193
VIII
LES DEUX GRANDS MOUVEMENTS MODERNES ET LA TRADITION
“Toutes les fois que la justice est en péril, ô Bharata, et que l’injustice est exaltée, alors, Moi-même Je reviens. Pour la protection des bons, pour la destruction des méchants, et pour l’établissement d’un règne de justice, je renais d’âge en âge”.
La Bhagawad-Gîta, IV, versets 7 et 8.
|
Au fait, l’évidente différence de “style”, comme d’esprit, qui sépare les grandes manifestations collectives de foi hitlérienne, sous le Troisième Reich, des expressions parallèles du Marxisme en Russie (ou en Chine) et, à plus forte raison, des cortèges sans ordre des jeunes débraillés de la “Nouvelle Gauche”, d’une part, et d’autre part, des parades officielles des ploutocraties libérales, recouvre une opposition fondamentale de nature : l’opposition entre la Tradition et l’Anti-tradition, pour employer le language de René Guénon ou d’Evola.
J’ai, tout au début de ces entretiens, essayé de montrer qu’une doctrine visiblement “politique” peut, parfois, servir de base à une religion, pourvu qu’elle soit associée à des rites, — c’est-à-dire à un symbolisme, — et qu’elle devienne, pour l’ensemble de ses adhérents, objet de foi. Mais je rappelle qu’elle ne peut servir de fondement à une vraie religion que si les propositions sur lesquelles elle s’étaye sont l’expression de vérités éternelles, ou ne se justifient qu’à la lumière de telles vérités, en d’autres termes, se rattachent légitimement à la Tradition. Une vraie religion est l’ensemble des croyances et des gestes symboliques — rites et coutumes, liés à ces croyances — qui, dans une “civilisation traditionnelle”, donne expression à la conscience du sacré. D’autre part, une “civilisation traditionnelle” est, d’après René Guénon, “celle qui repose sur des principes au sens vrai de ce mot, c’est-à-dire, où l’ordre intellectuel domine tous les autres, où tout en procède directement ou indirectement et, qu’il s’agisse de sciences ou d’institutions sociales, n’est, en définitive, qu’applications
|
194
contingentes, secondaires et subordonnées, des vérités intellectuelles.”1. Et il est bon d’ajouter que ce que le sage entend ici par “vérités purement intellectuelles” et “ordre intellectuel”, ce sont les lois mêmes de l’existence universelle, manifestée ou non-manifestée, et l’ordre permanent derrière tout ce qui passe ; l’éternel.
Il est à peine nécessaire de souligner que les “valeurs” et les “vérités” nominalement exaltées dans les solennités civiles des Démocraties d’Occident, — voire même dans l’enseignement laïc, donné aux jeunes de ces dites Démocraties — non seulement ne s’insèrent dans aucune forme particulière de la Tradition, mais ne possèdent même plus, serait-ce en tant que simples mots, assez de résonnances pour susciter l’esquisse d’un quelconque puissant système anti-traditionnel — sans parler de “fausse religion”, c’est-à-dire de religion fondée sur une négation voulue de la Tradition : une contre-initiation. Non. Si un empiètement toujours plus implacable de la technique rapproche le monde des ploutocraties du monde communiste à un tel point qu’on peut, théoriquement au moins, dire qu’il n’y a rien à choisir entre l’un et l’autre, il y a tout de même, entre eux, une différence. Le monde des ploutocraties (et de leurs satellites) n’a aucune foi, et ne se rattache (et cela, depuis longtemps déjà) à aucune vision, au-delà du sensible et du passager. Si quelques individus ou groupes d’individus y possèdent encore une connaissance de l’éternel, ils n’ont plus aucune influence sur l’ensemble de la société ; ils se taisent, et attendent, s’efforçant tout au plus de demeurer eux-mêmes et de se reconnaître entre eux. Les masses y sont abandonnées à la dispersion dans la grisaille des petits soucis et des petits plaisirs quotidiens. Elles n’y sont pas embrigadées du tout. D’autre part, de la vieille foi de leurs Eglises, elles n’ont retenu qu’un vernis de conformisme qui s’effrite de plus en plus, et que cet anthropocentrisme commun à tout enseignement imaginé par des Juifs, pour consommation aryenne. Les élites, ou soi-disant telles, n’en ont, à quelques individus près, guère retenu davantage.
L’Occident vit de son acquis — pour combien de temps encore ?
Vidé de toute volonté de puissance, refusant tout risque,
1. R. Guénon, “Orient et Occident”, p. 150.
|
195
maudissant toute agressivité (sauf celle qu’il a lui-même déployée, de 1939 à 1945 et au-delà-dans ses efforts de “dénazification” de l’Allemagne — contre le seul peuple et la seule foi qui auraient pu l’entraîner dans un prodigieux redressement), il se laisse glisser dans la déchéance confortable, il s’enlise dans un précaire bien-être, se mécanise, s’américanise, se prolétarise, jusqu’à ce qu’il tombe un jour de lui-même, à la suite de croissantes infiltrations d’idées et . . . d’agents d’autant plus efficients qu’ils sont plus silencieux, sous le dépendance du monde communiste, ou qu’il en devienne, par droit de conquête, partie intégrante.
Mais, s’il est vrai que la Démocratie libérale, avec ses superstitions du suffrage universel, de l’instruction primaire (et bientôt, secondaire !) obligatoire, et de la vaccination généralisée, en d’autres termes, avec son culte de l’égalité et de la quantité — mène droit au Marxisme, elle n’est pas le Marxisme. La décadence à laquelle elle préside est toute pénétrée, certes, d’esprit nettement anti-traditionnel, — toute décadence l’est ; c’est là son essence même. Mais elle représente un processus naturel, signe de sénilité, tout au plus encouragé par certains agents conscients des Forces sombres, oeuvrant en sourdine, en haut lieu, dans le sens de l’anti-tradition. Elle n’est pas liée à un effort systématique, longtemps et froidement coordonné, et magistralement dirigé, de subversion voulue de l’ordre traditionnel, comme l’est celle que les zélateurs du Marxisme ont, sinon provoquée, du moins accélérée dans tous les pays où ils ont pris le pouvoir.
En d’autres termes il y a, entre le monde dit “libre”, aux élites désabusées, aux multitudes n’aspirant qu’au bonheur facile et au succès immédiat, et le monde communiste, aux masses farouchement disciplinées, dominées par des dirigeants dont certains, — tels Lénine, Staline, ou Mao-Tsé-Toung — laisseront dans l’histoire une marque indélibile, (et dont les plus puissants ne sont pas nécessairement les plus connus), à peu près la même analogie qu’entre un homme qui se laisse vivre, sans foi, sans élan quel qu’il soit au-delà du domaine des sens, sans participation à aucun rite, et un homme qui assiste à des messes noires. C’est la différence entre l’absence de toute vélléité de développement initiatique, et la réelle contre-initiation. Et c’est précisément pour, cette raison que “la petite marge de liberté matérielle que le monde de la démocratie accorde encore, dans quelques activities . . .
|
196
à qui ne se laisse pas intérieurement conditionner” . . . “disparaîtrait certainement sous un régime communiste”1. Une société sans ordre est, cela va sans dire, moins intolérante en pratique qu’une société édifiée sur l’ordre “à rebours” — ou que celle dont la structure reflète l’Ordre véritable.
* * *
J’ai déjà insisté sur la contre-vérité à la base du Marxisme, à savoir sur cette assertion selon laquelle l’homme se réduirait à ce que fait de lui son milieu économique. Je n’y reviendrai pas. Qu’il me suffise de souligner le caractère contre-nature — contre la loi fondamentale de toute manifestation — de la démarche qui consiste à présenter un être comme le produit de quelque chose qui lui est extérieur et qui n’intéresse, de toute façon, que ce qu’il y a en lui de moins essentiel, de moins spécifiquement “sien” ; métaphysiquement parlant, de moins permanent : ses besoins et son confort physiques. Une telle démarche serait, du point de vue de l’ordre universel, tout aussi absurde en ce qui concerne l’animal, — ou la plante — que l’homme. Aucun être ne saurait être réduit à son apparence et à ses fonctions les plus matérielles, et encore moins au résultat de l’action du “milieu économique”, c’est-à-dire, en dernière analyse, des possibilités de nutrition, sur cette apparence — et sur ces fonctions. La dernière des herbes tire son existence de ce qu’il y a de permanent — d’éternel — dans la graine d’où elle est sortie. Le milieu peut, certes, l’aider à se développer, ou au contraire l’en empêcher ; il ne peut pas la faire devenir ce qu’elle n’est pas — changer un bouton d’or en pissenlit ou vice-versa, — pas plus qu’il ne peut détruire ce qu’il y a, dans le monde visible et au-delà, de permanent dans un homme, c’est-à-dire son hérédité physique et psychique : — sa race.
Nul n’est fou au point de nier l’influence du milieu sur la vie d’un homme : — sur ses occupations ; sur les occasions qu’il a ou n’a pas de réaliser certaines de ses possibilités. Mais réduire l’être de ce dernier au “résultat de l’influence du milieu”, et surtout du seul milieu “économique”, et, par surcroît, édifier sur ce véritable retournement du processus de passage de l’essence à l’existence, tout une philosophie politique, c’est proposer aux
1. Julius Evola, “Chevaucher le tigre.”
|
197
hommes d’action une sagesse à rebours, autrement dit, un renversement de la Sagesse cosmique originelle et impersonnelle. C’est donc faire œuvre anti-traditionnelle.
Suffiraient à le prouver, si preuve était nécessaire, les quelques mots qui résument, avec une clarté aveuglante, la méthode et le but des Marxistes : “lutte des classes”, et “dictature du prolétariat.”
Certes à l’époque avancée de l’Age Sombre, dans laquelle nous vivons depuis fort longtemps déjà, les “classes” ont perdu leur signification. Elles l’ont perdue dans la mesure où elles ne correspondent plus à des castes, c’est-à-dire où elles représentent de moins en moins des différences véritables de caractère et d’aptitudes entre les gens qui les composent, différences liées à l’hérédité. Il n’est donc pas mauvais du tout, — il est même fort souhaitable — qu’elles disparaissent dans une refonte totale des sociétés — une refonte qui tendrait à rétablir l’ordre idéal, autant que se peut. Il est, pour quiconque veut s’opposer à la décadence générale, que seuls les fanatiques du “progrès” refusent de voir tout autour de nous, surtout urgent de faire cesser le scandale des privilèges achetables. Cet état de choses ne date pas d’aujourd’hui. Il fut, semble-t-il, instauré en Europe occidentale, — en France tout au moins, — au seizième siècle, avec les toute premières acquisitions de titres de noblesse à prix d’argent. Il fut sanctionné, et renforcé, par la Révolution de 1789, faite (en partie) par le peuple, mais au profit de la bourgeoisie et sous sa direction, Révolution dont le résultat a été de substituer, au pouvoir émanant de la seule naissance, le pouvoir octroyé par l’argent seulement. Rien ne saurait être plus urgent que de changer cela. Non que le riche soit condamnable en soi parce qu’il s’est enrichi, ou que ses pères, enrichis, lui ont transmis une fortune. Il ne l’est nullement, pourvu, bien entendu, que son argent n’ait pas été acquis par l’exploitation de la misère ou du vice, c’est-à-dire au détriment de la communauté. Mais il le devient dès qu’il s’imagine que cet argent lui donne d’autres droits que ceux qui découlent des qualités et capacités héritées avec son sang, donc inhérentes à son être même. Il le devient, s’il s’imagine pouvoir légitimement tout acheter avec cet argent, y compris la responsabilité du commandement et l’obéissance de ses compatriotes. En un mot, il n’y a pas à “combattre”, encore moins à supprimer, la bourgeoisie, ou l’aristocratie, ou la classe ouvrière ou paysanne. Toutes ont leur
|
198
raison d’être et leur rôle. Il faut seulement veiller à ce que tout homme soit vraiment à sa place, et y reste.
Du point de vue de cet ordre idéal qui reflète et symbolise la hiérarchie intangible des états de l’Etre, — du point de vue de l’éternel, l’idée de “lutte des classes” ayant pour enjeu le pouvoir politique est donc un non-sens. Le pouvoir devrait être aux mains des meilleurs — des “aristoi” — c’est-à-dire de ceux qui sont dignes et capables de l’exercer. Et si le fait de le perdre révèle toujours quelque manque ou défaillance, voire même, parfois, quelqu’ indignité profonde, chez celui qui se le voit arracher, il ne s’ensuit pas qu’il suffise de l’usurper pour en devenir digne. La “lutte des classes” n’est concevable qu’à une époque où ces “classes” ne sont plus, précisément, distinguables les unes des autres, excepté par ce qu’elles possèdent, et non par ce qu’elles sont. Elle n’est, en d’autres mots concevable, que lorsque c’est la propriété seule, ou la propriété avant tout, qui détermine “l’être” factice de chaque classe, au lieu que ce soit l’être vrai de celle-ci, c’est-à-dire l’hérédité physique et psychique de ses membres, qui détermine ce que ceux-ci ont le droit de posséder; que lorsque, je le répète, les “classes” ne correspondent plus aux castes respectives.
La “lutte”, — le “combat”; j’y reviendrai plus tard, à propos de tout autrechose que le Marxisme, — devient alors le seul moyen d’établir un certain ordre au sein d’une société n’ayant déjà plus aucun lien avec les principes éternels. Il y a forcément violence — lutte — quand ces principes sont méconnus dans le monde visible. Il en est ainsi depuis la fin de l’Age de Vérité1. C’est le sens qu’on donne à cette lutte : — pour ou contre l’Ordre idéal — qui, en fin de compte, la justifie ou la condamne.
Or, elle doit, pour les Marxistes, aboutir à ce qu’ils appellent la “dictature du prolétariat”, autrement dit, au passage du pouvoir aux mains des masses, c’est-à-dire des gens qui sont le moins qualifiés pour l’exercer. Elle tend donc à un renversement complet de la hiérarchie sociale telle qu’elle était à toutes les époques où elle reflétait, même de très loin — on montrait quelque velléité à refléter — l’ordre éternel. Cela seul devrait suffire à caractériser le Marxisme comme une philosophie à rebours ; et à faire tenir son effort d’éradication des élites existantes
1. Le Satya Yuga des Ecritures sanscrites.
|
199
et de réduction des masses elles-mêmes à l’état d’un magma humain de plus en plus facile à “conditionner”, donc, à téléguider, dans le sens de la production économique, exclusivement, pour une entreprise diabolique.
* * *
Le présent Cycle étant beaucoup plus près de sa fin que de son lumineux début, sans doute n’est-ce pas la première fois qu’une telle entreprise a lieu. J’ai mentionné plus haut la Révolution de 1789, qui, au nom de l’idée d’égalité “en droit” de tous les hommes de toutes races, a abouti, en France, — en fait — à l’usurpation du pouvoir par la bourgeoisie, et, dans un Occident géographiquement combien plus lointain, à la création de la grotesque république nègre de Saint-Domingue. J’aurais pu mentionner le Christianisme lui-même, malgré la part indéniable, mais visiblement limitée, de symbolisme universel vrai, qu’il peut contenir. Sa diffusion n’a-t-elle pas, au nom de cette même idée, aussi subversive qu’erronée, d’égalité, consommé la désintégration du Monde gréco-romain, (déjà amorcée, il est vrai, dès l’époque hellénistique) ? Et son anthropocentrisme outrancier en fait, de toute façon, une religion incomplète. L’aristocratie européenne, c’est-à-dire germanique, et l’aristocratie byzantine, ou slave byzantinisée, se sont accommodées de lui par politique, s’en servant comme d’un prétexte tout trouvé de conquêtes prosélytisantes et comme force unificatrice des peuples conquis ; tandis que certains de leurs membres, et des plus éminents, ont accueilli, en lui, parfois, l’occasion d’un pur masochisme spirituel, sinon physique par surcroît1. Tout compte fait, et malgré l’inspiration que tant d’artistes en ont tirée, son œuvre a été, pratiquement, tout comme au sens absolu du mot, plus subversive que constructive.
J’aurais pu mentionner n’importe laquelle de ces sagesses, toujours plus ou moins tronquées, que Nietzsche appelle “religions d’esclaves”. Car toutes celles-là, même, et peut-être surtout celles qui se placent le plus ostensiblement “au-dessus du Temps”, du seul fait qu’elles nient la hiérarchie, serait-ce seulement dans la société et non en soi, et ne tiennent aucun compte de la race,
1. Comme cela pourait bien être le cas d’Elisabeth de Thuringe, princesse de Hongrie, qui se faisait flageller par Conrad de Marbourg, son directeur de conscience.
|
200
sous prétexte que le visible a peu d’importance, aboutissent en pratique à un encouragement du nivellement par le bas1, et constituent ainsi, (en pratique, toujours) des facteurs de désintégration agissant dans le sens du Temps. Elles contribuent toutes à la vaste œuvre de subversion, au sens propre du terme : — de retournement de l’ordre idéal — qui se poursuit, en s’intensifiant, durant tout le cours du cycle.
Je dirai plus. Sans doute y a-t-il “subversion” de cet ordre principiel toutes les fois qu’un homme, ou un groupe naturel d’hommes, — une caste ; une race, — mû par une fausse estimation de ses “droits’ (ou même de ses “devoirs”) usurpe ou tente d’usurper la place normale d’un autre ; toutes les fois par exemple, qu’un prince rejette l’autorité spirituelle, à laquelle son royaume, et peut-être sa civilisation, doit son lien — même lointain, et ténu, — avec les sources les plus cachées et les plus hautes de la Tradition. C’est d’un crime de cette nature dont Philippe le Bel, par ailleurs un grand roi, semble s’être rendu coupable en détruisant avec la connivence d’un pape plus homme politique que prêtre, l’Ordre des Chevaliers du Temple. Mais tout cela ne fait que préparer et préfigurer, de loin ou de près, la subversion ultime : celle qui consiste à appeller la masse — et la masse de toutes races ; le “prolétariat mondial” — au pouvoir ; et ce qui pis est, celle qui prétend tirer d’elle, et d’elle seule, le principe et la justification du pouvoir.
Cette subversion-là, — qu’un Guénon appelle “le règne du Soudra” — est la pire de toutes celles qui se sont succédées au cours des âges. Elle est la pire, non pas parce qu’un non-Marxiste se trouverait soumis à plus d’inconvénients sous un régime communiste que sous un autre, mais avant tout parce qu’il s’agit, avec elle, non plus seulement de changements arbitraires, contraires à l’esprit de la hiérarchie vraie, au sein de la société visible, mais d’un renversement complet des situations idéales et des valeurs essentielles. Il en résulte que cette société, au lieu de tendre, comme elle devrait le faire, à refléter ce qu’elle peut de l’ordre éternel, reflète, symbolise, concrétise dans le monde de la manifestation, exactement le contraire. La pyramide qui figure, dans la vision supra-rationnelle du sage, l’étagement organique de la
1. J’ai essayé de le montrer dans un long passage de mon livre “Gold in the furnace”, édition 1951, Calcutta, pages 212 et suivantes.
|
201
société idéale, image des états hiérarchisés de l’existence cosmique, visible et invisible, est, dans le rêve sacrilège du Marxiste, complètement retournée. Elle est plantée en équilibre — oh, combien instable ! — sur ce qui devrait être, sur ce qui, du point de vue des correspondances formelles, est, son sommet. Et c’est sa base naturelle qui lui sert de sommet artificiel ; un “sommet” qui n’en est pas un, parce qu’il est, précisément, masse, — masse informe et lourde ; masse écrasante, débordant tout, — et non point.
C’est du point de vue métaphysique que le Marxisme est un non-sens, quelle que puisse être la subtilité trompeuse des arguments sur lesquels son fondateur, Mardoccai, dit Marx, a tenté de l’étayer, à partir de considérations économiques et politiques concernant la production, le bénéfice de l’employeur, le salaire de l’ouvrier, la “plus-value”, etc. . . . Aucune dialectique ne peut mettre une doctrine en accord avec la vérité cosmique, quand elle ne l’est pas déjà. Et, (dans le domaine pratique, cette fois) aucune force de coercition ou de persuasion, ou de conditionnement, ne peut à la longue, stabiliser, au cours d’un cycle, un état particulier de détérioration. La pyramide sociale ne peut demeurer indéfiniment en équilibre précaire sur son sommet, la base en l’air. Ou bien un “redressement partiel” tendra à la remettre d’aplomb, — avec un succès de plus en plus illusoire, et d’ailleurs, de moins en moins durable, à mesure que le cycle approche de sa fin ; ou bien la pyramide, entraînée par l’inertie même de la masse qu’on a voulu lui donner pour “sommet,” s’effondrera, se désagrégera, s’en ira en miettes. Et ce sera le chaos, la complète anarchie succédant à l’ordre à rebours. Ce sera, — pour imiter le langage imagé, teinté d’Hindouisme, de l’auteur de la “Crise du monde moderne”, le règne du Chandala succédant au règne du Soudra ; la fin du cycle.
(Peut-être en avons-nous des aperçus encore sporadiques dans quelques manifestations d’excentricité grégaire et de nihilisme tapageur, telles que celles des “Existentialistes de Saint-Germain-des-Prés”, des jeunes de la “Nouvelle Gauche”, ou des “hippies” de tout poil — anarchistes par paresse; pacifistes par mollesse, drogués, mal lavés, non peignés, bruyants, dépenaillés, — individualistes et tolérants tant que l’individualité du voisin ne les gêne pas ; prêchant : “Faites l’amour; ne faites pas la guerre !”, et prêts à sauter sur le premier qui, lui, préfère faire la guerre, — ou l’un et l’autre).
|
202
* * *
Il ne manque pas d’adversaires du Marxisme. Il y en a de toutes sortes, depuis ceux qui condamnent toute violence, et que les épisodes connus de la “lutte des classes”, tant en Russie qu’en Chine, effrayent, jusqu’à ceux qui reprochent aux Communistes leur athéisme et leur matérialisme, en passant par ceux qui possèdent quelque bien, et ont peur de le perdre au cas où il leur faudrait vivre sous le signe de la Faucille et du Marteau.
Beaucoup s’opposent à lui au nom de quelque doctrine politique — généralement incarnée dans un “parti” — qui, si elle s’attaque au caractère “subversif” du Marxisme, n’en est elle-même pas moins subversive, et cela, dans le même sens, et pour les mêmes raisons profondes. C’est le cas des adhérents de tous les partis démocratiques, dont le dénominateur commun est à chercher dans la croyance en “l’égalité en droit” de tous les hommes, et partant, au principe du suffrage universel ; du pouvoir émanant de la majorité. Ces gens ne s’aperçoivent pas que le Communisme est en germe dans ce principe même, comme il l’était déjà dans l’anthropocentrisme chrétien (même qu’il s’agisse là de la valeur des âmes humaines, aux yeux d’un Dieu personnel qui aime infiniment tous les hommes). Ils ne se rendent pas compte qu’il l’est et ne peut que l’être, pour la raison que la majorité sera toujours la masse, — et cela de plus en plus, dans un monde surpeuplé.
Ne s’opposent profondément, fondamentalement au Marxisme, que les fidèles de toute expression adéquate de l’immémoriale Tradition, en particulièr ceux de toute religion vraie, ou de toute Weltanschauung capable de servir de base à une religion vraie, c’est-à-dire, de toute Weltanschauung fondée, elle aussi, en dernière analyse, sur la connaissance de l’éternel et la volonté d’en faire le principe de l’ordre socio-politique.
Or, faisant fi de l’apparence de paradoxe que revêt, sans doute, une telle assertion, vingt-cinq ans après l’effondrement du Troisième Reich allemand, j’ose répéter que la seule doctrine proprement occidentale qui (après les très vieilles religions nordiques, que le Christianisme a persécutées et peu à peu tuées, entre le sixième et le douzième siècle), remplisse cette condition, est l’Hitlérisme : — la seule Weltanschauung infiniment plus que “politique” qui soit nettement “contre le Temps” : en accord avec
|
203
l’éternel. Ce sera donc la seule qui, à la longue, triomphera à la fois et du Marxisme et du chaos généralisé auquel il aura mené le monde, — et cela, quelle qu’ait été, hier l’énormité de la défaite de ses fidèles sur le plan matériel, et quelle que puisse être aujourd’hui, l’hostilité de millions d’hommes à leur égard. Seul, en effet, un redressement total peut succéder à la subversion totale ; un glorieux début de cycle, à une lamentable fin de cycle.
Mais nos adversaires ne manqueront pas d’attirer l’attention de chacun sur le caractère éminemment “anti-traditionnel” de plus d’un aspect du National-socialisme, tant durant la Kampfzeit, avant 1933, — qu’après la prise de pouvoir. Si c’est, me dira-t-on, être “subversif” du point de vue des valeurs éternelles, que de prêcher la “lutte des classes” en vue de la “dictature du prolétariat”, n’était-ce pas l’être tout autant, que de s’élever au pouvoir “démocratiquement” — grâce au suffrage universel — en s’appuyant par surcroît, durant toute une succession de campagnes électorales, sur la protection de jeunes combattants, pour la plupart aussi “prolétaires”, dans leur comportement, que les Communistes dont ils repoussaient les attaques au cours des réunions, et qu’ils terrassaient dans les batailles de rue ? N’était-ce pas l’être, que de garder ce pouvoir, issu, en fait, du peuple — des masses, — et d’omettre de rétablir la vieille monarchie, malgré la dernière et fervente recommandation du Maréchal von Hindenburg, Président du Reich ? N’était-ce pas l’être aussi, d’autre part, que d’accepter que nombre de banques allemandes1 ainsi que de magnats de l’industrie2, subventionnassent la N.S.D.A.P, faisant ainsi dépendre, en partie, de la puissance de l’argent, le succès de la Révolution nationale-socialiste, et risquant, cette fois, de faire considérer celle-ci, malgré son allure populaire, comme la suprême défense de l’ordre “capitaliste”, tel qu’il existait déjà, c’est-à-dire d’une société extrêmement éloignée de l’idéal traditionnel ? Enfin, dira-t-on encore, comment nier que, même après la prise de pouvoir, le Troisième Reich allemand était loin de présenter l’aspect d’un organisme inspiré de haut en bas par la vision de la hiérarchie cosmique ? Le célèbre auteur Hans Günther lui-même, apparemment désabusé, m’écrivait en 1970 qu’il avait,
1. la “Deutsche Bank”, la “Commerz und Privat Bank”, la “Dresdener Bank”, la “Deutsche Credit-Gesellschaft”, etc. etc.
2. Les E. Kirkdorf, Fritz Thyssen, Voegler, Otto-Wolf von Schröder, puis, Krupp.
|
204
malheureusement, vu en lui “une ochlocratie”, plutôt que le régime aristocratique qu’il avait rêvé. Et on ne saurait catégoriquement repousser sans discussion ce jugement de l’un des théoriciens du racisme hitlérien les plus en vue avant le déastre de 1945. Le jugement, tout en étant, sans nul doute, excessif, doit, dans plus d’un cas particulier, certes, exprimer quelque regrettable réalité.
N’oublions jamais que nous approchons de la fin d’un cycle, et que les meilleures institutions ne sauraient, partant, plus avoir qu’exceptionnellement un semblant de la perfection d’autrefois. Car il y a partout — et l’après-guerre l’a amplement prouvé — de plus en plus de mammifères à deux pattes et de moins en moins d’hommes au sens fort du mot. On ne doit donc juger aucune doctrine par ce qui a été accompli dans le monde visible en son nom. La doctrine est vraie ou fausse, selon qu’elle est ou non à l’unisson avec cette connaissance directe de l’universel et de éternel que seule possède une minorité constamment décroissante de sages. Elle l’est — on ne le répétera jamais assez — indépendamment de la victoire ou de la défaite de ses fidèles, ou soi-disant tels, sur le plan matériel, et de leurs faiblesses, de leur sottise, voire de leurs crimes. Ni les atrocités de la Sainte Inquisition, ni les scandales attachés au nom du pape Alexandre VI Borgia, n’enlèvent quoi que ce soit de sa part de vérité à la vision du “monde intelligible” qu’a pu avoir, à travers le symbolisme chrétien, un maître Eckhart, par exemple, ou quelque Templier initié. Et il en va de même pour toutes les doctrines.
Il faut donc bien se garder d’imputer à l’Hitlérisme les fautes, les faiblesses ou les excès des gens nantis de pouvoir, à quelque degré que ce fût, sous le Troisième Reich ou durant la période de lutte (Kampfzeit) de 1920 à 1933, et surtout les fautes ou excès commis contre l’esprit de la “Weltanschauung” et contre le rêve du Führer, comme il y en eut, semble-t-il, tant. Il ne faut voir, dans la société allemande telle qu’elle fut, sous l’influence croissante puis sous le gouvernement effectif du Führer, pendant la Kampfzeit et après, que les efforts de celui-ci, destinés à la mouler selon son rêve, ou à l’empêcher d’évoluer contre ce même rêve. Il faut essayer de comprendre ce qu’il voulait en faire.
Déjà dans les textes nationaux-socialistes officiels adressés au grand public : — dans les Vingt-cinq Points, qui forment la base du programme du Parti ; et surtout dans “Mein Kampf” où
|
205
les grandes directives philosophiques de celui-ci sont tracées avec plus de netteté encore, il est visible que le Mouvement était dirigé contre les idées les plus chères et les usages les plus caractéristiques de la société éminemment décadente, issue du Libéralisme du dix-huitième et du dix-neuvième siècles. Le prêt à intérêt, la spéculation financière, et toute manière de gain étranger à un effort créateur, ainsi que l’exploitation du vice ou de la sottise dans une presse, une littérature, un cinéma, un théâtre, envisagés avant tout comme moyens de réaliser des profits, y sont condamnés avec la dernière rigueur. Bien plus : les principes mêmes de la civilisation occidentale moderne : — l’égalité en droit de tous les hommes et de toutes les races humaines ; l’idée que le “droit” est l’expression de la volonté de la majorité, et la “nation” la communauté de ceux qui, quelle que puisse être leur origine, “veulent vivre ensemble” ; l’idée que la paix perpétuelle dans l’abondance, fruit de la “victoire de l’homme sur la nature”, représente le bien suprême, — y sont attaqués, ridiculisés, démolis d’une façon magistrale. La loi naturelle, — la loi du combat pour la vie, — y est reconnue et exaltée sur le plan humain comme sur tous les autres plans. Et l’importance primordiale de la race et de la personnalité, — ces deux piliers de la foi nouvelle, — y est proclamée à chaque page. Enfin, cette foi nouvelle, ou plutôt cette conception nouvelle de la vie (neue Audassung) — car il s’agit, pour le Führer et pour les quelques uns, non de “foi”, mais de véritable connaissance, y est clairement caractérisée comme “correspondant au sens originel des choses”1 ce qui en dit très long, ce “sens originel des choses” n’étant autre que celui qu’elles prennent à la lumière de la Tradition.
On peut donc, sans aller plus loin, affirmer que tout ce qui, dans l’histoire du Parti national-socialiste semble ne pas coïncider avec l’esprit d’un combat “contre le Temps”, relève de la tactique du combat, non de sa nature, non de son but. C’est sous la pression de la dure nécessité, et seulement après avoir échoué, le 9 Novembere 1923, dans sa tentative de saisir le pouvoir par la force, qu’Adolf Hitler, libéré de sa prison de Landsberg, mais privé désormais de tout moyen d’action, a — à contre-coeur, certes, — eu recours à la lente et longue “voie légale” c’est-à-dire
1. “. . . unsere neue Auffassung, die ganz dem Ursinn der Dinge entspricht . . .” (Mein Kampf, édition 1935, page 440.)
|
206
à l’appel réitéré aux votants, et à la conquête graduelle d’une majorité au Reichstag. Chacun sait que son premier geste après la prise de pouvoir “par la voie démocratique”, fut de remplacer à tous les échelons l’autorité du grand nombre par celle d’un seul, à savoir la sienne ; en d’autres termes de supprimer la démocratie, — de remettre, dans la mesure du possible, l’ordre politique en accord avec l’ordre naturel.
C’est sous la pression d’une nécessité matérielle non moins impérieuse : — celle de faire face aux dépenses énormes qu’impli.quait, avec ses inévitables campagnes électorales, la lutte pour le pouvoir dans le cadre d’un régime parlementaire, — qu’il dut accepter l’aide des Hugenberg, des Kirkdorf, des Thyssen, du Docteur Schacht, et plus tard de Krupp, ainsi que d’une quantité d’industriels et de banquiers. Sans elle, il n’aurait pu s’élever au pouvoir assez vite pour en barrer la route aux forces de subversion les plus dangereuses : — aux Communistes. Car l’argent est, plus que jamais, dans un monde qu’il domine de plus en plus, le “nerf de la guerre” . . . et de la politique. Cela veut-il dire que le Führer ait été asservi à l’argent ou à ceux qui lui en avaient donné durant la Kampfzeit ? Cela veut-il dire qu’il leur ait fait la moindre concession après la prise de pouvoir ? Loin de là ! Il leur a permis de s’enrichir dans la mesure où, ce faisant, ils servaient effectivement l’économie nationale et donnaient aux masses ouvrières ce qu’il leur avait lui-même promis : l’abondance grâce au travail ; dans la mesure où, soumis à son autorité, ils continuaient d’aider le Parti, — c’est-à-dire l’Etat — dans la paix et dans la guerre. Il les a maintenus à leur place et dans leur rôle, — comme un roi, la “caste” des marchands, dans une société traditionnelle, — montrant par là à la fois son réalisme et sa sagesse.
D’autre part, l’“ochlocratie”, — au moins partielle — qu’on a si souvent inscrite au débit du National-socialisme, n’était, en fait, que l’inévitable corollaire de l’obligation dans lequelle se trouvait Adolf Hitler d’accéder au pouvoir en s’appuyant — fort démocratiquement — sur la majorité des électeurs. Elle n’aurait pas existé si le putsch du 9 November 1923 avait réussi, et lui avait donné champ libre pour reforger l’Allemagne selon son rêve immense. Elle n’aurait pas existé, parce qu’il n’aurait pas eu, alors, besoin de la collaboration de centaines de milliers de jeunes, prêts à tout, — à asséner des coups, comme à en recevoir, — pour
|
207
maintenir, aux abords de ses réunions de propagande massive, et dans les salles elles-mêmes, un ordre constamment menacé par les attaques physiques des éléments les plus violents, les plus implacables, de l’opposition communiste. Pour conquérir l’Allemagne “démocratiquement”, il lui fallait se montrer, se faire entendre, des centaines et des centaines de fois ; transmettre au public son message : une partie de son message, au moins celle qui devait inciter les masses à voter pour son parti. Le message était irrésistible. Encore fallait-il le faire connaître. Et cela eût été impossible sans la meute de loups, — la “S.A.”1 — maîtresse de la rue, qui, au péril de sa vie, assurait au Führer le silence et la sécurité au milieu de son auditoire.
Adolf Hitler aimait ses jeunes fauves éperdument attachés à sa personne, avides à la fois de violence et d’adoration, dont plus d’un quelqu’ancien Communiste, que la fascination de sa parole, de son regard, de son comportement non moins que de sa doctrine — en laquelle le fils de prolétaire devinait quelque chose de plus outré, de plus brutal, donc de plus exaltant que le Marxisme, — avaient gagné à la sainte Cause. Il les aimait. Et il aimait le dernier en date de leurs chefs suprêmes de la Kampfzeit, Ernst Rôhm, sous les ordres de qui il avait lui-même autrefois fait la guerre ; Ernst Rôhm revenu de Bolivie — du bout du monde — à son appel2. Il fermait volontiers les yeux sur ses moeurs déplorables pour ne voir en lui que le parfait soldat et l’organisateur de génie. Et cependant . . . il s’est, malgré tout, résigné à faire tuer, ou à laisser tuer, ce vieux compagnon de lutte — presque le seul homme de son entourage qui le tutoyât3 — ainsi que nombre de chefs moins importants de la S.A., dès qu’il fut persuadé que la turbulence de cette troupe, si fidèle pourtant, son esprit d’indépendance, et surtout l’opposition grandissante qui se faisait jour entre elle et l’armée allemande régulière, — la prétention plus ou moins déguisée de Rôhm de faire d’elle, désormais, la seule armée allemande, — ne pouvaient précisément conduire qu’à l’ochlocratie, sinon à guerre civile, de toute façon qu’à l’affaiblissement de l’Allemagne.
On pourrait rapprocher cette “purge” tragique, mais apparemment
1. “Sturmabteilungen”, ou “Sections d’assaut.”
2. En 1930.
3. Avec quelques autres de ses collaborateurs de la première heure, tel Gregor Strasser.
|
208
nécessaire, du 30 juin 1934, des règlements de comptes les plus machiavéliques de l’histoire, par exemple, de l’exécution sans jugement de don Ramiro di Lorqua, sur ordre de César Borgia, — avec cette différence capitale pourtant, que, tandis que le Duc de Valentino n’avait en vue que le pouvoir pour lui-même, le Führer, lui, visait infiniment plus haut. Il voulait le pouvoir pour tenter, en un effort désespéré, de renverser contre elle-même la marche du Temps, au nom de valeurs éternelles. Il n’y avait rien de personnel dans son combat, et cela, à aucune étape de celui-ci.
Et s’il a, malgré le désir fervent du Maréchal et Président du Reich, von Hindenburg, repoussé toute idée de restauration de la monarchie, ce ne fut pas, non plus, par ambition. C’est qu’il était conscient de la vanité d’une telle démarche, sur le plan des valeurs et des hiérarchies vraies. La monarchie “de droit divin”, la seule normale du point de vue traditionnel1, avait, depuis des siècles déjà, perdu en Europe tout sens et toute justification. Le Führer le savait. Il ne s’agissait pas, pour lui, d’essayer de restaurer un ordre chancelant, en réinstallant une monarchie parlementaire présidée (il n’y a pas d’autre mot) par Guillaume II ou quelqu’un de ses fils. Il voulait bâtir un ordre nouveau, ou plutôt faire resurgir l’ordre le plus ancien, l’ordre “originel”, sous la forme la plus vigoureuse et la plus durable qu’il pût revêtir en ce siècle. Et il savait que, de par le choix de ces Forces de vie qui, tout au long d’un cycle temporel, quel qu’il soit, s’opposent inlassablement à l’inéluctable courant de dissolution, il détenait lui-même, — Lui, l’éternel Siegfried, à la fois humain et plus qu’humain, — et le pouvoir légitime en ce monde visible et l’autorité légitime, émanée d’au-delà ; le “pouvoir des deux Clefs”. Avec lui à son sommet, la pyramide des hiérarchies terrestres devait reprendre peu à peu sa position naturelle, recommençant à figurer en miniature, en Allemagne d’abord, puis dans toute l’Europe et dans tout le monde aryen, l’Ordre invisible que le Cosmos figure en grand.
C’est au nom de cette vision grandiose des correspondances idéales qu’il a repoussé, avec une vigueur égale, le Marxisme, doctrine de subversion totale, le Parlementarisme sous toutes ses
1. La royauté élective des anciens Germains — celle du guerrier Franc élevé sur le pavois par ses pairs — était aussi “de droit divin”, si on admet que le “divin” n’est autre que le sang pur d’une noble race.
|
209
formes, toujours basé sur la même superstition de la quantité, et l’ochlocratie, source de désordre, donc de constante instabilité.
Mais le caractère traditionnel de sa sagesse est à chercher bien plus encore dans les quelques textes qui nous livrent ses entretiens secrets, ou au moins, intimes, — ses confidences, à cœur ouvert, devant quelques personnes choisies, — que dans ses écrits ou discours qui s’adressent au grand public.
* * *
Les “Tischgespräche”, entretiens du Führer avec quelques hauts fonctionnaires du Parti, officiers supérieurs de la S.S. ou invités étrangers1, sont instructifs à cet égard. Le sont plus encore, peut-être, certains reportages hostiles à l’Hitlérisme, d’autant plus virulents que leurs auteurs s’en veulent davantage de s’être d’abord trompés de voie en suivant Adolf Hitler, et de se sentir rétrospectivement des sots — à tort, sans doute ; car il devait être bien malaisé de saisir la vraie pensée du Maître avant de faire partie du cercle étroit des gens qui jouissaient de sa confiance. Tel est, par exemple, le livre de l’ancien Président du Sénat de la Ville libre de Danzig, Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, qui eut, en son temps, quelque notoriété, puisqu’en 1939 en paraissait déjà la treizième édition française — un excellent livre, malgré la hargne qui y perce à chaque ligne. Car le fait que Rauschning semble lui-même tout ignorer de la conception cyclique de l’histoire et, d’une manière générale, des vérités supra-humaines qui sont à la base de toutes les sagesses antiques, rend d’autant plus éloquents les jugements qu’il croit porter contre le Führer en l’accusant (sans le savoir) de mener son combat précisément au nom de ces vérités. Enfin, rien ne saurait éclairer certains aspects de l’Hitlérisme comme le livre de Hans Grimm “Warum ? Woher ? aber Wohin ?”, ouvrage d’un non-Hitlérien impartial, ou le récit que fait Auguste Kubizek, homme sans aucune allégeance politique, des années d’amitié qu’il a vécues avec le futur Führer, alors âgé de quinze à dix-neuf ans, dans son livre “Adolf Hitler, mein Jugendfreund”2.
La première chose qui frappe, à la lecture de ces divers textes, c’est la conscience qu’avait Adolf Hitler de la rapidité avec
1. Traduits en français sous le titre “Libres propos sur la Guerre et la Paix”, par R. d’Harcourt.
2. Une traduction française (abrégée) en a paru chez Gallimard.
|
210
laquelle tout se désagrège à notre époque, et du total retournement de valeurs que signifierait le moindre redressement. C’est aussi le sentiment très net qu’il semble avoir eu, que son action représentait la dernière chance de la race aryenne en même temps que la dernière possibilité (au moins théorique) de redressement, avant la fin du présent cycle. Ce sentiment était doublé de la conviction qu’il n’était pas, lui-même, “le dernier” combattant contre les forces de désintégration ; pas Celui qui ouvrirait le glorieux “Age d’Or” du cycle suivant. Cinq ans avant la prise de pouvoir, le Führer le disait en toute simplicité à Hans Grimm : “Je sais que Quelqu’un doit apparaître, et faire face à notre situation. J’ai cherché cet homme. Je n’ai pu nulle part le découvrir, et c’est pour cela que je me suis levé, afin d’accomplir la tâche préparatoire, seulement la tâche préparatoire urgente, car je sais que je ne suis pas Celui qui doit venir. Et je sais aussi ce qui me manque. Mais l’Autre demeure absent, et personne n’est là, et il n’y a plus de temps à perdre.”1
Il y a même lieu de croire qu’il pressentait — sinon connaissait ; je reviendrai sur ce point, — la fatalité du désastre et la nécessité, pour lui, de se sacrifier. Mais, de même que, tout en étant centrée sur le peuple allemand, sa vision dépassait immensément l’Allemagne, ainsi sa défaite devait-elle être une catastrophe à l’échelle planétaire (ce qu’elle fut, en effet) et son sacrifice devait-il revêtir une signification insoupçonnée. Il l’a dit à Hermann Rauschning : “Si nous ne parvenons pas à vaincre, nous entraînerons dans notre chute la moitié du monde, et personne ne pourra se réjouir d’une victoire sur l’Allemagne”2 et : “il est prescrit que je me sacrifie pour le peuple à l’heure du plus grand danger”3. “Il ne pouvait, autrement, accomplir sa mission”4, note cet auteur, sans se rendre apparemment compte de la portée d’une telle assertion.
Quelle était donc cette “mission”, si impérieuse malgré que Celui qui s’en savait chargé ait pu, parfois, envisager d’avance son échec ? C’était celle de tous ces êtres à la fois humains et
1. Hans Grimm, “Warum ? Woher ? aber Wohin ?” édité au Klosterhaus Verlag, Lippoldsberg, en 1954 ; page 14.
2. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, 1939, p. 142.
3. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, même édition, p. 279.
4. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, même édition, p. 279.
|
211
plus qu’humains — aux Indes, on les appelle des “avatars” ou “descentes” de l’Esprit divin dans le monde visible et tangible, — qui, d’âge en âge, ont lutté à contre-courant du Temps, pour la restauration d’un ordre matériel à l’image de l’Ordre éternel : celle du Dieu Krishna, celle du Prophète Mahomet, et, dans la légende germanique, plus vraie que l’histoire, celle du héros Siegfried, comme eux à la fois initié et guerrier. Une telle mission implique toujours la destruction du monde décadent, sans laquelle la restauration d’une société hiérarchisée selon les valeurs éternelles serait impensable. Elle implique donc la reconnaissance du règne du mal, — du “triomphe de l’injustice”1, c’est-à-dire de ce qui est contraire à l’Ordre divin, à l’époque même du combattant, — et l’exaltation du combat. Sans doute, les gens qui militent par la violence contre un ordre établi, déjà mauvais, en faveur d’un “monde nouveau” pire encore du point de vue des hiérarchies naturelles, sont-ils, eux aussi, des insatisfaits que la lutte armée n’effraye pas. Mais, comme j’ai essayé de le montrer plus haut, c’est la nature de leur rêve, et non les méthodes employées en vue de sa réalisation, qui les classe exactement à l’opposé des combattants contre le temps.
Il y a des combattants inconscients, irresponsables — aussi bien dans le sens de l’évolution temporelle que contre celle-ci. Il y a des millions de gens “de bonne volonté” — libéraux, individualistes, pacifistes, “amis de l’Homme” de tout poil, — qui, le plus souvent par pure ignorance, ou par paresse d’esprit, suivent les suggestions trompeuses des agents des Forces sombres, et contribuent, avec les intentions les plus généreuses du monde, à accélérer la cadence de la dégénérescence universelle. Il y a aussi des gens parfaitement inconscients des lois éternelles de l’Univers visible aussi bien que subtil, qui militent avec enthousiasme pour la sélection dans le combat, la ségrégation des races, et, d’une manière générale, pour une conception aristocratique du monde, d’instinct ; — simplement par horreur de la laideur physique et morale des hommes, et par haine des préjugés et des institutions qui en encouragent la généralisation. Nombre des nôtres sont de ceux-ci. Plus nobles que les premiers, puisque centrés sur la beauté qui, dans son essence, se confond avec la Vérité, ils sont, malgré tout, aussi peu responsables, au sens fort
1. La Bhagawad-Gîta, IV, verset 7.
|
212
du mot, car tout aussi attachés au domaine de l’impression, c’est-à-dire du subjectif.
Mais il en va autrement avec les chefs, . . . à fortiori avec les fondateurs de fois nouvelles.
Le véritable initiateur d’un mouvement subversif au sens que j’ai donné plus haut de ce mot, ne peut être qu’un homme en possession d’un certain degré d’indéniable connaissance. Mais il se sert de celle-ci à rebours : — à des fins contraires à l’esprit des hiérarchies vraies ; donc contraires à celles que devrait se donner l’action d’un sage. Par contre, le fondateur et Chef responsable d’une foi “contre le Temps” — comme l’était Adolf Hitler, — ne peut, lui, être que l’un de ces hommes que j’ai, dans un autre livre1, appelés “au-dessus du Temps” : un sage ; un initié en union avec le Divin, et simultanément un guerrier — et peut-être aussi “un politicien” — prêt à employer, au niveau des contingences du monde visible, tous les moyens qu’il sait être efficaces, et ne jugeant un moyen que par son efficacité. Il ne peut être qu’un homme à la fois au-dessus du Temps, quant à son être, et contre le Temps, quant à son action dans le monde ; en d’autres termes un guerrier (ou un politicien ou l’un et l’autre) combattant l’ordre, les institutions et les puissances de son époque, avec n’importe quelles armes, en vue d’un “redressement” (au moins temporaire) de la société, inspiré par un idéal d’Age d’Or : — une volonté d’accord entre l’ordre “nouveau” et l’Ordre éternel.
Or, je le répète, les textes, les faits, toute l’histoire et toute l’atmosphère du National-socialisme ne deviennent pleinement compréhensibles que si, une fois pour toutes, on admet qu’Adolf Hitler était un tel homme : la manifestation la plus récente, parmi nous, de Celui-qui-revient d’âge en âge “pour la protection des justes, pour la destruction de ceux qui font le mal, pour le ferme établissement de l’ordre selon la nature des choses”2.
* * *
Il est certain que la décision du jeune caporal Hitler, du seizième régiment bavarois d’infanterie, de “devenir politicien”3
1. “The Lightning and the Sun”, écrit de 1948 à 1956, édité à Calcutta en 1958.
2. La Bhagawad-Gîta, IV, verset 8.
3. “Ich aber beschloss, Politiker zu werden”, “Mein Kampf”, édit. 1935, p. 225.
|
213
— décision prise à l’annonce de la capitulation de Novembre 1918, dans les tragiques circonstances que chacun connaît1 — ne suffit pas à expliquer l’extraordinaire carrière de celui qui allait devenir un jour le maître de l’Allemagne sinon de l’Europe. Bien plus, la “politique”, si paradoxal que cela puisse paraître, n’a jamais été, pour le Führer, l’issue principale. Il avoue, dans un entretien de la nuit du 25 au 26 janvier 1942, s’y être consacré “contre son goût” et ne voir en elle “qu’un moyen en vue d’une fin”2. Cette “fin”, c’était la mission à laquelle je faisais allusion plus haut. Adolf Hitler en a parlé dans “Mein Kampf” et dans maint discours, comme, par exemple celui qu’il prononça le 12 Mars 1938 à Linz, et où il a dit notamment : “Si la Providence m’a un jour appelé hors de cette ville pour diriger le Reich, c’est qu’Elle avait une mission pour moi, en laquelle j’ai cru, et pour laquelle j’ai vécu et combattu.”
L’assurance qu’il avait d’agir, mû par une Volonté impersonnelle, à la fois transcendante et immanente, dont sa volonté individuelle n’était que l’expression, a été signalée par tous ceux qui l’ont approché de près ou de loin. Robert Brasillach a mentionné la “mission divine”, dont le Führer se sentait investi. Et Hermann Rauschning dit qu’il “se tient pour un prophète, dont le rôle dépasse de cent coudées celui d’un homme d’Etat“. “Aucun doute”, ajoute-t-il, qu’il ne se prenne tout à fait au sérieux comme l’annonciateur d’une nouvelle humanité”3. Cela rejoint d’ailleurs cette déclaration d’Adolf Hitler lui-même, rapportée elle aussi par Rauschning : “Celui qui ne comprend le National-Socialisme que comme un mouvement politique n’en sait pas grand chose. Le National-socialisme est plus qu’une religion ; c’est la volonté de créer le surhomme.”4
De plus, malgré son alliance politique avec l’Italie de Mussolini, le Führer se rendait parfaitement compte de l’abîme qui séparait sa Weltanschauung à base biologique, du Fascisme, qui restait étranger à “l’enjeu de la lutte colossale” qui allait s’engager,
1. Adolf Hitler, les yeux rongés par les gaz, menacé de cécité, apprit la nouvelle à l’hôpital militaire de Pasewalk où il avait été évacué.
2. En présence de Himmler, Lammers, Zeitzler, “Libres Propos”, p. 244.
3. Hermann Rauschning, op. cité.
4. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, 1939, p. 147.
|
214
c’est-à-dire au sens de sa mission, à lui. “Il n’y a que nous, les Nationaux-socialistes, et nous seuls,” disait-il encore, qui ayons pénétré le secret des révolutions gigantesques qui s’annoncent. Et c’est pourquoi nous sommes le seul peuple, choisi par la Providence, pour donner sa marque au siècle à venir”1. Au fait, peu de Nationaux-socialistes allemands avaient pénétré ce secret. Mais il suffisait qu’il l’eût pénétré, lui, Adolf Hitler, le Chef et l’âme même de l’Allemagne, pour justifier le “choix” des Forces de vie, car un peuple est solidaire de son chef, du moins lorsque celui-ci est, racialement, l’un de ses fils. Autrement dit, la priorité de l’Allemagne était en cette occurance, une conséquence de la lucidité de son Chef ; de la “vision magique” — de la conscience de l’initié vivant dans l’éternel Présent, — que, seul de tous les hommes politiques et généraux de son temps, celui-ci possédait.
C’est dans cette “vision” qu’il faut chercher la source de l’hostilité du Führer à l’égard du monde moderne, — tant “capitaliste” que marxiste — et de ses institutions. Il est inutile de revenir sur le procès de la suprestition de l’égalité, du parlementarisme, de la démocratie, etc, qui n’est rien d’autre, au fond, que la superstition de “l’homme”, appliquée à la politique — ce procès que le fondateur du Troisième Reich a fait et refait, dans “Mein Kampf” comme dans tous ses discours, devant les multitudes comme devant les quelques uns. Adolf Hitler s’attaque aussi à des traits de notre époque qui, s’ils ne sont pas à la racine de cette superstition — qui est, elle, infiniment plus ancienne, ne laissent pas, néanmoins, d’en renforcer le caractère tragique. Il s’agit, en particulier, de la disparition rapide du sens du sacré, de la recrudescence de “l’esprit technique”, et surtout, peut-être, du pullulement désordonné de l’homme, en raison inverse de sa qualité.
Tout en sachant qu’elles étaient et, ne serait-ce qu’au nom de l’anthropocentrisme chrétien, qu’elles ne pouvaient qu’être ses pires adversaires, Adolf Hitler s’est bien gardé d’attaquer les Eglises ouvertement, sans parler de les “persécuter”. Il s’en est bien gardé, par habileté politique ; aussi par crainte d’enlever au peuple une foi existante, avant qu’une autre ne se soit assez
1. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, 1939, pages 147 et 148.
|
215
profondément infiltrée dans les âmes pour pouvoir la remplacer avantageusement.
Cela ne l’empêchait pas de constater que le temps du Christianisme vivant était révolu ; que les Eglises ne représentaient plus qu’un “appareil religieux creux, fragile et mensonger”1 qu’il ne valait même pas la peine de démolir de l’extérieur, vu que, de l’intérieur déjà, il s’effritait de lui-même, et craquait de tous les côtés. Il ne croyait pas en une résurrection de la foi chrétienne. Celle-ci n’avait jamais été, dans les campagnes allemandes, qu’un “vernis”, qu’une “carapace” qui avait conservé, intacte, sous elle, la vieille piété qu’il s’agissait maintenant de ranimer et de diriger. Et chez les masses citadines, il ne voyait “plus rien” qui révélât une conscience quelconque du sacré. Et il se rendait compte que “là où tout est mort, on ne peut plus rien rallumer”2. De toute façon le Christianisme n’était, à ses yeux comme aux nôtres, qu’une religion étrangère, imposée aux peuples germaniques, et fondamentalement opposée à leur génie. Adolf Hitler méprisait les hommes responsables qui avaient pu si longtemps se contenter de puérilités comme celles que les Eglises engeignaient aux masses. Et il n’était jamais à court de sarcasmes lorsque, devant les quelques-uns à qui il savait qu’il pouvait étaler l’aspect le moins populaire, peut-être, de sa pensée, il parlait du Christianisme “invention de cerveaux malades.”3
Ce qu’il lui reprochait surtout, semble-t-il, c’était le fait qu’il éloigne ses fidèles de la Nature ; qu’il leur inculque le mépris du corps et, avant tout, se présente à eux comme la religion “consolante” par excellence : la religion des affligés ; de ceux qui sont “travaillés et chargés” — et n’ont pas la force de porter courageusement leur fardeau ; de ceux qui ne peuvent se faire à l’idée de ne pas revoir leurs bien-aimés dans un Au-delà naïvement humain. Il lui trouvait — comme Nietzsche, — je ne sais quel relent de roture pleurnicharde et servile, et le tenait pour inférieur aux mythologies même les plus primitives qui, elles au moins, intègrent l’homme dans le Cosmos ; inférieure à plus forte raison à une religion de la Nature, des ancêtres, des héros, — et de l’Etat national — telle que ce Shintoïsme, dont l’origine se perd dans la nuit de la préhistoire, et que ses alliés les Japonais
1. H.. Rauschning, “Hitler m’a dit”, édition citée, p. 69.
2. H. Rauschning, Ibid. p. 71.
3. “Libres propos sur la la Guerre et la Paix”, p. 141.
|
216
avaient eu l’intelligence de conserver, en l’adaptant à leur vie moderne1.
Et il évoquait volontiers, par contraste, la, beauté de l’attitude de ses propres fidèles qui, libres de l’espoir aussi bien que de la peur, accomplissaient avec détachement les tâches les plus dangereuses. “J’ai”, disait-il le 13 Décembre 1941, en présence du Docteur Goebbels, d’Alfred Rosenberg, de Terboven, et d’autres, “six divisions S.S. composées d’hommes absolument indifférents en matière de religion. Cela ne les empêche pas d’aller à la mort avec une âme sereine.”2
Ici, “indifférence en matière de religion” signifie seulement “indifférence” au Christianisme et, peut-être, à tout exotérisme religieux ; certainement pas indifférence au sacré. Bien au contraire ! Car ce que le Führer reprochait au Christianisme, et sans doute à toute religion ou philosophie centrée sur le “trop humain”, c’était précisément l’absence en lui (comme en elle) de cette véritable piété qui consiste à sentir et à adorer “Dieu” — le Principe de tout être ou non-être, l’Essence de la lumière et aussi de l’Ombre, — à travers la splendeur du monde visible et tangible ; à travers l’Ordre et le Rythme, et la Loi immuable, qui en est l’expression ; la Loi qui fond les contraires dans la même unité, reflet de l’unité en soi. Ce qu’il leur reprochait, — c’était leur incapacité de faire en sorte que le sacré pénètre la vie, toute la vie, comme dans les sociétés traditionnelles.
Et ce qu’il voulait justement, lui, — et, comme j’essayerai bientôt de le montrer, la S.S. devait avoir là un grand rôle à jouer, — c’était un retour graduel de la conscience du sacré, à divers niveaux, dans toutes les couches de la population. Non pas une résurgence plus on moins artificielle du culte de Wotan et de Thor, — le Divin ne revêt jamais de nouveau, aux yeux des hommes, les formes qu’il a une fois délaissées — mais un retour de l’Allemagne, et du monde germanique en général, à la Tradition, saisie à la manière nordique, dans l’esprit des vieilles sagas, y compris celles qui, comme la légende de Parsifal, ont conservé, sous des dehors chrétiens, les valeurs inchangées de la race; l’empreinte des valeurs éternelles dans l’âme collective de la race. Il voulait rendre au paysan allemand “l’appré
1. Idib. p. 141.
2. “Libres propos sur la Guerre et la Paix”, traduction cime, p. 140.
|
217
hension directe et mystérieuse de la Nature, le contact instinctif, la communion avec l’Esprit de la Terre” ; gratter, chez lui, “le vernis chrétien”, et lui rendre “la Religion de la race”1, et, peu à peu, — surtout dans tout l’immense nouvel “espace vital” qu’il rêvait de conquérir à l’est, — refaire, de la masse de son peuple, un peuple libre de paysans-guerriers, comme autrefois comme au temps où l’immémorial Odalrecht, le plus ancien droit coutumier germanique, réglait les rapports des hommes entre eux et avec leurs chefs.
C’est à partir des campagnes qui, elles, il le savait, vivaient encore, derrière un vain jeu de noms et de gestes chrétiens, “sur des croyances païennes”2 qu’il comptait un jour évangéliser ces masses des grandes villes, premières victimes de la vie moderne chez qui, selon ses propres paroles, “tout” était “mort”. (Ce “tout” signifiait pour lui “l’essentiel” : la capacité de l’homme, et spécialement de l’Aryen de sang pur, de sentir à la fois son néant, en tant qu’individu isolé, et son immortalité en tant que dépositaire des vertus de sa race ; sa conscience du sacré dans la vie quotidienne.)
Il voulait rendre ce sens du sacré à tout Allemand — à tout Aryen — chez qui il s’était estompé ou perdu, au cours des générations, au contact des superstitions répandues par les Eglises comme de celles qu’une fausse “science” popularise aujourd’hui de plus en plus. Il savait que c’était là une tâche ardue et de longue haleine, dont il ne fallait pas attendre de succès spectataculaire, mais dont la conservation du sang pur était la condition sine qua non de l’accomplissement (car au-delà d’un certain degré, très vite atteint, de métissage, un peuple n’est plus le même peuple).
* * *
J’ai mentionné plus haut l’intérêt que portait Adolf Hitler aux techniques modernes, spécialement — et pour cause ! — à celles de la guerre. Cela ne veut pas dire que les dangers de la mécanisation de la vie, et surtout de la spécialisation à outrance, lui aient échappé. Même dans ce domaine bien particulier de la
1. H. Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, p. 71.
2. H. Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, p. 71.
|
218
stratégie, où il se mouvait, lui, l’ancien caporal, avec une facilité que le génie lui-même peut difficilement expliquer, il se montrait sceptique vis à vis des spécialistes et de leurs inventions, et, en dernière analyse, ne se fiait qu’à la vision supra-rationnelle du vrai chef, — sans, bien sûr, rejeter pour autant la mise à profit de toute invention, dans la mesure où elle représente un moyen efficace en vue de la victoire. “Quelle est,” disait-il à Rauschning, “l’invention qui, jusqu’à présent, a pu révolutionner les lois de la conduite de la guerre d’une manière durable ? Chaque invention est elle-même suivie, presqu’immédiatement, d’une autre, qui neutralise les effets de la précédente”. Et il concluait que tout cela ne conférait “qu’une supériorité momentanée, et que la décision d’une guerre dépend toujours des hommes” plutôt que du matériel, — quelqu’important que puisse être celui-ci.1
Ce n’est donc pas la technique en elle-même qui le rebutait. Esprit universel, il était à l’aise dans ce domaine-là comme dans tant d’autres, et il en reconnaissait la place dans le combat à notre époque. Ce qui l’irritait jusqu’à la révolte, c’était l’effet que la formation technique et le maniement des appareils de précision ainsi que des données statistiques, peuvent avoir, et ont presque toujours, sur l’homme, même “bien doué”, qui s’y spécialise ; c’est la constatation qu’ils tuent, chez lui, la souplesse d’esprit, l’imagination créatrice, l’initiative, la vision claire au milieu d’un labyrinthe de difficultés imprévues ; la faculté de saisir, et de saisir à temps — immédiatement, si possible, — le rapport entre une situation nouvelle et l’action efficace qui doit y faire face ; en un mot, l’intuition exacte — selon lui la forme supérieure de l’intelligence. “C’est toujours en dehors des milieux de techniciens qu’on rencontre le génie créateur”2, disait-il. Et il conseillait à ses collaborateurs — et cela, d’autant plus vivement qu’ils occupaient des postes de plus lourde responsabilité, — de prendre leurs décisions “par intuition pure” ; se fiant “à leur instinct”, jamais à des connaissances livresques ou à une routine qui, dans les cas épineux, est le plus souvent en retard sur les exigences de l’action. Il leur conseillait de “simplifier les problèmes” comme
1. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, 1939, p. 21.
2. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, p. 22.
|
219
lui-même les simplifiait ; de “faire litière de tout ce qui est compliqué et doctrinaire”1. Et il répétait que “les techniciens n’ont jamais d’instinct”2, empêtrés qu’ils sont dans leurs théories, “comme des araignées dans leur toile” et “incapables de tisser autre chose”3. Et Hermann Rauschning lui-même, dont la malveillance à son égard saute aux yeux, est forcé de convenir que “ce don de simplification était le pouvoir caractéristique qui assurait la supériorité d’Adolf Hitler sur son entourage.”4
Il suffirait, pour le prouver, de relire, dans le livre de Léon Degrelle, “Hitler pour mille ans”5, les pages lumineuses qui ont trait à la campagne de France et à celle de Russie, — notamment à cette dernière, au sujet de laquelle tant et tant de gens — et pas même de ceux-là dont la guerre est le métier — reprochent au Führer de s’être obstiné à ne pas écouter les techniciens de lastratégie. Le grand soldat que fut le chef de la légion Waffen S.S. “Wallonie” y montre avec éclat que le refus d’Adolf Hitler de se laisser convaincre par ces fameux spécialistes qui, en l’hiver 1941–1942, réclamaient un repli de cent ou deux cents kilomètres, “sauva l’armée”, car “une retraite générale à travers ces interminables déserts blancs et dévorants eût été un suicide”6. “Contre ses généraux, Hitler avait raison”, insiste-t-il, — et non seulement pendant les sept mois de l’épouvantable hiver russe 1941–1942, mais encore en Janvier 1943, quand il insistait pour que von Paulus, encerclé à Stalingrad, tentât, comme il le pouvait, de se jeter vers les blindés du général Hoth, dépendant du Maréchal von Manstein, qu’il avait envoyés à son secours, et qui ne se trouvaient plus qu’à quelques kilomètres. Selon Degrelle, von Paulus “eût pu, en quarante-huit heures, sauver ses hommes”7, mais “théoricien incapable sur le terrain,” tourneboulé par sa manie tatillonne de regroupements méticuleux à base de paperasses”8, ne le fit pas, préférant capituler, alors que
1. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française. p. 209.
2. Hermann Rauschning, Idib. page 209.
3. Hermann Rauscbning, Idib. page 210.
4. Hermann Rauschning, Idib. page 210.
5. Paru aux “Éditions de la Table Ronde”, en 1969.
6. Léon Degrelle, “Hitler pour 1000 ans”, page 129.
7. Léon Degrelle, “Hitler pour 1000 ans”, page 130.
8. Léon Degrelle, “Hitler pour 1000 ans”, page 174.
|
220
“le salut était sous son nez, à quarante-huit kilomètres”1. Il ne le fit pas, parce que, chez lui, l’étude méticuleuse avait pris la place de l’instinct ; parce que le don de simplifier les problèmes et d’aller intuitivement à l’essentiel, lui manquait. Cela tenait sans doute à sa nature. Mais ces déficiences avaient dû être singulièrement renforcées du fait que “presque toute sa vie, von Paulus l’avait passée parmi la bureaucratie des Etats-majors”2, devant ses cartes, dans le cadre étroit de sa spécialité.
Certes, les spécialistes sont nécessaires — à leur place. Le malheur veut que, dans certaines circonstances exceptionnelles, on soit parfois obligé de faire appel à eux en dehors du domaine de leur routine, et de leur demander plus qu’ils ne peuvent donner. Et plus la vie, sous tous ses aspects, se mécanise, grâce aux applications des sciences, et plus il y a, et plus il y aura, du haut en bas de l’échelle sociale, de techniciens spécialisés. Et de plus en plus rares seront ceux d’entre eux qui, tout en ayant, dans leur capacité particulière, le maximum de connaissances, pourront dominer celles-ci, en gardant la vision et l’inspiration, et les inestimables qualités de caractère, qui font l’homme supérieur. Le Troisième Reich a eu de tels hommes : hommes “modernes” par ce qu’ils pouvaient sur le plan matériel, (militaire ou civil) ; d’autre part, égaux des plus grandes figures du passé par ce qu’ils étaient : un Gudérian, un Skorzeny ; un Hans-Ulrich Rudel ; une Hanna Reitsch ; un Docteur Todt ; gens assez forts pour penser et agir en grand tout en se servant des machines de notre époque et en s’astreignant aux manipulations précises qu’elles exigent ; contre-partie occidentale de ces guerriers japonais de la même Deuxième Guerre mondiale qui joignaient au maniement intelligent des armes les plus modernes, la fidélité au code du bushido et, plus souvent qu’on ne pense, la pratique de quelque discipline spirituelle immémoriale.
Le Führer aurait voulu que les meilleurs de ses Allemands devinssent, plus ou moins, de ces nouveaux “maîtres du feu” capables de dominer notre fin de cycle où la technique est, avec tous ses inconvénients, indispensable à qui veut survivre dans un monde surpeuplé. Il savait en effet que ce rôle ne pouvait et ne pourra jamais être joué que par une minorité. Et c’est
1. Léon Degrelle, “Hitler pour 1000 ans”, page 175.
2. Léon Degrelle, “Hitler pour 1000 ans”, page 170.
|
221
cette minorité-là, éprouvée au combat, qui devait, précisément, constituer l’aristocratie guerrière du monde nouveau ; monde à contre-courant de la décadence universelle, qu’il rêvait de bâtir, et dans lequel d’ailleurs, “après la victoire” — une fois disparue l’urgence de la guerre totale, — la mécanisation de la vie cesserait graduellement, et où l’esprit traditionnel, au sens ésotérique du mot, s’implanterait de plus en plus.
|
|