, de Dionysos, et de tous les autres Dieux morts et vainqueurs de la Mort, et qui les repousse tous dans l’ombre

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à son profit — et à celui de son peuple — avec une intransigeance qu’aucun d’eux ne connaissait, une intransigeance typiquement juive : celle de Paul de Tarse, de son maître Gamaliel et de tous les serviteurs du “Dieu jaloux”, Iaweh. Non seulement un “sens nouveau” est donné aux mystères antiques, mais ce sens est proclamé le seul bon, le seul vrai, les rites et les mythes de l’Antiquité païenne, depuis les temps les plus lointains, n’ayant fait que le “préparer” et le “préfigurer”, tout comme la philosophie antique n’avait fait que sensibiliser les âmes à la réception de la révélation suprême. Et cette révélation est, pour Paul comme pour les Juifs de l’école judéo-alexandrine avant lui, et pour tous les apologistes chrétiens — les Justin, les Clément d’Alexandrie, les Irénée, les Origène — qui le suivront, celle donnée aux Juifs par le Dieu “de tous les hommes”.

L’intolérance juive, confinée jusqu’alors à un peuple, (et à un peuple méprisé, que nul ne songeait à imiter) s’est, avec le Christianisme, et plus tard avec l’Islam, — cette réaction contre l’hellénisation de la théologie chrétienne, — étendue à la moitié du globe terrestre. Et, ce qui plus est, c’est cette intolérance même, qui a fait le succès des religions se rattachant à la tradition d’Israël.

J’ai mentionné les religions de salut — en particulier celle de Mithra et celle de Cybèle — qui florissaient dans l’Empire romain au temps où le Christianisme en était à ses débuts. A première vue, chacune d’elles avait autant de chances que lui d’attirer à soi les foules inquiètes à qui l’ordre romain ne suffisait pas, ou ne suffisait plus, et qui, de plus en plus abâtardies, se sentaient étrangères à tout culte national, quel qu’il fût. Chacune d’elles offrait à l’individu moyen tout ce que lui promettait — la religion de Jésus crucifié — et cela, avec des rites d’autant plus capables d’entraîner son adhésion, qu’ils étaient plus barbares.

Au troisième siècle de l’ère chrétienne, c’était le culte de Mithra, — ce vieux Dieu solaire indo-européen, contemplé à travers les mille miroirs déformants que représentaient les races et les traditions de ses nouveaux adorateurs, — qui semblait devoir s’imposer . . . pourvu qu’aucun facteur décisif n’intervînt en faveur d’un de ses rivaux. Le Dieu était populaire chez les légionnaires et chez leurs officiers. Des empereurs avaient trouvé bon de recevoir l’initiation à ses mystères, sous la douche de sang chaud du Taureau rédempteur. Un nombre croissant de gens du

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peuple suivaient le mouvement. On peut dire en toute assurance qu’il s’en est fallu de peu que le monde dominé par Rome ne fût devenu mithriaque — au lieu de chrétien — pour quelque vingt siècles. On peut dire avec non moins de certitude que, s’il ne l’est pas devenu, cela ne tient ni à une quelconque “supériorité” de la doctrine chrétienne du salut sur l’enseignement des prêtres de Mithra, ni à l’absence de rites sanglants chez les Chrétiens, mais bien à la protection accordée à la religion du Crucifié par l’Empereur Constantin, et à aucun autre facteur. Or, c’est précisément l’intolérance du Christianisme — elle surtout, sinon elle seule, — qui lui a valu la préférence du maître du monde romain.

Ce que l’empereur voulait en effet avant tout, c’était donner à ce monde immense, peuplé de gens de races et de traditions les plus diverses, une unité aussi solide que possible, sans laquelle il lui serait difficile de résister longtemps à la poussée de ceux que l’on appelait les Barbares. L’unité de culte était bien la seule qu’il pouvait espérer lui imposer, à condition encore qu’il y parvînt vite. Parmi les religions de salut, si populaires, celle de Mithra comptait, sans aucun doute, le plus grand nombre de fidèles. Mais elle ne promettait pas de se répandre assez rapidement, et cela, d’abord et avant tout, parce qu’elle ne prétendait pas être la seule Voie et la seule Verité. Elle risquait de laisser longtemps subsister ses rivales, et l’unité tant désirée ne, se ferait pas, — ou mettrait des siècles à se faire, — alors que l’intérêt de l’Empire exigeait qu’elle se fît en quelques décades.

On pouvait en dire autant du vieux culte de Cybèle et d’Attys : ses prêtres ne proclamaient pas, à l’instar des Juifs, qu’eux seuls possédaient la vérité. Ils croyaient au contraire, comme tous les hommes de l’Antiquité (sauf les Juifs) que la vérité a d’innombrables facettes, et que chaque culte aide ses fidèles à en saisir un aspect. Ils auraient, eux aussi, laissé les religions rivales de la leur fleurir en toute liberté.

Le Christianisme, quoique pénétré qu’il fût déjà, au quatrième siècle, d’idées et de symboles empruntés soit au Néoplatonisme, soit au vieux fond mystique égéen, soit à des formes plus lointaines encore de l’éternelle Tradition, avait, lui, hérité du Judaïsme, l’esprit d’intolérance. Même ses apologistes les plus éclairés, les plus richement nourris de culture grecque classique, — tels un saint Clément d’Alexandrie ou un Origène qui,

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loin de rejeter la sagesse antique, la considéraient comme une préparation à celle des Evangiles — ne mettaient pas les deux sagesses sur le même plan. Il y avait, à leurs yeux, “progrès” de la première à la seconde, et la “révélation” juive gardait sa priorité sur l’écho plus lointain de la voix du Dieu unique que l’on pouvait déceler chez les philosophes païens. Quant à la grande masse des Chrétiens, elle tenait pour “abominations” — ou “démons” — tous les Dieux de la terre, sauf celui qui s’était révélé aux hommes de toutes races à travers les prophètes de l’Ancien Testament — les prophètes juifs — et à travers Jésus et son disciple posthume, Paul de Tarse, — ce dernier, Juif cent pour cent, le premier, considéré comme “Juif”, “Fils de David”, par l’Église, quoiqu’en fait on ignore tout de son origine, et qu’on ait même pu mettre en doute son historicité.

C’est le lien profond qui rattache le Christianisme (et, en particulier, le “saint Sacrifice de la messe”) aux mystères antiques, qui en a assuré la survie jusqu’à nos jours. Et ce fut, chez Paul de Tarse, un trait de génie (politique), que d’avoir donné aux plus anciens mythes du monde méditerranéen une telle interprêtation qu’il a, par là, assuré à son propre peuple, sur ce monde et sur tous les peuples qu’il était, au cours des siècles, destiné à influencer, une domination spirituelle indéfinie. Ce fut, chez l’Empereur Constantin, un trait de génie (également politique), que d’avoir choisi d’encourager la diffusion de la religion qui, en se répandant le plus vite, allait donner au chaos ethnique que représentait alors le monde romain, la seule unité à laquelle il pouvait encore aspirer. Et ce fut, chez le chef germain Clodwig, connu sous le nom de Clovis dans l’histoire de France, encore un trait de génie (politique, lui aussi), que d’avoir senti que rien ne lui assurerait la domination permanente sur ses rivaux, autres chefs germains, autant que sa propre adhésion (et celle de ses guerriers) au Christianisme, dans ce monde déjà aux trois quarts chrétien, où les évêques représentaient une puissance à rechercher comme alliée. Génie politique, et non religieux ; encore moins philosophique — car dans tous les cas il s’agissait de pouvoir, personnel ou national ; de stabilité matérielle ; de succès, non de vérité au plein sens du mot, c’est-à-dire d’accord avec l’éternel. Il s’agissait d’ambitions sur le plan humain, non de soif de connaissance des Lois de l’être, ou de soif d’union, avec l’Essence de toutes choses, — Ame, à la fois transcendante

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et immanente, du Cosmos. Car s’il en avait été autrement, il n’y aurait eu aucune raison pour que la religion du Nazaréen triomphât pour tant de siècles : ses rivales la valaient. Elle n’avait sur elles qu’un seul “avantage” — pratique : son fanatisme, son intolérance enfantine héritée des Juifs, — fanatisme, intolérance qui pouvait faire sourire le Romain ou le Grec cultivé des premiers temps de l’Église, et que le Germain, nourri, lui, dans sa belle religion à la fois cosmique et guerrière, pouvait avec raison trouver absurde; mais qui allait donner au Christianisme un caractère militant, qu’il était seul à posséder, puisque le Judaïsme orthodoxe demeurait — et devait demeurer — la foi d’un peuple.

Le Christianisme ne pouvait désormais être combattu que par une autre religion à prétention également universelle, aussi intolérante que lui. Et c’est un fait que, jusqu’ici, il n’a reculé sur une grande échelle que devant l’Islam et, de nos jours, devant cette fausse religion qu’est le Communisme.

L’Islam se rattachait comme lui à l’Ancien Testament des Juifs. Il était, tout comme lui, sorti du désert, mais était dépouillé de tout le symbolisme qui rattache le culte du Christ aux vieux mythes méditerranéens, égyptiens, chaldéens, etc., de la mort et de la résurrection du Blé sauveur, et aux rites préhistoriques qui les rendaient tangibles aux fidèles. (Pour le Mahométan, Jésus — Issa — est “un prophète”, non un Dieu, et surtout pas “Dieu”). La Syrie, l’E;gypte, toute l’Afrique du, Nord, chrétiennes depuis trois ou quatre siècles, furent islamisées du jour au lendemain. L’Europe l’aurait été, si le hasard de la guerre n’avait pas voulu que Charles Martel et ses Francs eussent été victorieux, entre Tours et Poitiers, en 732 — à moins, bien entendu, qu’elle n’eût résisté des siècles durant, comme l’a fait l’Espagne.

Certes, une victoire arabe, suivie de la conquète de toute l’Europe selon le plan qu’en avait conçu, vingt ans plus tôt, le génial Moussa-al-Kébir, aurait été, du point de vue racial, une catastrophe de première magnitude. La race aryenne aurait perdu, sur tout le continent, la pureté qu’elle retenait encore au huitième siècle. Tout au plus seraient demeurés çà et là des îlots plus ou moins importants de population en majorité aryenne, comme demeurent en Afrique du Nord des régions peuplées surtout de Berbères, ou comme on trouve encore en Espagne, des

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endroits, où le type (nordique) des Visigoths a laissé plus de traces qu’ailleurs. Dans l’ensemble, l’Europe serait devenue, quant au sang, moins pure même qu’elle ne l’est aujourd’hui, — ce qui n’est pas peu dire. Mais du strict point de vue de l’évolution des idées et des mœurs de chacun de ses peuples, et plus particulièrement de sa psychologie religieuse, son histoire m’aurait peut-être pas été bien différente.

Il est vrai que l’arabe aurait sans doute supplanté le latin, et qu’il n’y aurait probablement pas eu de “Renaissance”, au dixième siècle de l’Hégire. Ou les lettrés grecs de Constantinople, (eux-mêmes islamisés ?) auraient-ils quand même, à l’approche des Turcs, émigré en Occident, vers des cours fort semblables à celles des capitales mauresques d’Espagne, et y auraient-ils-malgré tout éveillé la nostalgie de l’Antiquité classique ? N’oublions pas qu’Aristou (Aristote) et Aflatoun (Platon), étaient connus et admirés des lettrés arabes. Il n’y aurait certes eu ni peinture ni sculpture reproduisant la forme humaine : cela est contraire aux lois de l’Islam. Les artistes d’Italie, d’Allemagne, des Pays-Bas, les Léonard de Vinci, les Michel-Ange, les Dürer, les Rembrandt, — seraient nés. Assez de sang aryen aurait subsisté pour qu’ils naquissent. Et ils auraient donné de leur génie une expression tout aussi forte et sans doute tout aussi belle, toutefois autre. Mais il y a deux traits de la civilisation chrétienne d’Europe qui seraient demeurés tragiquement les mêmes : l’anthropocentrisme, et l’intolérance — l’intolérance sur tous les plans, prolongement normal de l’intolérance religieuse, et conséquence de ce que j’ai appelé la superstition de “l’homme”.

L’esprit de controverse, hérité de l’Hellénisme décadent, n’aurait pas manqué d’engendrer des sectes. L’esprit d’exclusivité; religieuse, hérité des Juifs, — la manie de chacun de se croire, avec ses frères dans la foi, seul détenteur des secrets de l’Inconnaissable — aurait fait de ces sectes des partis se détestant mutuellement, et militant sauvagement les uns contre les autres, car il était et est encore du tempérament de l’Européen de se battre sauvagement, dès qu’il a accepté le combat. Il y aurait sans doute eu des guerres de religion, et une Sainte Inquisition qui n’aurait, sur le plan de l’horreur, rien laissé à désirer à celle qui a actuellement existé. Les Amériques auraient été découvertes et conquises, et exploitées. Les caravelles y auraient porté la foi du Prophète vainqueur au lieu de celle de Jésus crucifié, et

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l’étendard des Khalifes y aurait remplacé celui des rois très catholiques. Mais la conquête et l’exploitation et le prosélytisme y auraient été tout aussi impitoyables. Les vieux cultes y auraient ent été rigoureusement abolis, — comme l’avait été, vingt-cinq siècles plus tôt, le culte des Baalim et des Déesses-mères, partout où les “bons” rois juifs avaient étendu leur domination. Les téocalli et les huaca-huasi auraient été rasés. Peu importe que, sur leurs fondations, des mosquées eussent surgi, au lieu de cathédrales chrétiennes ! Dans l’optique de Quautemoc et d’Atahuallpa, et des populations du Mexique et du PéIu, cela aurait signifié la même chose : le choix entre la conversion ou la mort. Il est vrai que les Juifs de l’Antiquité n’avaient même pas laissé ce choix aux adorateurs de Baal et d’Astarté, et qu’en Amérique du Nord les Aryens, moralement on ne peut plus enjuivés (donnant une importance énorme à l’Ancien Testament), n’allaient guère le laisser aux Indiens qu’ils devaient décimer, presque jusqu’à extinction complète, par l’alcool, ne leur accordant même pas l’honneur de mourir pour leurs Dieux, les armes à la main. Les Espagnols — et les Portugais — se souciaient, apparemment, davantage, du sort des âmes immortelles de “tous les hommes”. Ils étaient plus près des Juifs, disciples de Jésus, et surtout de Paul de Tarse, qu’ils ne l’étaient des Juifs compagnons d’armes de Joshua, fils de Nunn, ou du roi David, . . . ou de Jéhu. N’empêche qu’ils étaient, de toute façon, ce que sont — ou doivent être — selon le Pape Pie XI, tous les bons Chrétiens : des “Sémites spirituels”, et que l’intolérance religieuse est un produit juif ; le produit juif, par excellence.

* * *

Mais il me semble que j’entends s’élever de tous côtés l’objection que l’on n’a cessé de nous faire dès le début du Mouvement, dès les premiers discours du Maître, dès la première édition du Livre. On me cite les paroles mêmes, écrites en toutes lettres, noir sur blanc, à la page 507 de celui-ci, — ces paroles que j’ai, moi aussi, tant de fois rappelées, en public et dans des réunions privées, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale : “Les partis politiques tendent au compromis ; les “Weltanschauungen”, jamais. Les partis politiques prennent en considération l’opposition d’adversaires possibles ; les “Weltanschauungen”

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proclament leur propre infaillibilité1. Si ce n’est pas là la glorification la plus cynique de l’intolérance, qu’est-ce donc que c’est ? Et je me souviens — et comment ! — de la réponse de tous les ennemis du National-Socialisme, des enthousiastes de la bonne Démocratie parlementaire jusqu’aux plus enragés Communistes, eux aussi défenseurs théoriques des “droits de l’homme”, à la moindre suggestion de traitement identique de tous les “engagés” ; y compris les Hitlériens : “Il ne saurait être question de tolérer les intolérants.”

Sommes-nous vraiment “intolérants” ? et le Führer a-t-il, dans le passage cité, ou ailleurs, exalté l’intolérance ? Oui, certes. Mais il ne s’agit pas de la même intolérance que celle que j’ai essayé de décrire tout au long des pages précédentes. Il s’agit de la réponse à celle-ci, de la réaction contre celle-ci, — ce qui est très différent.

Dans la lointaine Antiquité, avant que ne soit répandu par le monde le virus de l’intolérance juive, nous aurious été tolérants en même temps que racistes, comme l’étaient tous les Indo-européens, et tous les peuples de la terre, y compris les Juifs eux-mêmes, avant la grande réforme mosaïque. Je dirai plus : notre Mouvement, avec son intransigeance et son aggressivité, n’aurait pas existé, — n’aurait pas eu de justification. Car il ne se comprend qu’à une époque de décadence accélérée. Il est la réaction suprême, désespérée — la réaction de gens qui n’ont rien à perdre vu que, quoi qu’il sorte de leur révolution, cela ne peut être pire que ce qu’ils voient autour d’eux — contre cette décadence. Or cette décadence est, comme j’ai tenté de le montrer, liée à deux attitudes qui se complètent l’une l’autre: à la superstition de “l’homme” et à celle du “bonheur”. Ce sont ces deux superstitions qui engendrent l’intolérance du type que j’ai décrit plus haut, — non vraiment “celle des Juifs” (à l’exception sans doute des prophètes), mais celle de toutes les doctrines qui ont leurs racines dans le Judaïsme; celle dont les Juifs se servent, après l’avoir suscitée chez les autres peuples, pour inciter ces peuples à combattre pour eux, sans même le savoir. On ne peut, attaquer l’intolérance qu’à l’aide d’une autre intolérance, basée sur une autre foi qu’elle, tout comme on ne peut combattre


1. Adolf Hitler, “Mein Kampf”, édition allemande de 1935, p. 507.

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“la terreur que par la terreur”1 — une terreur exercée au nom d’une autre idée.

Nous combattons l’intolérance des dévots de “l’homme” et des assoiffés de “bonheur” — aussi bien celle des religions ou philosophies directement nées du Judaïsme, que celle des rationalistes humanitaires à prétentions scientifiques, nourris des mêmes deux superstitions. Nous la combattons par notre intolérance, surgie, elle, non pas, certes, du naïf désir de rendre tous les hommes heureux dans ce monde ou dans un autre, mais de la volonté de conserver pure et forte cette minorilé humaine, que représente l’élite biologique de notre race aryenne, afin que puisse sortir d’elle, un jour (sans doute après la fin du présent Cycle temporel), une collectivité aussi près de l’idée que nous nous faisons du surhomme, — sans tares et sans faiblesses — que le sont les tigres de l’idée du parfait félin. Peu nous importe que les individus qui composent cette élite biologique soient “heureux” ou “malheureux” ! Les Forts — et ils en sont, ou doivent en être, — n’ont que faire de bonheur personnel. Leur fonction consiste à assurer, de génération en génération, à la fois la continuité de la race dans sa beauté et dans ses vertus, — dans sa “santé” — et la continuité de la foi en ses valeurs naturelles. L’orgueil qu’ils ressentent à remplir cette fonction, et le plaisir de défier ceux qui voudraient les attirer vers d’autres tâches, doivent suffire à leur “bonheur”. Le bonheur au sens où l’entend l’immense majorité des gens dans les sociétés “de consommation”, c’est-à-dire, le confort matériel, plus les satisfactions des sens et du “coeur”, est bon pour les bêtes qui, privées, elles, du mot, donc de la possibilité du retour sur elles-mêmes, ne ressentent aucune fierté particulière à remplir leurs fonctions, et n’ont ni adversaires idéologiques à harceler, ni “ré-éducateurs” à défier. Il est, comme je l’ai dit au début, leur droit. Même l’homme” des races inférieures devrait dédaigner de le rechercher, — à plus forte raison l’Aryen moyen, et surtout les Forts.

De plus, notre intolérance, à nous, se manifeste, comme celle des Hindous orthodoxes, sur le plan de la vie, de l’action, non sur celui de la pensée pure, car nous ne “croyons” pas que les propositions de base de notre Weltanschauung sont vraies : nous le savons. Les gens mal informés qui persistent


1. Adolf Hitler, “Mein Kampf”, édition 1935, p. 507.

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à les nier, — ceux qui, par exemple, proclament à cor et à cris que “la race n’existe pas”, nous irritent, sans doute. Mais nous ne ressentons, au fond, pas plus d’hostilité envers eux qu’envers des fous qui s’en iraient répétant que deux et deux font cinq. Nous voyons que, si nous ajoutons deux cailloux à deux cailloux, et si nous comptons le tout, nous trouvons immanquablement quatre cailloux. Et, quoique cela relève d’un autre ordre d’idées ; du domaine des sciences naturelles, et non de celui de la mathématique, — nous voyons aussi, et fort clairement, qu’il y a, entre tous les gens qu’on appelle des Indo-européens, ou Aryens, des traits communs, bien définis. Que des fous — ou des perroquets, répétant ce que la propagande anti-raciste leur a servi à la télévision — le nient, cela ne change rien aux faits. Ce n’est pas pour “sauver” ces imbéciles, ou ces perroquets, de l’erreur, dans l’intérêt de leur âme, ou par respect pour leur “raison”, que nous sévirions contre eux si nous en avions le pouvoir, mais uniquement pour prévenir les répercussions que leurs discours pourraient avoir dans la société, et en particulier chez les jeunes. Leur “raison” est si peu raisonnable — et si peu “leur” ! — qu’elle ne nous inspire aucun respect. Et le sort de leur âme, s’ils en ont une, ne nous intéresse pas. Mais la survie de notre race — encore si belle, partout où elle est demeurée à peu près pure, — et les possibilités d’assertion et d’action qu’un avenir, quelque menaçant qu’il semble, peut, malgré tout encore lui réserver, nous intéressent profondément. C’est au nom d’elles que nous prendrions contre eux, si nous en avions le pouvoir, des mesures impitoyables. Dans une société depuis longtemps pénétrée de notre esprit, dans laquelle toute déclaration anti-raciste, égalitaire, pacifiste, contraire à la divine sagesse de la Nature, — toute expression de la superstition de “l’homme” — serait reçue avec d’irrésistibles éclats de rire, comme une grossière plaisanterie de foire, ou par une indifférence totale, plus meurtrière encore, peut-être ne sévirions-nous pas contre nos adversaries, mais les laisserions-nous japper tout leur saoûl. Ils ne seraient pas dangereux, et d’ailleurs se lasseraient vite.

* * *

J’ai rapproché notre “intolérance” de celle des Hindous

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orthodoxes, si différente de celle des Chrétiens et des Musulmans. Tu comprendras bientôt pourquoi.

Si quelque jeune Brahmane dit à son père qu’il se sent une dévotion toute particulière pour une certaine expression, visible ou invisible, du Divin, en dehors du Panthéon de l’Hindouisme, que ce soit Jésus, ou Apollonius de Tyane, ou quelque Chef européen de notre époque, chez lequel il croit découvrir la marque de l’“Avatar” ou Incarnation divine, le père n’y trouvera, en général, rien à redire. Il proposera probablement à son fils de placer l’image de son Dieu, — celui-ci fût-il un homme, encore vivant, — sur l’autel domestique, parmi celles des divinités traditionnelles qui y figurent déjà. Le jeune homme acceptera, sans doute. Et personne, dans la famille, n’y verra d’inconvénient, car cela ne changera en rien, en pratique, le rythme de la vie au foyer : l’ordinaire y sera le même ; les rites journaliers, également ; les fêtes y seront célébrées de la même façon. Il n’y aura rien de changé. Il n’y aura qu’une image de plus, parmi les nombreuses images, dans le coin consacré aux Dieux, et . . . une pensée quelque peu différente de celle des autres Hindous sous le crâne d’un des membres de la famille. Mais les pensées ne se voient pas. Même exprimées, elles ne commencent à être gênantes que du moment où l’on sent qu’elles pourraient, alors qu’on s’y attend le moins, se traduire en actes choquants. Jusque là, elles sont tolérées; et celui qui les a, fût-il, au fond de son cœur, Chrétien, ou même Communiste, est regardé comme un des fils de la maison et de la caste.

Mais qu’un autre fils de ce même Brahmane, sans se réclamer le moins du monde d’aucun maitre, d’aucun enseignement, d’aucun Dieu étranger, vienne déclarer à son père qu’il a mangé des aliments interdits, et cela, en compagnie de gens de basse caste, avec qui la tradition lui défend de s’associer dans cet acte qui a valeur de rite, car il entretient la vie ; ou, pire encore s’il se peut, qu’il vienne dire qu’il vit avec une femme qui n’est pas de celles que la sainte tradition lui permet d’épouser, et qu’il a un enfant d’elle . . . Il sera, alors, — et cela, quelle que puisse être sa dévotion à des divinités hindoues ; quelle que soit la justification qu’il puisse inventer pour rattacher ses actes, bon gré malgré, à quelqu’épisode bien connu du passé hindou, — rejeté de la famille et de la caste ; excommunié ; refoulé au rang d’Intouchable par tous les Hindous orthodoxes. Il devra quitter son village, et

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aller vivre deux ou trois kilomètres plus loin, dans l’agglomération des aborigènes (des hommes de race inférieure) et . . . des descendants d’excommuniés.

Il n’en sera, certes, peut-être pas ainsi aujourd’hui, dans tous les milieux hindous. Sous l’action violente ou subtile des forces de désintégration, la mentalité traditionnelle se perd, aux Indes comme ailleurs. Il n’en reste pas moins vrai qu’il en aurait été ainsi, il y a peu d’années encore ; et qu’il en serait encore ainsi maintenant, dans les milieux hindous dont l’orthodoxie a résisté et à l’exemple de l’étranger et à la propagande d’un d’un gouvernement pénétré d’idées étrangères. Il n’en demeure pas moins que cette attitude correspond bien à l’esprit de l’Hindouisme, je dirai plus : à l’esprit indo-européen, et même à l’esprit antique. Elle pourrait être exprimée, dans la phrase : “Pense ce que tu veux ! Mais ne fais rien qui puisse détruire la pureté de ta race, ou sa santé, ou contribuer à faire mépriser ou abandonner les coutumes qui en sont les gardiennes”. Alors que l’injonction par laquelle pourrait se traduire l’intolérance des religions sorties de la tradition juive mais destinées aux non-Juifs, serait à peu près la suivante : “Fais ce que tu veux, — ou à peu près. Il n’y a pas d’acte contre les lois religieuses (ou civiles) qui ne soit pardonnable. Mais ne pense rien qui puisse t’amener à mettre en doute les “articles de foi” — les proposition de base de la doctrine chrétienne ou mahométane, ou (de nos jours) libérale-humanitaire, ou Marxiste”. Penser, sentir, fût-ce au sujet de l’indémontrable et peut-être de l’inconnaissable, autrement que ne le doit un “fidéle”, est le pire des crimes. C’est pour l’avoir commis, — et non pour avoir agi de quelque façon que ce fût que des centaines de milliers d’Européens ont subi la torture, et finalement la mort par le feu ; au temps où le Saint Office était tout-puissant ; que des millions ont péri, en ou hors d’Europe, pour avoir refusé le message du Christianisme, de l’Islam ou, plus tard, du Marxisme triomphant.

Compare à cela l’attitude qui s’affirme dans le Point Vingt-quatre, déjà cité, des célèbres “Vingt-cinq Points” du programme du Parti National-socialiste, proclamé à Munich, le 24 Février 1920 : “Nous exigeons la liberté de toute confession religieuse dans l’Etat, dans la mesure où elle ne met pas en danger l’existence de celui-ci, et n’est pas en contradiction avec le sens de la bienséance et le sens moral de la race

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germanique . . .”1. C’est, évidemment, la porte ouverte à une certaine forme d’intolérance, mais pas à celle des meurtriers d’Hypatie, ni à celle des juges de Giordano Bruno — ou de Galilée. C’est la justification de la seule “intolérance” que le monde antique ait pratiquée — celle des autorités romaines qui poursuivaient les premiers Chrétiens, non pas comme adhérents d’une quelconque “superstition” (après tout — aux yeux des sages de l’époque, — ni plus ni moins stupide que tant d’autres qui pullulaient dans le menu peuple et . . . chez les femmes oisives des riches) mais comme séditieux qui refusaient d’honorer les images de l’Empereur-dieu du grain d’encens traditionnel ; comme ennemis de l’Etat. C’est la condamnation de toute autre forme d’intolérance, aussi bien de celle des prophètes et des “bons” rois juifs de l’Ancien Testament, que de celle des Pères Inquisiteurs.

* * *

Une question, toutefois, se pose : celle de la frontière entre les deux intolérances, ou plutôt, entre les faits et gestes hostiles à l’ordre rêvé par le législateur, et les “pensées”, les convictions profondes, l’attachement aux valeurs en contradiction avec les propositions de base sur lesquelles repose cet ordre. Il est certain que les gestes, à moins qu’ils ne soient purement mécaniques, présupposent des pensées, des convictions, l’acceptation de valeurs bien définies. Et il est également certain que tout attachement ardent à des valeurs données finira tôt ou tard par s’exprimer en des gestes, — par créer des “faits”. Il le fera dès qu’il le pourra, c’est-à-dire dès que la pression des forces hostiles qui l’en ont jusque-là empêché, se relâchera. Et en attendant, si toute manifestation publique lui est interdite, — s’il est, même en tant que sentiment, tenu pour “subversif”, voire “criminel”, par les gens qui sont au pouvoir, — il s’exprimera tant bien que mal dans la clandestinité: par la parole et par le geste, à huis clos, entre “frères”. (C’est exactement ainsi que s’exprime, depuis un quart de siècle déjà, notre attachement aux valeurs du


1. “Wir fordern die Freiheit aller religiösen Bekenntnisse im Staate, soweit sie nicht dessen Bestand gefährden, oder gegen die Sittlichkeits und Moralgefühl der germanischen Rasse verstossen.” (Point 24 des Vingt-Cing Points). “Das Programm der N.S.D.A.D.”

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racisme aryen sous sa forme contemporaine, c’est-à-dire à l’Hitlérisme. Et nous ne sommes tolérés que dans la mesure où nous sommes invisibles, et que l’immense monde hostile au milieu duquel nous sommes dispersés, habitué qu’il est à ne se fier qu’à ses sens, nous croit inexistants. Toute pensée clandestine est forcément “tolérée” — ou plutôt ignorée, et pour cause !)

La tolérance de l’expression de la pensée ou de la foi d’autrui, dans une société basée sur des normes qu’elle semble mépriser, ne se justifie logiquement que dans deux cas. Ou bien on considère cette pensée ou cette foi comme n’étant, par sa teneur même, susceptible d’aucune influence sur la vie sociale de l’individu, et encore moins sur celle de ses frères de race ou simplement de ses concitoyens ; ou bien, on en admet la nocivité — le caractere subversif, le danger potentiel sur le plan pratique, — mais, soit qu’on n’en estime pas assez les représentants pour les juger capables d’acharnement soutenu, soit qu’on ne croie pas à l’efficacité de la pensée et de la foi, même exprimées, si l’action qu’elles appellent est trop longtemps impossible, on n’en admet pas le danger réel.

L’Hindou qui n’a pas d’objection à ce que l’un de ses fils adore Jésus, plutôt que les Incarnations divines connues et vénérées de ses pères, n’a en vue qu’une fonction de la religion : celle qui consiste à mener le fidèle à l’expérience vécue de “Dieu” à la réalisation du Soi universel au tréfonds de lui-même. Il présuppose que son fils, tout en tendant vers cette expérience suprême (celle de tous les initiés) à travers sa dévotion au Christ, ne rompra aucun des liens qui l’attachent à la société brahmanique. S’il pensait différemment, s’il soupçonnait, par exemple, que le jeune homme n’a plus le même respect pour les lois traditionnelles concernant la nourriture et le mariage ; s’il le croyait capable, désormais, de manger de la chair (et surtout de la chair de bovin) ou de procréer des enfants en dehors de sa caste, et cela parce que sa nouvelle foi a fait naître en lui mentalité nouvelle, il serait moins tolérant.

L’Européen auquel on refuse l’entrée d’un temple hindou, en est exclu non pas à cause de sa métaphysique, tenue pour fausse, encore moins à cause de sa race, s’il s’agit bien d’un Aryen, mais à cause des habitudes culinaires qu’on lui attribue (parfois à tort ; mais aucun règlement ne tient compte, hélas, de l’exception ! On m’a, à moi-même, et malgré que la société

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hindoue en général m’eût depuis longtemps acceptée, refusé l’entrée d’un des temples de Sringéri, — la patrie de Sankaracharya, dans l’Inde du Sud-ouest — sous prétexte que j’avais été, avant d’embrasser l’hindouisme, une “mangeuse de bœuf.” Et quand je m’élevai avec véhémence contre cette accusation, rappelant que j’avais toujours été végétarienne, tant avant ma venue aux Indes qu’après, le prêtre me déclara que “mes pères, sans doute” ne l’avaient pas été, et continua à me tenir éloignée du seuil. Je dois avouer, pour être juste, qu’on m’a admise dans presque tous les autres temples des Indes, y compris dans celui de Pandharpur, en pays mahratte.)

L’“intolérance” hindoue étant, comme la nôtre, essentiellement défensive, il est bien entendu qu’elle se manifeste — et ne peut moins faire que de se manifester — à l’égard de toute idée ou croyance, ou attitude métaphysique ou morale, considérée comme tendant à saper l’ordre social traditionnel. Mais jamais elle ne s’exercera à l’égard d’un ordre traditionnel différent, en vue de le changer par la force ou même par la persuasion. C’est, je le répète — et on ne saurait trop le répéter — l’“intolérance” de tous les peuples de l’Antiquité, moins les Juifs. Les juges qui ont condamné Socrate à boire la ciguë parce qu’il “ne croyait pas aux Dieux auxquels croyait la cité” n’auraient jamais rêvé d’aller imposer ces mêmes Dieux d’Athènes à un Egyptien ou à un Perse. S’ils avaient pu savoir dans quel sens les idées allaient évoluer et l’histoire se dérouler, le prosélytisme chrétien (ou musulman), les Croisades, la Sainte Inquisition, la suppression des religions indigènes d’Amérique, leur auraient paru aussi monstrueux qu’à nous, les “intolérants” tant détestés d’aujourd’hui. Et nous qui serions prêts à sévir avec la dernière violence contre toutes gens qui, par nature ou par choix, s’opposeraient à la résurgence d’un ordre social et politique basé sur les valeurs raciales aryennes chez les peuples aryens, considérerions comme absurde toute vélléité de prêcher nos valeurs à des Nègres ou, d’une manière générale, à des peuples d’un autre sang que le nôtre. Même pour ce qui est de l’Europe, nous faisons une distinction entre “le Nord” et “le Sud,” — l’élément germanique et l’élément méditerranéen (même si, déjà dans l’Antiquité, ce dernier était assez mêlé au sang des conquérants nordiques: il y a, après toute conquête, un retour graduel à la race des conquis, si

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aucun “système de castes” ou, pour le moins, aucune législation concernant le mariage, ne garantit la survie des conquérants).

Si des Aryens ayant notre mentalité avaient pu, à la place des Espagnols et Portugais, conquérir les Amériques, ils auraient laissé intacts les temples et le culte des Dieux indigènes. Tout au plus, voyant que, dès l’abord, on les prenait eux-mêmes pour des Dieux, se seraient-ils laissé adorer, . . . tout en essayant, de tout leur pouvoir, de devenir et de demeurer dignes de l’être. Et ils auraient puni, avec une sévérité exemplaire, toute intimité ,entre leurs propres soldats et les femmes du pays, ou au moins empêché la naissance d’enfants d’unions mixtes, préservant ainsi la pureté des deux races.