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VII
DEVELOPPEMENT TECHNIQUE ET “COMBAT CONTRE LE TEMPS”
“Quel soleil, échauffant le monde déjà vieux,
Fera mûrir encor les labeurs glorieux
Qui rayonnaient aux mains des nations viriles?”
Leconte de Lisle (“L’Anathème”; Poèmes Barbares.)
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Il est à noter que les Eglises qui, théoriquement, devraient être les gardiennes de tout ce que le Christianisme peut contenir de vérité éternelle1, ne se sont opposées aux savants que lorsque les découvertes de ceux-ci tendaient à mettre en doute ou contredisaient ouvertement la lettre de la Bible. (Chacun connaît les démélés de Galilée avec le Saint Office au sujet du mouvement de la Terre). Mais il n’a, à ma connaissance, jamais été question pour elles de s’insurger contre ce qui me semble être la pierre d’achoppement de toute recherche non-désintéressée des lois de la matière ou de la vie, à savoir, contre l’invention de techniques visant à contrecarrer la finalité naturelle, — ce que j’appelerai des techniques de décadence. Elles n’ont, surtout, pas davantage, dénoncé et condammé catégoriquement, à cause de leur caractère odieux en soi, certaines méthodes d’investigation scientifique, telles, par exemple, que toutes les formes de vivisection. Elles ne le pouvaient pas, étant donné l’anthropocentrisme inhérent à leur doctrine même. J’ai rappelé plus haut que la vision qu’ouvrait à ses initiés d’Occident, au Moyen-Age, l’enseignement ésotérique du Christianisme, ne dépassait pas “l’Etre”. Mais aucune forme exotérique du Christianisme n’a jamais dépassé “l’homme”. Chacune d’elles affirme et souligne le caractère “à part” de cet être, privilégié quelle que soit sa valeur (ou son absence de valeur)
1. Offerte aux fidèles à travers le symbolisme des récits sacrés, comme à travers celui de la liturgie.
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individuelle, quelle que soit sa race ou son état de santé. Chacune clame le souci qu’elle a de son intérêt véritable, et l’aide qu’elle lui offre en vue de la recherche de son “bonheur” dans l’au-delà, certes, mais déjà en ce bas monde. Chacune n’a de sollicitude que pour lui, — “l’homme”, toujours l’homme, contrairement même à tous les “exotérismes” d’origine indo-européenne (Hindouisme ; Bouddhisme), qui, eux, insistent sur les devoirs de leurs fidèles “envers tous les êtres”.
C’est, je pense, justement à cet anthropocentrisme intrinsèque que le Christianisme doit la courte durée de son rôle positif en Occident, — dans la mesure où, malgré toute l’horreur attachée à l’histoire de son expansion, un certain rôle positif peut lui être attribué. Une fois affaiblie, puis morte, l’influence de sa vraie élite spirituelle, — de celle qui, jusqu’au quatorzième ou quinzième siècle peut-être, se rattachait encore à la Tradition, — rien n’a été plus facile pour l’Européen que de passer de l’anthropocentrisme chrétien à celui des rationalistes, théistes ou athées ; que de remplacer le souci du salut individuel des “âmes” humaines, toutes tenues pour infiniment précieuses, par celui du “bonheur de tous les hommes” — aux dépens des autres êtres et de la beauté de la terre, — grâce à la généralisation des techniques de l’hygiène, du confort et des jouissances à la portée des masses. Rien ne lui a été plus aisé que de continuer à professer son anthropocentrisme en se contentant de lui donner une justification différente, à savoir, en passant de la notion de “l’homme”, créature privilégiée parce que “créée à l’image de Dieu” — et, ce qui plus est, d’un “Dieu” éminemment personnel — à celle de “l’homme”, mesure de toutes choses et centre du monde parce que “raisonnable”, c’est-à-dire capable de concevoir des idées générales et de les utiliser dans des raisonnements ; capable d’intelligence discursive, donc de “science”, au sens courant du mot.
Certes, le concept d’”homme” a subi quelque détérioration au cours du processus. Comme l’a fort bien montré A. de Saint-Exupéry, l’individu humain, privé désormais du caractère de “créature à l’image de Dieu” que lui conférait le Christianisme, devient finalement un numéro au sein d’une pure quantité et un numéro qui a de moins en moins d’importance en soi. On comprend alors que chacun soit sacrifié “à la majorité”. Mais on ne comprend plus pourquoi “la majorité”, voire une collectivité de “quelques uns”, se sacrifierait, ou même se dérangerait pour un
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seul. Saint-Exupéry voit la survivance d’une mentalité chrétienne dans le fait qu’en Europe, encore aujourd’hui, des centaines de mineurs risqueront leur vie pour essayer de tirer l’un d’entre eux du trou où il gît emprisonné, sous les débris dûs à une explosion. Il prévoit que nous nous acheminons peu à peu vers un monde où cette attitude, — qui semble encore si naturelle à chacun de nous, — ne se concevra plus. Peut-être ne se conçoit-elle déjà plus dans la Chine communiste. Et il est à remarquer que, même en Occident, où elle se conçoit encore, les majorités sont de moins en moins portées à s’imposer de simples inconvénients pour épargner, à un ou deux individus, non certes, la mort, mais la gêne, et même une véritable souffrance physique. L’homme qu’une certaine musique irrite au plus haut point, et qui n’est pas en cure suffisamment développé spirituellement pour s’en isoler par sa seule ascèse, est forcé de supporter, dans les autobus, et parfois même dans les trains ou les avions, la radio commune, — ou le transistor d’un autre voyageur, — si la majorité des passagers la tolère ou, à plus forte raison, en jouit. On ne lui demande pas son avis.
On peut, si l’on veut, avec Saint-Exupéry, préférer l’anthropocentrisme chrétien à celui des rationalistes athées, fervents des sciences expérimentales, du progrès technique et de la civilisation du bien-être. C’est une affaire de goût. Mais il me semble impossible de ne pas être frappé par la logique interne qui mène, sans solution de continuité, du premier au second, et, de celui-ci à l’anthropocentrisme marxiste, pour lequel l’homme, — lui-même pur “produit de son milieu économique” — pris en masse, est tout, pris individuellement, ne vaut que ce que vaut sa fonction dans l’engrenage, de plus en plus compliqué, de la production, de la distribution et de l’utilisation des biens matériels, au profit du plus grand nombre. Il me semble impossible de ne pas être frappé par le caractère tout autre que “révolutionnaire” et du Jacobinisme, à la fin du dix-huitième siècle, et du Marxisme (et Léninisme), tant au dix-neuvième qu’au vingtième.
C’est l’effusion de sang, dont ces mouvements idéologiques ont vu s’accompagner leur prise de pouvoir, qui fait illusion. On s’imagine volontiers que tuerie est synonyme de révolution ; et que plus un changement est, historiquement, lié à des massacres, et plus il est, en soi, profond. On s’imagine aussi qu’il est d’autant plus radical qu’il affecte plus visiblement l’ordre politique. Or, il n’en
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est rien. L’un des changements les plus réels, et les plus lourds de conséquences durables, dans l’histoire connue, le passage de multitudes d’Hindous de toutes castes du Brahmanisme au Bouddhisme, entre le troisième et le premier siècle avant l’ère chrétienne, — s’est effectué, non seulement sans effusion de sang, sans “révolution” au sens populaire du mot, mais encore sans le moindre bouleversement politique. N’empêche que le Bouddhisme, même qu’il ait été, plus tard, pratiquement éliminé de l’Inde, a bel et bien marqué ce pays pour toujours1.
Le Marxisme-Léninisme est, lui, malgré les persécutions, les batailles, les exécutions en masse, les tortures, les morts lentes dans les camps de concentration, et les renversements politiques qui en ont partout accompagné la victoire, beaucoup trop “dans la ligne” de l’évolution de l’Occident — et du monde, dominé de plus en plus par la technique occidentale, pour mériter le nom de “doctrine révolutionnaire”. Fondamentalement, il représente la suite logique, la suite inévitable, du système d’idées et de valeurs qui sous-tend et soutient le monde surgi à la fois de la Révolution Française et de l’industrialisation de plus en plus poussée qui s’affirme au dix-neuvième siècle ; système dont le germe se trouvait déjà dans le respect quasi religieux des Jacobins pour la “science” et son application au “bonheur” du plus grand nombre d’hommes, tous “égaux en droits”, et avant cela, dans la notion de “conscience universelle”, liée à celle de “raison”, la même pour tous, telle qu’elle apparaît chez un Kant, un Rousseau, un Descartes. Il représente la suite logique de cette attitude qui tient pour légitime toute révolte contre une autorité traditionnelle au nom de la “raison”, de la “conscience”, et surtout des soi-disant “faits”, mis en lumière par la recherche “scientifique”. Il complète la série de toutes ces étapes de la pensée humaine, dont chacune constitue une négation de la diversité hiérarchisée des êtres, y compris des hommes ; un abandon de l’humilité primitive du sage d’une heure, devant la Sagesse éternelle ; une rupture avec l’esprit de toutes les traditions d’origine plus qu’humaine. Il représente, au stade où nous sommes arrivés, l’aboutissement naturel de toute une évolution qui se confond avec le déroulement même de notre cycle
1. On pourrait en dire autant du Jaïnisme, qui y compte encore un ou deux millions de fidèles.
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— déroulement qui s’accélère, à mesure qu’il approche de sa fin, selon la loi immuable de tous les cycles. Il n’a, certes, rien “révolutionné” du tout. Il a seulement accompli les possibilités d’expression de la tendance permanente du cycle, alors que l’expansion de plus en plus rapide de la technique — du mécanisme, sous toutes ses formes, — coïncide avec l’accroissement de plus en plus envahissant de la population du globe.
En un mot, il est “dans la ligne” du cycle, — et plus spécialement de la dernière partie de celui-ci.
Le Christianisme représentait, certes, pour le Monde antique, un changement au moins aussi spectaculaire que celui qu’offre, dans le monde d’aujourd’hui, le Communisme victorieux. Mais il avait, lui, un côté ésotérique qui le rattachait, malgré tout, à la Tradition, et d’où il tirait sa justification en tant que religion. C’est son aspect exotérique qui en a fait, aux mains des puissants qui l’ont encouragé ou imposé, — et tout d’abord aux mains d’un Constantin, — l’instrument d’une domination assurée par un abaissement plus ou moins rapide des élites raciales ; par une unification politique par le bas.1 C’est ce même aspect exotérique — en particulier l’importance énorme qu’il a donnée à toutes les “âmes humaines”, quelles qu’elles fussent, — qui oblige Adolf Hitler à voir dans le Christianisme la “préfiguration du Bolshevisme”, la “mobilisation, par le Juif, de la masse des esclaves, en vue de miner la société”2, la doctrine égalitaire et anthropocentrique ; — antiraciste au plus haut degré, — propre à gagner “les innombrables déracinés”3 de Rome et du Proche Orient romanisé. C’est lui qu’il attaque dans toutes ses critiques de la religion chrétienne, en particulier dans le rapprochement qu’il fait constamment entre le Juif Saül de Tarse, — le saint Paul des Eglises, — et le Juif Mardoccai, alias Karl Marx.
Mais on pourrait dire que l’anthropocentrisme chrétien. séparé, bien entendu, de sa base théologique, existait déjà dans la pensée du monde hellénistique, puis romain ; qu’il représentait même, de plus en plus, le dénominateur commun des “intellectuels”,
1. La pureté de race ne jouait plus aucun rôle sous Constantin. Et même dans l’empire germanique, mais chrétien, de Charlemagne, beaucoup plus tard, un Gallo-romain chrétien avait plus de considération qu’un Saxon ou autre Germain païen.
2. “Libres Propos sur la Guerre et la Paix”, p. 8.
3. “Libres Propos sur la Guerre et la Paix”, p. 76.
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tout autant que de la plèbe, de ces mondes. Je me demande même si on ne le voit pas se dessiner de plus loin, car au sixième siècle avant l’ère chrétienne, Thalès de Milet remerciait, dit-on, les Dieux de l’avoir créé “être humain, et non animal ; homme, et non femme ; Hellène, et non Barbare,” c’est-à-dire étranger.
Il est plus que probable qu’à l’époque alexandrine déjà, un “sage” aurait rejeté les deux dernières (la dernière surtout !) de ces trois raisons de rendre grâce au Ciel. Mais il aurait retenu la première. Et il est douteux qu’il l’eût justifiée avec autant de simple bon sens que Thalès. Or toute exaltation de “l’homme” considéré en soi, et non en tant qu’échelon à dépasser, — non en tant que “moyen”, en vue d’une fin plus qu’humaine, — conduit automatiquement à la surestimation et des masses et des individus les mains intéressants ; à un souci morbide de leur “bonheur” à n’importe quel prix; donc, à une attitude avant tout utilitaire en face de la connaissance comme de l’action créatrice.
En d’autres mots si, d’une part, dans la monde hellénistique — puis romain, des doctrines ésotériques se rattachant plus ou moins à la Tradition — donc des doctrines “au-dessus du Temps” — ont flori au sein de certaines écoles de sagesse antique — chez les NéoPlatoniciens, les Néo-Pythagoriciens, et chez certains Chrétiens, il est, d’autre part, bien sûr que tout ce que le Christianisme conquérant, (exotérique, lui, et à quel degré !) présentait de soi-disant “révolutionnaire” était, tout comme l’intérêt largement porté alors aux applications des sciences expérimentales, dans le sens du Cycle.
Que les Eglises se soient, plus tard, au cours des siècles, opposées a l’énoncé de plusieurs vérités scientifiques, “contraires au dogme” ou supposées telles, cela n’y change rien. Il s’agit là, en effet, d’une pure rivalité entre pouvoirs visant, l’un et l’autre, au “bonheur de l’homme” — dans l’autre monde ou dans celui-ci, — et se gênant mutuellement comme deux fournisseurs de commodités semblables. Si les Eglises, aujourd’hui, cèdent de plus en plus de terrain, si elles sont toutes (y compris l’Eglise romaine), plus tolérantes envers ceux de leurs membres qui — comme Teilhard de Chardin — font à “la science” la part la plus large, c’est qu’elles savent que les gens s’intéressent de plus en plus au monde visible et aux avantages qui découlent, pour eux, de sa connaissance ; de moins en moins à ce qui ne se voit ni ne se “prouve”, —
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et qu’elles font ce qu’elles peuvent pour garder leurs ouailles. C’est qu’elles “suivent le mouvement”, tout en faisant remarquer le plus souvent possible, que les “valeurs” anthropocentriques des athées sont, au fond, les leurs; que c’est même à elles qu’ils les doivent, sans s’en rendre compte.
Aucune doctrine, aucune foi liée à ces valeurs n’est “révolutionnaire”, quels que puissent être les arguments — tirés d’une morale “révélée”, ou d’une “science” économique, — sur lesquels elle s’appuie.
Les vrais révolutionnaires sont ceux qui militent non contre les institutions d’un jour, au nom du “sens de l’histoire”, mais bien contre le sens de l’histoire, au nom de la Vérité intemporelle ; contre cette course à la décadence, caractéristique de tout cycle qui approche de sa fin, au nom de leur propre nostalgie de la beauté de tous les grands recommencements, de tous les débuts de cycles. Ce sont ceux qui, précisément, prennent le contre-pied des soi-disant “valeurs”, en lesquelles s’est graduellement affirmée et continue de s’affirmer l’inévitable décadence, inhérente à toute manifestation dans le Temps. Ce sont, à notre époque, les disciples de Celui que j’ai appelé “l’Homme contre le Temps”, Adolf Hitler. Ce sont, dans le passé, tous ceux qui ont, comme lui, combattu, à contre-courant, la poussée croissante de Forces de l’abîme, et préparé son œuvre de loin ou de près — son œuvre, et celle du divin Destructeur, immensément plus dur, plus implacable, plus loin de l’homme, que lui, que les fidèles de toutes les formes de la Tradition attendent sous divers noms ; “à la fin des siècles”.
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La plupart des gens qui croient connaître l’Hitlérisme, et bon nombre de ceux qui ont assisté de près, voire même participé à sa lutte pour le pouvoir, trouveront paradoxale cette interprétation du Mouvement qui, en transfigurant l’Allemagne a failli — et de combien peu ! — rénover la Terre. C’était, diront-ils, tout le contraire d’un mouvement destiné à mettre fin au présent “règne de la quantité”, avec toute la mécanisation du travail et de la vie elle-même, qu’il implique. C’était une doctrine qui s’adressait visiblement aux masses laborieuses, — masses “de sang pur”, ou supposé tel, à l’instinct sain, sans aucun doute biologiquement supérieures aux éléments enjuivés de l’“intelligentsia”,
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mais “masses” tout de même. L’organisation qui en représentait l’instrument de diffusion ne portait-elle pas le nom éloquent de “Parti national-socialiste des ouvriers allemands”1 ? Et le Führer, lui-même issu du peuple, ne répétait-il pas à satiété, dans ses discours, que seul ce qui vient du peuple, ou du moins y plonge ses racines, est sain, est fort, est grand ? Au fait, le mot “völkisch” est d’une telle résonance dans la terminologie nationale-socialiste, qu’il est devenu on ne peut plus suspect après le désastre de 1945. On l’évite en Allemagne “rééduquée” d’après-guerre, presqu’autant que les mots Rasse (race) et Erbgut (hérédité).
Mais il y a plus : le Führer semble avoir, comme l’ont fait dans le monde moderne peu d’hommes responsables des destinées d’un grand peuple, visé trois buts des plus en accord avec l’esprit de notre époque : un perfectionnement technique toujours plus poussé ; un bien-être matériel de plus en plus général ; et un accroissement démographique indéfini : — des naissances toujours plus nombreuses dans toutes les familles allemandes saines, voire même en dehors du cadre familial, pouvu que les parents fussent sains et de bonne race.
Il est certain que la plupart des déclarations qui illustrent le premier et le dernier de ces buts se justifient par l’état de guerre qui menaçait, ou que subsissait l’Allemagne, au moment où elles ont été faites. En voici une, par exemple, du 9 février 1942 : “Si je disposais maintenant d’un bombardier capable de voler à plus de sept cent cinquante kilomètres à l’heure, j’aurais partout la suprématie . . . Cet appareil serait plus rapide que les plus rapides des chasseurs. Aussi, dans nos plans de fabrication, devrions-nous d’abord nous attaquer au problème des bombardiers” . . . “Dix-mille bombes lâchées au hasard sur une ville n’ont pas l’efficacité d’une seule bombe lâchée avec certitude sur une centrale électrique, ou sur les stations de pompage dont dépend le ravitaillement en eau.” Et plus loin : “Dans la guerre des techniques, c’est celui qui arrive à point nommé avec l’arme qui s’impose, qui emporte la décision. Si nous réussissons à mettre en ligne, cette année, notre nouveau panzer, à raison de douze par division, nous surclasserons de façon écrasante tous
1. “Nationalsozialistische Deutscher Arbeiter Partei” (d’où N.S.D.A.P.)
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les blindés de nos adversaires . . . Ce qui est important, c’est d’avoir la supériorité technique en tout cas sur un point décisif. Je le reconnais : je suis un entiché de la technique. Il faut arriver avec des nouveautés qui surprennent l’adversaire, afin de conserver toujours l’initiative.”1
On pourrait ad infinitum multiplier de pareilles citations, extraites d’entretiens du Führer avec ses ministres ou ses généraux. Elles ne feraient que prouver, chez lui, un sens des réalités, dont l’absence serait pour le moins étonnante auprès d’un chef de guerre.
Il en va de même des idées d’Adolf Hitler sur la nécessité d’un grand nombre d’enfants sains. Son point de vue est celui du législateur, donc du réaliste ; et non seulement de celui qui sait tirer de justes conclusions des observations qu’il a lui-même pu faire, — qui, entre autres choses connaît les conséquences qu’a eues, pour la France, une pernicieuse politique de dénatalité2 mais de celui qui comprend les leçons de l’histoire, et veut en faire bénéficier son peuple. Le Monde Antique, soulignait-il, a dû sa perte à la restriction des naissances parmi les patriciens, et au passage du pouvoir aux mains d’une plèbe de races les plus diverses “le jour où le Christianisme effaça la frontière qui, jusqu’alors, séparait les deux classes”3. Et il concluait, un peu plus loin : “C’est le biberon qui nous sauvera”4. Son point de vue est aussi celui du conquérant conscient de la pérennité de la loi naturelle, qui veut que “le plus digne” soit ultimement, aux yeux du Destin, le plus fort ; conscient, donc, de la nécessité, pour un peuple missionné, — un peuple d’avenir, — d’étre le plus fort.
Adolf Hitler rêvait d’expansion germanique à l’Est. Il l’a dit, et répété. Il apparaît, toutefois, qu’il existait une différence entre ce rêve et celui de ces conquérants d’Orient ou d’Occident qui n’ont euu en vue que l’aventure lucrative. “Je considérerais, comme un crime”, dit-il encore, dans ce même entretien de la nuit du 28 au 29 Janvier 1942, “d’avoir sacrifié la vie de soldats allemands simplement pour la conquête de richesses matérielles
1. “Libres propos sur la guerre et la paix”, traduction de Robert d’Harcourt, p. 297-98.
2. Ibid, p. 254.
3. Ibid, p. 254.
4. Ibid; p. 154.
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à exploiter dans le style capitaliste. Selon les lois de la nature, le sol appartient à celui qui le conquiert. Le fait d’avoir des enfants qui veulent vivre ; le fait que notre peuple éclate dans ses frontières étriquées, cela justifie toutes nos prétentions sur les espaces de l’Est. Le débordement de notre natalité sera notre chance. La surpeuplement contraint un peuple à se tirer d’affaire. Nous ne risquons pas de demeurer figés à notre niveau actuel. La nécessité nous forcera à être toujours à la tête du progrès. Toute vie se paye au prix du sang.”1
Ailleurs, — dans un entretien de la nuit du ler au 2 Décembre 1941 — il dit : “Si je puis admettre un commandement divin, c’est celui-ci : “Il faut conserver l’espèce”. La vie individuelle ne doit pas être estimée à un prix trop élevé.”2
En résumé, c’est “l’espèce” (dans d’autres passages, il est question de la “race”), c’est-à-dire ce qu’il y a de plus permanent, de plus impersonnel, de plus essentiel dans le “peuple” lui- même, qui, aux yeux du Chef du Troisième Reich allemand, compte. Le peuple, — son peuple allemand tant aimé, — devait s’étendre à l’Est, coloniser par la charrue les espaces immenses conquis par la guerre, y édifier une culture qu’il voulait sans précédent ; et cela, non pas parce qu’il était “son” peuple, mais parce qu’il représentait, dans son esprit, la pépinière par excellence d’une surhumanité collective ; parce que, considéré objectivement, il se distinguait par des qualités de santé, de beauté physique, de caractère — de conscience : de dureté à la tâche ; d’honnêteté, de courage et de fidélité ; d’intelligence à la fois pratique et spéculative et de sens esthétique, — qualités qui en faisaient le type idéal de “l’espèce” : l’ensemble humain historique le plus proche de “l’Idée de l’Homme”, au sens platonicien du mot. Il devait, parce que le Führer sentait qu’il le pouvait, et était même, à notre époque, le seul à le pouvoir, jeter les bases d’un “Grand Reich”, qui aurait été bien autre chose qu’une entité politique. Il devait, au cours des siècles qui auraient suivi une victoire de l’Allemagne nationale-socialiste, fonder peu à peu une civilisation nouvelle, saine et belle, fidèle aux Lois fondamentales de la vie (contrairement à la société moderne qui, elle, les nie, ou essaye du moins de les contrecarrer) ; une civilisation propre,
1. “Libres propos sur la guerre et la paix,” traduction de Robert d’Harcourt, p. 254-255.
2. Ibid, p. 139.
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certes, à l’Age Sombre, dans lequel nous sommes plongés, mais centrée, à l’inverse de celle de l’Europe d’aujourd’hui, sur l’incessant combat contre les Forces de désintégration ; contre tout amollissement et tout enlaidissement ; contre “le sens de l’histoire”, qui n’est que décadence.
Et c’est pour être à la hauteur de cette tâche grandiose qu’il devait pratiquer la politique de la vie débordante ; encourager la natalité, certes, mais aussi ne pas s’opposer à la sélection naturelle ; éliminer sans hésitation les tarés, les débiles, les métissés, et assurer la survie des meilleurs.
L’élite des meilleurs, — l’aristocratie naturelle — constituant forcément une minorité, (et cela, de plus en plus, à mesure qu’on avance dans l’Age Sombre), il fallait bien exalter la famille nombreuse, honorer d’une manière spectaculaire les mères les plus fécondes, tout faire pour l’enfant sain, de bonne race, afin que cette minorité soit quand même assez importante pour fournir les cadres d’une organisation indéfiniment conquérante, ainsi que le noyau créateur — les géants de l’art et de la pensée — d’une culture supérieure. Le Führer a d’ailleurs maintes fois souligné son projet d’incorporation totale des élites nordiques, — scandinaves, néerlandaises, danoises, etc. — au Grand Reich qu’il voulait bâtir, et sollicité la collaboration des Aryens (pas obligatoirement “Nordiques”) du monde entier. Cela seul suffirait à montrer combien sa philosophie raciste et ses buts de guerre transcendaient l’Allemagne, tout en y gardant leurs racines. Et il va sans dire qu’il aurait, s’il en avait eu le pouvoir, — à savoir, s’il avait gagné la guerre, — étendu à toute l’élite aryenne de la terre sa politique d’encouragement de la fécondité.
Deux faits prouvent abondamment qu’il s’agissait là, pour lui, de tout autrechose que de projets “dans le sens du Temps”. La quantité des naissances n’était prévue que parce que, sans elle, la qualité — déjà rare, aujourd’hui, même au sein des races supérieures, — risquait de devenir, encore plus rare : les enfants destinés à devenir des hommes d’une valeur exceptionnelle ne sont pas obligatoirement parmi les deux ou trois premiers-nés de leur famille1. On sait ce que perd la race quand meurt un adulte, voire un jeune plein de promesses. On ne “sait pas ce de quoi on prive
1. “Libres propos sur la guerre et la paix”, traduction de R. d’Harcourt, p. 74.
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peut-être la race, chaque fois qu’on empêche un enfant d’être conçu, ou qu’on le supprime avant sa naissance.
D’autre part, l’équilibre naturel entre l’homme et son milieu — autrement dit, le non-pullulement indéfini de l’homme, (même supérieur) — devait être assuré non par une limitation quelconque des naissances (ou des grossesses), mais, d’un côté par l’abolition de toute intervention tendant à encourager la survie des faibles ou des mal-constitués ; de l’autre, par la quasi-permanence de l’état de guerre aux frontières, toujours susceptibles d’extension, du Grand Reich aryen, et par l’attrait que toute activité à la fois utile, ou simplement belle et dangereuse, aurait exercé sur la jeunesse.
Le monde aryen, dominé de près ou de loin par l’Allemagne régénérée, devait être un monde des Forts ; un monde où, tout au moins, l’échelle de valeurs des Forts devait exprimer l’éthique collective. On devait y cultiver l’amour de la vie et de l’action dure et belle, le mépris de la souffrance humaine et de la mort ; en bannir la préoccupation du “bonheur”, la recherche des illusions consolantes, la peur de l’inconnu, et toute manière de faiblesses, de petitesses, de futilités inséparables des civilisations décadentes. On devait en faire un milieu capable d’engendrer et de promouvoir une aristocratie plus qu’humaine — la complète antithèse du règne abrutissant du matérialisme anthropocentrique, soit des Communistes, soit des “sociétés de consommation”.
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Mais ce monde nouveau, inspiré de principes éternels, ce milieu générateur de demi-dieux de chair et de sang, il fallait le forger à partir du matériel humain déjà existant et des conditions, tant économiques que psychologiques, dans lesquelles celui-ci se trouvait. Ces conditions ont d’ailleurs évolué au cours des années qui ont précédé et suivi la Prise de pouvoir, — surtout des années de guerre. C’est de cela qu’il faut tenir compte, si l’on veut comprendre et l’histoire du régime national-socialiste, et le trait que le Troisième Reich allemand a possédé en commun avec toutes les sociétés fortement industrialisées de l’époque moderne, à savoir la place qu’il a donnée aux applications des sciences, ainsi que l’emphase qu’il a mise sur la prospérité matérielle à la portée de tous, sur la vie confortable, voire même luxueuse, présentée comme but immédiat à des millions de gens.
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Il ne faut jamais oublier que “c’est du désespoir de la nation allemande qu’est sorti le National-socialisme”1. Il ne faut jamais perdre de vue le tableau que présentait l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale : l’effondrement économique faisant suite à la catastrophe militaire ; l’humiliation gratuite du peuple le plus vigoureux de l’Europe ; le sentiment qu’avait celui-ci d’avoir été trahi : — livré, pieds et poings liés, à la merci des vainqueurs, alors qu’il s’était battu loyalement et aurait pu, aurait dû triompher ; l’insistance des Commissions alliées sur les réparations à fournir selon les clauses de l’infâme Traité de Versailles ; la menace croissante, puis la tragique réalité de l’inflation ; le chômage ; la faim — et l’usurier juif répondant à la mère de famille allemande, venue lui vendre son alliance pour une somme déjà dérisoire : “Gardez-la ! Vous reviendrez la semaine prochaine me l’offrir pour la moitié de ce prix !”.
Mais . . . “La nuée est déjà moins sombre, où l’aube brille,
Et la mer est moins haute, et moins rude le vent.”2
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Celui qui, “d’âge en âge” prend forme humaine, et revient “quand la Justice est piétinée, quand le mal triomphe”, et rétablit l’ordre . . . pour un temps, veillait, incognito, perdu dans la foule des désespérés. Il s’est levé ; il a parlé — comme parla autrefois Siegfried à la Walkyrie ; comme Frédéric Barberousse, surgi de sa mystérieuse caverne, doit un jour parler à son peuple. Et l’Allemagne prostrée sentit passer sur elle le Souffle divin. Et elle entendit l’irrésistible Voix, — la même ; l’éternelle. Et la Voix disait : “Ce ne sont pas les guerres perdues qui ruinent les peuples. Rien ne peut les ruiner, si ce n’est la perte de ce pouvoir de résistance qui réside dans la pureté du sang”3. Elle disait : “Deutschland erwache !” — “Allemagne éveille-toi !”. Et les faces hagardes, et les faces lasses, — les faces des hommes qui avaient fait leur devoir, et cependant tout perdu ; de ceux qui avaient faim de pain et faim de justice — se sont dressées ; les yeux éteints ont rencontré le regard lumineux du vivant Soldat inconnu, simple caporal de l’armée allemande, qui avait comme eux “fait la guerre”. Et ils ont vu en lui le regard immortel de Frédéric à la barbe rousse, dont l’Allemagne attend le retour ;
1. “Libres propos sur la guerre et la paix”, p. 252.
2. Leconte de Lisle, “Les Erinnyes”, 2ème partie, iii.
3. “Mein Kampf”, edit, 1935, p. 324.
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de Celui qui est revenu cent fois au cours des siècles, en divers lieux sous divers noms, et dont la terre entière attend le retour. Du fond de la poussière, l’Allemagne lui a crié son allégeance. Galvanisée, transfigurée, elle s’est levée et l’a suivi. Elle s’est donnée à lui dans la ferveur de sa jeunesse reconquise — à lui en qui son intuition atavique avait reconnu le Dépositaire de la Vérité totale. Elle s’est donnée à lui comme la Walkyrie à Siegfried, vainqueur du Dragon, maître du Feu.
“Nulle part au monde n’existe un amour aussi fanatique de millions d’hommes pour un seul”1, écrit Dr. Otto Dietrich, dans un livre de l’époque consacré à la personne du Führer. C’est cet amour, l’amour inconditionnel des petites gens : des ouvriers d’usine et artisans sans travail ; des boutiquiers ruinés; des paysans dépossédés ; des employés sans emploi ; de tout le brave peuple d’Allemagne et d’une minorité d’idéalistes inspirés — qui porta au pouvoir suprême le Dieu de toujours, revenu sous la forme de l’éloquent ancien combattant de la guerre précédente. C’est à la magie de son verbe, au rayonnement de son visage, à la puissance qui émanait de chacun de ses gestes, qu’ils L’ont reconnu. Mais c’est sa fidélité à ses promesses du temps de la lutte pour le pouvoir qui les attacha à lui, indéfectiblement, jusque dans le brasier sans, répit de la Seconde Guerre mondiale et, — plus souvent que l’observateur superficiel ne le croit, — jusqu’au-delà du désastre absolu de 1945.
Que leur avait-il promis? Avant tout : “Arbeit und Brot” — du travail et du pain ; “Freiheit und Brot” — la liberté et du pain ; la suppression de ce “Diktat” de Versailles : de ce traité imposé à l’Allemagne, le couteau à la gorge, et prétendant sceller à tout jamais sa position de nation vaincue et démembrée, — une place au soleil pour le peuple allemand ; le droit, pour lui, de vivre dans l’honneur, l’ordre et la prospérité, grâce aux vertus dont le nature l’a comblé ; le droit pour lui, enfin, de récupérer dans son sein ses frères de sang, arrachés à la patrie commune contre leur volonté. (Le parlement autrichien avait, en 1918, — on l’oublie trop souvent, — voté à l’unanimité le rattachement du pays à l’Allemagne).
Les politiciens, et surtout ceux qui accèdent au pouvoir “par la voie légale et démocratique” — comme Adolf Hitler y a
1. “Nirgends auf der Welt gibt es eine derart fanatische Liebe, von millionen Menschen zu einem . . . .”
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accédé, — tiennent rarement les promesses qu’ils ont faites du haut des tribunes électorales, ou inscrites en toutes lettres sur leurs affiches et pamphlets de propagande. Les patriotes sincères ne tiennent pas forcément les leurs ; il leur arrive d’être dépassés par les évènements ; de se tromper, même quand ils n’ont pas menti. Seuls les Dieux ne mentent ni ne se trompent. Eux seuls sont fidèles, toujours. Adolf Hitler a tenu intégralement toutes les promesses qu’il avait faites au peuple allemand avant la Prise de pouvoir. Bien plus : il a donné au-delà de ce qu’il avait promis. (Et si la fatalité même de l’Age dans lequel nous vivons n’avait mis obstacle à son élan ; s’il n’avait pas été trop tard pour qu’un dernier redressement à contre-courant du Temps fût possible, et trop tôt pour espérer, si vite (et à si peu de frais) la fin de ce cycle temporel et l’aube du suivant, il aurait donné bien davantage encore, et à son peuple et au monde entier).
C’est à sa volonté de tenir intégralement tout ce qu’il avait promis, qu’il faut rattacher l’énorme développement industriel, technique — matériel — du Reich, dont il a été l’inspirateur bien avant la guerre de 1939, dès sa mainmise sur le gouvernement Il avait promis à son peuple “du travail et du pain”. Plus de sept millions de chômeurs avaient les yeux fixés sur lui. Ils avaient voté pour lui ; pour son parti ouvrier, ils l’avaient — et leurs fils l’avaient bien souvent, avec eux, — aidé à tenir la rue, dans les échaffourées où s’étaient affrontés, pendant treize ans, ses fidèles et les Communistes. Il ne pouvait les décevoir. D’ailleurs, il les aimait. Dix ans plus tard, — au faîte de la gloire — il parlera encore avec émotion “des humbles” qui s’étaient joints à son Mouvement “alors qu’il était petit”, et pouvait être cru voué à l’échec.
Or, il était impossible d’occuper sept millions de chômeurs, et de rendre à un pays de quatre-vingt millions d’habitants la force et la prospérité — la prospérité, première source de force — sans encourager intensément l’industrie tout en entreprenant toutes sortes de travaux publics. Aussi, bien vite, les usines que l’instabilité de la situation politico-économique du temps de la République de Weimar avait contraintes de fermer leurs portes, se mirent-elles à fonctionner à plein rendement, et y eut-il, d’un bout à l’autre du Reich, une fièvre sans précédent de construction, de transformation, de remaniements gigantesques. C’est
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alors que furent aménagées ces centaines de kilomètres d’autobahns à quadruple voie, bordées de forêts, objets d’admiration de tous les voyageurs qui ont eu le bonheur de visiter l’Allemagne à cette époque (ou même plus tard, car la plupart de ces routes grandioses subsistent encore). C’est alors que furent exécutés certains de ces grands ensembles architecturaux qui étaient la gloire de l’Allemagne hitlérienne, — tels, à Munich, le monument à la mémoire des Seize tombés le 9 Novembre 1923, ou la Maison Brune ; ou à Berlin, la Nouvelle Chancellerie du Reich ; ou à Nuremberg, au stade de Zeppelin Wiese, l’escalier monumental, dominé par un double péristyle reliant trois énormes pylones aux portes de bronze massif, — un central ; deux latéraux, — escalier du haut duquel, lors des grandes solennités du Parti, le Fûhrer voyait défiler les formations S.A. et S.S, celles de la Hitler Jugend, du “Front du Travail”, et de l’Armée allemande, et d’où il haranguait les multitudes qui débordaient les tribunes et l’immense terrain. Ces travaux d’art et de maçonnerie, que Robert. Brasillach a qualifiés de “mycéniens” pour bien en montrer la puissance écrasante, — que d’autres ont rapprochés des œuvres les plus imposantes de l’architecture romaine — étaient, dans l’esprit d’Adolf Hitler, destinés à durer. Et ils auraient duré, — défié les siècles, — si l’Allemagne avait gagné la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient occupé des milliers d’ouvriers, tout en les saisissant de leur propre grandeur en tant qu’Allemands. Adolf Hitler voulait aussi que l’industrie la plus moderne, — celle qui permet à un pays, toujours plus peuplé au sein d’un monde à démographie galopante, d’augmenter indéfiniment sa production et d’élever son “standard de vie”, tout en se rendant et en demeurant indépendant de l’étranger sinon en le battant sur son propre terrain, — aidât l’homme de son peuple à se saisir de sa propre grandeur.
Sans doute comprenait-il fort bien, lui, que non seulement la technique n’était pas tout, mais qu’elle était même peu de chose, en regard d’autres domaines, — de celui de la qualité de l’homme, par exemple. Mais il se rendait aussi compte que, sans elle, il n’y avait, dans le monde actuel, le monde correspondant au stade avancé de l’Age Sombre — ni puissance ni indépendance possible ; ni survie digne de ce nom. Il était tout aussi conscient de ce fait qu’ont pu l’être, au moment de leur choix forcé, en 1868, les chefs réalistes du Japon traditionnel, ou que
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devaient l’être, après 1947, certains des hommes qui, aux Indes, ont pris sur eux de rejeter la conception archaique que Gandhi avait eue de l’autarcie, et de procéder à l’industrialisation du pays, contre son gré. Mais il était, de plus, en tant qu’Européen, et surtout en tant qu’Allemand, conscient du fait que, pour imparfaite qu’elle soit, comparée aux splendides créations aryennes passées, récentes ou lointaines, la technique moderne, fille de la science. expérimentale, n’en reste pas moins, en soi, un exploit de la race des maîtres, et un argument de plus en faveur de sa supériorité. Il ne la mettait certes pas sur le même plan que l’œuvre des musiciens allemands classiques, en particulier, que celle de Richard Wagner, son compositeur préféré, ni qui celle des bâtisseurs de cathédrales gothiques ou de temples antiques ; ni que celle des sages aryens, de Nietzsche jusqu’aux bardes védiques, en passant par la pensée grecque. Mais il voyait en elle la preuve que le dernier et le plus grossier accomplissement de l’homme à l’Age Sombre, le seul grand accomplissement dont il soit encore capable, quand ni l’art véritable ni la pensée pure ne l’intéresse plus, est encore un produit du génie aryen.
C’est cela sans doute qui, avec son désir de donner à son peuple le moyen de rester fort, au millieu d’un monde de plus en plus mécanisé, l’a porté à promouvoir l’industrie nationale et à tout faire pour élever le niveau de vie matérielle de chacun de ses compatriotes.
Il est certain qu’il s’intéressait aux machines — à toutes les machines, des engins de guerre les plus perfectionnés, jusqu’aux vulgaires machines à écrire, qui évitent de perdre le temps “à déchiffrer les griffonnages”1. Il parlait, dit-on, de chacune, avec une telle précision de connaissances techniques, — lui, l’autodidacte, en ce domaine comme en tous les autres ! — que les spécialistes en demeuraient bouche-bée.
Il avait une nette sollicitude pour la voiture automobile. Non seulement en pouvait-il discuter les différents modèles de moteurs avec n’importe quel technicien chevronné2, mais il aimait ce mode de transport. Parlant, dans un entretien du 3 au
1. “Libres propos”, p. 75.
2. “Je continue de m’intéresser à chaque progrès nouveau dans ce domaine”, dit-il dans un entretien de la nuit du 24 au 25 Janvier 1942, dont la plus grande partie est consacrée à ses chauffeurs et à des problèmes concernant les voitures.
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4 Février 1942, de ses, souvenirs de la Kampfzeit, — de l’époque de sa lutte pour le pouvoir, il dit, entre autres : “La première chose que je fis en sortant de la prison de Landsberg, le 20 Décembre 1924, fut d’acheter ma Mercédès à compresseurs. Bien que je n’aie jamais conduit moi-même, j’ai toujours été un passionné de l’automobile. J’ai aimé tout particulièrement cette Mercédès. De la fenêtre de ma cellule, dans la forteresse, je suivais des yeux les voitures qui passaient sur la route de Kaufbeuern, et je me demandais si le temps reviendrait où je roulerais de nouveau”1. Tout le monde connaît la part qu’il a eue à la création et au lancement de la “Volkswagen”, la voiture populaire, au mécanisme solide, qu’il aurait voulu voir en la possession de chaque famille ouvrière ou paysanne allemande.
Et il semble avoir été, dans d’autres domaines encore de la vie quotidienne, tout autre qu’un adversaire de la standardisation. Voici, par exemple, ce qu’il dit dans un entretien du 19 Octobre 1941, rapporté dans ces “Conversations autour de la table” (“Tischgespräche”) traduites en français sous le titre de “Libres propos sur la Guerre et la Paix” : “Construire une maison ne devrait consister en rien d’autre qu’en un montage, ce qui n’entraînerait pas obligatoirement une uniformisation des logements. On peut varier le nombre et la disposition des éléments, mais ils doivent être standardisés. Celui qui veut en faire plus qu’il ne faut saura ce que cela lui coûte. Un Crésus n’est pas en quête de “trois pièces” au prix le plus bas. A quoi cela sert-il d’avoir cent modèles différents de lavabos ? Pourquoi ces différences dans les dimensions des fenêtres et des portes ? Vous changez d’appartement, et vos rideaux ne peuvent plus servir. Pour mon auto, Je trouve partout des pièces de rechange ; pas pour mon appartement . . . Ces pratiques ne subsistent que parce qu’elles constituent, pour ceux qui vendent, une possibilité de gagner plus d’argent. D’ici une année ou deux, il faudra que ce scandale ait cessé.” . . . Il faudra également dans le domaine de la construction, moderniser l’outillage. L’excavateur dont on se sert encore est un monstre préhistorique, comparé au nouvel excavateur à spirale. Quelles économies on réaliserait ici par la standardisation ! Le désir qui est le nôtre, de donner à des millions
1. “Libres propos”, p. 276.
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d’Allemands des conditions de vie meilleures, nous contraint à la standardisation, et donc à nous servir d’éléments normalisés, partout où la nécessité n’impose pas de formes individualisées.
La masse ne pourra jouir des agréments matériels de la vie que si on l’uniformise. Avec un marché de quinze millions d’acheteurs, il est tout à fait concevable qu’on puisse construire un appareil de radio bon marché et une machine à écrire populaire”.1
Un peu plus loin, dans le même entretien, il dit : “Pourquoi ne pas donner à l’école primaire des cours de dactylographie ? A la place de l’enseignement religieux, par exemple. Cela ne me gênerait pas.”2
Il semble difficile d’aller plus résolument dans ce que j’ai appelé “la direction du temps”, — d’en accepter plus volontiers le côté peut-être le plus rebutant : cette tendance, précisément, à l’uniformisation par le bas : à l’éclosion en série d’objets tous semblables, de goûts identiques, d’idées interchangeables ; d’hommes et de femmes interchangeables ; de robots vivants, car comment ne pas sentir que l’uniformité de l’environnement intime facilite l’uniformité des gens ? Est-ce le Combattant contre cette décadence générale qui caractérise notre “fin de cycle” ; est-ce Celui qui revient d’âge en âge prendre la relève dans la lutte de plus en plus héroîque, de plus en plus désespérée, à contre-courant du Temps, ou est-ce un flatteur de l’appétit du confort bon marché, — un démagogue, — qui parle dans cet entretien ?
Si on peut, certes, encore rendre hommage au génie aryen dans les inventions les plus éblouissantes de la technique moderne, il ne saurait plus, ici, s’agir de cela. Doit-on alors admettre l’existence d’une contradiction profonde dans la personnalité même du Führer ? — d’une opposition entre l’Architecte de la surhumanité, et le politicien désireux de plaire à la plèbe en lui fournissant “des conditions de vie meilleures” ?
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On pourrait peut-être l’admettre, s’il était question d’un politicien. Mais le Chef de l’Allemagne nationale-socialiste était tout autre chose. Il représentait, comme je l’ai répété, la plus
1. “Libres propos”, p. 75.
2. “Libres propos”, p. 75.
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récente des manifestations visibles et tangibles de Celui qui revient périodiquement se mettre à la tête de ce combat “contre le Temps”, qui dure, en s’intensifiant, depuis la fin de l’impensable Age d’Or, loin, très loin derrière nous, et qui, en même temps, annonce le prochain Age d’Or, bienheureux début du cycle suivant. Toute action qu’il a pu avoir dans le sens du Temps ne s’explique pleinement qu’à la lumière de sa mission contre le Temps de son effort désespéré de redressement, accompli, — cela va de soi — dans les conditions actuelles du monde, c’est-à-dire très près (relativement) de la fin du présent cycle. C’est l’action d’un initié, donc d’un visionnaire (non au sens de “victime d’hallucinations”, mais au sens d’homme capable de considérer le temps — y compris celui où il vivait, et les gens qui y vivaient avec lui, — du point de vue de l’éternel Présent) ; l’action d’un prophète, — réaliste comme tous les vrais prophètes le sont.
Il voyait très clairement — et point n’était pour cela nécessaire d’être initié ou prophète, — l’intérêt croissant des masses pour “les agréments matériels de la vie”, et l’absurdité de tout effort visant à les en détourner. Il comprenait qu’à une époque dominée de plus en plus par la technique, il ne peut en être autrement. Bien plus, il comprenait qu’il n’en avait, au fond, jamais été autrement ; que seule la nature des “agréments matériels” pouvait changer, non la tendance de la majorité des gens à leur donner une énorme importance, — et cela pour la simple raison que les masses sont les masses, partout et toujours. Il savait que, si les races humaines sont inégalement douées, les hommes le sont aussi au sein d’une même race, voire d’un même peuple ; qu’en particulier, à côté de l’élite allemande que tous ses efforts — tendaient à promouvoir, il y avait — et y aurait toujours, même après l’installation de “l’ordre nouveau” national-socialiste, — la masse.
Dans un entretien rapporté par Hermann Rauschning — cet homme qui est devenu l’ennemi de la foi hitlérienne dans la mesure même où il s’est mis à en saisir au moins quelques aspects, et que, par conséquent, nous devons croire toutes les fois que les paroles qu’il cite sont vraiment dans l’esprit de celui qui est sensé les avoir prononcées, — le Führer expose, dès l’été de 1932, sa conception de l’ordre social allemand, tel qu’il doit, A ses yeux, émerger de la révolution qu’il dirige. “Il y aura”, dit-il, “une classe de seigneurs provenant des éléments les plus
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divers, qui sera recrutée dans le combat et trouvera ainsi sa justification historique. Il y aura la foule des divers membres du Parti, classés hiérarchiquement. C’est eux qui formeront les nouvelles classes moyennes. Il y aura aussi la grande masse des anonymes, la collectivité des serviteurs, des mineurs ad aeternum. Peu importe que, dans la ci-devant société bourgeoise, ils aient été des propriétaires agricoles, des travailleurs ou des manœuvres. La position économique et le rôle social d’autrefois n’auront plus la moindre signification.”1
Il y avait, donc, et il devait y avoir, pour lui, même au sein du bon et brave peuple allemand qu’il aimait, une masse irréductiblement “mineure” — masse sympathique, certes, car de bonne race aryenne, malgré sa lourdeur et sa naiveté, et dont pourraient surgir et se détacher, parfois, des individus exceptionnels ; mais, dans l’ensemble, une masse tout de même, avec toute la médiocrité que ce mot suggère. C’est à elle que le Führer offrait une vie de plus en plus standardisée, pleine d’agréments à sa portée, agréments “matériels” surtout, cela va sans dire : la maison bon marché (démontable et remontable), dont les pièces, les mêmes partout, seraient faciles à trouver ; la radio, la machine à écrire, et autres commodités au rabais. Il suffit de se souvenir combien il était artiste jusqu’au plus profond de son être et, en particulier, combien il possédait le sens inné de tout ce qui “avait de l’allure”, pour s’imaginer le secret mépris qu’il devait ressentir à l’égard de toute uniformité par le bas, piteuse caricature de l’unité, principe de synthèse créatrice. Il suffit de penser à son propre style de vie — à sa frugalité légendaire, dans un cadre aussi beau que possible ; au fait qu’à Vienne, par exemple, durant les années de misère qui devaient le marquer si profondément, il se passait de nourriture afin de se payer une place au “poulailler” et d’entendre et de voir jouer quelqu’opéra de Wagner — pour mesurer l’abîme qui le séparait de toute humanité vulgaire, et plus spécialement d’un certain type adipeux de plébéien teuton, dont la conception du bonheur est évoquée schématiquement, mais avec force et justesse, dans le titre d’un disque émané de l’Allemagne repue de 1969, “Sauerkraut und Bier” — “Choucroute et bière”. Ce type, lui, n’a pas attendu 1969 pour apparaître, mais était largement représenté parmi les.
1. H. Rauschning, “Hitler m’a dit”, traduit de l’allemand par A. Lehmanu treizième édition, Paris 1939, page 61.
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foules qui, entre 1920 et 1945, ont acclamé Adolf Hitler ; ont voté pour lui ; ont — surtout après la prise de pouvoir, — afflué dans les rangs du Parti et contribué à porter le nombre de ses membres à quatorze millions.
Cet abîme qui existait entre le Führer et les hommes de son peuple les plus épais (physiquement et intellectuellement) ou seulement les plus médiocres ne l’empêchait pas, je le répète, de les aimer. Il voyait, au-delà de leur individualité bornée, les beaux enfants qui pouvaient jaillir d’eux, le sang ayant bien des mystères. Et il voyait le Reich, qu’il était entrain de reformer de fond en comble afin d’en faire le centre d’un Empire pan-aryen, et il savait qu’“à leur place”, ils en faisaient partie. Et si, comprenant leurs limitations et l’impossibilité de les leur faire dépasser, il leur offrait à chacun une vie matérielle confortable, “agréable” dans sa croissante uniformité, — vie qu’il ne proposait absolument pas à l’élite, comme il est à noter, il leur offrait aussi, dans les cérémonies publiques de plus en plus grandioses : les défilés interminables, à la musique des chants de combat, à travers les rues pavoisées ; les processions nocturnes, à la lumière de vraies torches ; les fêtes de la Moisson ; les fêtes du Travail ; les fêtes de la Jeunesse ; les magnifiques assises annuelles du Parti, à Nuremberg, des jours durant, dans le déploiement d’innombrables drapeaux rouges à croix gammée noire sur cercle blanc, au pied des pylones géants au haut desquels se tordait la flamme surgie des massives coupes de bronze, du matin au soir au grand soleil, et du soir jusqu’au milieu de la nuit, sous la phosphorescence irréelle des colonnes de lumière faillies des projecteurs tout autour de. l’immense champ de réunion, pilliers de ce qu’on appelait alors une “cathédrale de lumiére” — “Lichtdom” ; il leur offrait, dis-je, dans tout cela, ainsi que dans ses propres discours radiodiffusés, et surtout dans le magnétisme de sa présence, une ambiance, telle qu’aucun peuple n’avait encore eu le privilège d’en connaître. Les gens les moins intuitifs, les moins artistes, — les plus lourds — subissaient cette atmosphère magique qui les soulevait, malgré eux, au-dessus d’eux-mêmes ; qui les transformait peu à peu, à leur insu, par le seul fait de l’enivrement quasi-quotidien qu’elle leur versait : enivrement de la beauté ; vertige de la force ; contact répété avec l’égrégore même de l’Allemagne, qui les possédait, les tirant de leur insignifiance, et les rendant un instant à ce qu’il y avait
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en eux d’éternel, au rythme envoûtant des “Sieg ! Heil !”, lancés de cinq cent mille poitrines.
Ils subissaient cette ambiance et, tant qu’ils demeuraient “sous le charme”, ils étaient grands — plus grands que tous les peuples ; plus grands que les hommes, Allemands ou visiteurs étrangers, qui, individuellement plus raffinés, plus intelligents, meilleurs que chacun d’eux, restaient, pour une raison ou pour une autre, insensibles à ce charme au sens fort du mot. Car ils participaient alors à la puissance divine qui émanait de Celui qui les appelait au combat contre les Forces sinistres de la décadence. Ils étaient alors englobés dans la beauté de son rêve. Et il suffit de se souvenir des imposantes solennités du Troisième Reich, si on en a vu quelqu’une, ou d’en lire une description de visu (celle, par exemple, que Robert Brasillach a faite du Congrès du Parti à Nuremberg, en Septembre 1935, dans son roman “Les Sept Couleurs”), ou seulement d’en regarder de bonnes photographies dans les quelques albums de l’époque qui nous restent encore, pour se rendre compte combien elles étaient belles ; — belles et populaires ; — et combien elles différaient par là même des fêtes officielles, même accompagnées de parades militaires, d’autres pays, sous d’autres régimes.
A l’inverse. de ce qui se passe dans les déploiements organisés de ferveur patriotique collective, dont les gouvernements du “monde libre” régalent périodiquement — en fait, de plus en plus rarement, — leurs citoyens, on n’y remarquait ni faces lasses, ni veux éteints ; pas le moindre signe de participation à contrecoeur, ou d’ennui. Et, contrairement aux manifestations collectives parallèles du monde communiste, elles ne présentaient rien de vulgaire. On n’y voyait, placardés aux constructions environnantes ou défilant avec les formations politiques, militaires et paramilitaires, — brandi bien haut, au-dessus de leurs rangs, — aucun de ces daguérrotypes monstrueux, aux dimensions démesurées, figurant le dictateur, ou quelqu’idéologue “père du peuple”, vivant ou mort ; aucune de ces bandes hétéroclites, barbouillées de slogans démagogiques ; rien, je le répète, rigoureusement rien de l’attirail de carton-pâte du prolétaire en délire.
Il y a plus. Elles étaient, ces extraordinaires solennités de l’Allemagne nationale-socialiste, belles au sens où le sont les œuvres d’art à signification cosmique. Non seulement s’y étalait
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à profusion, sur les plis des étendards rouges, blancs et noirs (elles-mêmes, couleurs symboliques), sur les oriflammes immenses, sur les brassards des hommes, sur le granit des tribunes du haut desquelles le Führer communiait avec son peuple, l’immémoriale Croix gammée, symbole métaphysique et non pas simple image rappelant telles ou telles activités humaines, ou idées à la mesure de l’homme, mais encore les gestes qui s’y accomplissaient, les paroles qui s’y répétaient, immuables, à chaque occasion, étaient symboliques, liturgiques. (Que l’on songe, entre autres, à la consécration des nouveaux drapeaux qu’Adolf Hitler mettait, un à un, en contact avec le vieil “Etendard du Sang”, tout chargé du magnétisme des morts du 9 Novembre ; ou au dialogue rituel du Führer avec les chefs de file et les jeunes recrues des formations paysannes de l’Arbeitsdienst, debout en ordre parfait devant lui, armés de leur pelle comme des soldats de leur fusil : “Etes-vous prêts à féconder la sainte terre allemande?” — “Oui ; nous sommes prêts.”)
Elles étaient, ces solennités, elles-mêmes symboliques. Elles étaient de gigantesques drames sacrés ; des mystères, où l’attitude, le verbe, le rythme créateur, — et le silence dans lequel les centaines de mille communiaient avec le Centre de leur être collectif, — évoquaient le sens caché, le sens éternel de l’Ordre Nouveau.
Seul Celui qui revient d’âge en âge pouvait, en plein règne de la technique à outrance — et de la standardisation abrutissante, saisir entraîner, ravir hors d’elles-mêmes des masses ouvrières, et les faire participer à de tels mystères ; les transfigurer ; leur insuffler ne fût-ce que pour quelques brèves années, — même à elles ! même aux spécimens humains les plus épais parmi elles ! — l’enthousiasme des régénérés.
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