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X
L’ESOTERISME HITLERIEN ET LA TRADITION
“Les fous Me méprisent quand revêtu de l’apparence humaine;
Mon Essence, source suprême des êtres, leur échappe.”
La Bhagawad-Gîta, IX, verset 11
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Il y avait, naturellement, des échelons parmi les élus. (Curieusement, le nom de cette élite de santé physique et de beauté, de courage guerrier et, plus ou moins, de connaissance secrète, dont le vaste public ne sait que les initiales, signifie, comme je l’ai dit plus haut, “échelons de protection”). J’ai, je crois, aussi mentionné cela en faisant allusion aux Ordensburgen, dans lesquelles avaient lieu l’entraînement militaire, l’éducation politique et, dans une certaine mesure, métaphysique, des S.S, et spécialement de leurs cadres, — car la Weltanschauung hitlérienne est inséparable de la métaphysique qui la sous-tend. Cela est si vrai qu’un critique du National-Socialisme et de l’œuvre de René Guénon a pu dire que cette dernière était “de l’Hitlérisme moins les divisions blindées”1, — et cela, sans que l’initié du Caire eût jamais écrit un seul mot de “politique”.
Tous les candidats — je devrais dire “les novices” — S.S, n’étaient pas entraînés et éduqués dans la même Ordensburg. Et tous ceux de la même Ordensburg ne recevaient pas, — surtout aux échelons supérieurs, — le même enseignement. Cela dépendait des tâches auxquelles on les jugeait aptes, au sein de l’élite même. Car celle-ci comportait plusieurs organisations, depuis la Waffen S.S. la plus visible, — la plus célèbre aussi, à cause de l’héroïsme surhumain dont elle a tant de fois fait preuve durant la Seconde Guerre mondiale, — jusqu’à la plus secrète, l’Ahnenerbe, (“Héritage des ancêtres”), fondée en 1935, et d’autant plus difficile à connaître que beaucoup de documents (eux aussi, secrets, cela va sans dire), qui s’y rapportaient, furent détruits “avant l’arrivée
1. Louis Pauwels et Jacques Bergier : “Le Matin des Magiciens”, édit. Gallimard, 1960, p. 326.
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des Alliés en Allemagne”, et que “les membres de cette organisation qui ont survécu à l’effondrement du Troisième Reich” . . . “se taisent avec une fermeté étrange”1.
Il est au moins logique de penser que c’était vraisemblablement l’Ahnenerbe qui, dans l’“Ordre Noir” d’Adolf Hitler, était le dépositaire de la Tradition, — et plus particulièrement, certaines sections de l’Ahnenerbe, car il en comportait de nombreuses, dont “cinquante-deux scientifiques”2, — c’est-à-dire s’occupant de recherches objectives, quoique pas forcément dans l’esprit et à l’aide des méthodes en usage dans les sciences expérimentales. D’après les déclarations de Wolfram Sievers devant le tribunal des vainqueurs, à Nuremberg, auxquelles on doit cette précision, le même Institut “exécutait ou faisait exécuter plus de cent missions de recherches de grande étendue”3. La nature de certaines de ces recherches révèle un intérêt très net aux questions ésotériques. C’est ainsi que l’on étudia “le symbolisme de la harpe en Irlande ; aussi, la question de la survivance de vrais Rose-Croix — en d’autres termes, de groupes initiatiques possédant encore la tradition intégrale des Templiers (dont les premiers Rose-Croix auraient recueilli l’héritage). C’est ainsi que l’on reconsidéra la Bible et la la Kabbale, en essayant d’en tirer le sens caché — se demandant, en particulier le rôle que le symbolisme des nombres peut jouer dans l’une et l’autre. C’est ainsi, encore, que l’on étudia la structure physique et mentale de spécimens humains de différentes races — celle des Nordiques, avec le soin tout spécial que l’on devine, — afin d’assurer au concept d’hérédité et de race, si fondamental dans l’Hitlérisme, toute sa valeur. C’est ainsi que l’on consacra des efforts systématiques et soutenus à toutes recherches ayant pour but de révéler aux Allemands la gloire de leur propre Antiquité, historique ou pré-historique — et de leur Moyen-Age — et de mettre en relief l’importance des sites correspondants.
Sans nier qu’il y ait, dans le Christianisme comme dans le Judaïsme lui-même, et dans toutes les religions ou philosophies se rattachant, de près, ou même de loin, à la Tradition, une part de vérité ésotérique, on mettait l’emphase sur la forme traditionnelle propre aux peuples germaniques. Les traces de celle-ci se retrouvent dans les symboles, gravés sur roc, de la plus loin
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, page 283.
2. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, page 285.
3. André Brissaud, Idib., page 285.
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taine préhistoire, et, après l’éradication sanglante du culte de Wotan par Charlemagne et ses successeurs immédiats, jusque dans certains rites, pratiqués au Moyen-Age, dans les Ordres de Chevalerie ou dans la Sainte Vehme. Il serait intéressant de savoir si cette dernière, qui, elle, n’a pas cessé d’exister comme organisation secrète, a, ou a eu, à un moment donné, quelque rapport avec la Société de Thulé.
Heinrich Himmler — le Chef de la S.S., et l’homme dont la carrière, tant décriée hors des cercles hitlériens, est (à part celle du Führer lui-même) empreinte plus que toute autre, de ce détachement dans la violence, signe d’une qualité supérieure d’être, — insiste là-dessus, serait-ce “d’une façon voilée”, “volontairement vague”1, dans son discours de Janvier 1937, qui contient sa seule référence publique ou semi-publique à l’Ahnenerbe. Il y exalte l’importance. idéologique de découvertes archéologiques faites par l’Institut de ce nom à Altchristenburg, en Prusse orientale : mise à jour de plusieurs couches de fortifications germaniques, de plus en plus anciennes, réfutant l’opinion selon laquelle la Prusse orientale serait une terre slave. Mais il y a plus : il y préconise la “remise en ordre” et “l’entretien”, de centres culturels consacrés “à la grandeur allemande et au passé allemand”, . . . “dans chaque région où se trouve une compagnie S.S.”2. Et il donne des exemples de tels centres. L’un est le Sachsenhain près de Verden, — où 4500 blocs erratiques, transportiés chacun d’un village saxon, avaient été dressés les uns à la suite des autres, de chaque côté des chemins en pleine forêt, à la mémoire des quatre mille cinq cents Saxons, décapités là, sur les bords de l’Aller, en 782, par ordre de Charlemagne, parce qu’ils persistaient à refuser le Dieu étranger qu’il voulait leur imposer. L’autre est le site des Externsteine, impressionnants rochers verticaux marquant, près de Horn, l’un des grands centres spirituels du monde, depuis toujours, et le lieu sacro-saint du culte chez les anciens Germains. Au sommet du plus haut des rochers, à la place de l’antique Irminsul d’or arraché en 772 par les soldats du même conquérant chrétien, flottait, désormais, victorieux, libérateur, symbole de la réconciliation de tous les aspects opposés de l’histoire allemande dans la conscience de son unité profonde,
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, page 283.
2. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, page 284.
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le drapeau rouge, blanc et noir à Croix gammée, du Troisième Reich,
Et. les exemples montrent assez qu’il s’agissait non seulement de “culture”, mais de connaissance secrète, ou, de culture nationale pour l’Allemand en, général, et, pour les initiés de l’Ordre S.S. et en particulier de l’Ahnenerbe, de connaissance secrète des grandes vérités cosmiques, appréhendées à. travers le symbolisme traditionnel tel que les peuples germaniques l’ont connu, et tel qu’une minorité silencieuse l’a conservé.
Car, — et c’est là un point à noter, — malgré le très-fort courant “païen” qui sous-tend l’Hitlérisme, et qui se manifeste surtout par le refus sans réserves de tout anthropocentrisme comme de tout Dieu personnel, il n’a jamais été question de repousser, même de sous-estimer quoi que ce soit qui, dans le patrimoine ancestral allemand — et européen — fasse honneur au génie aryen.
Le Führer avait, dit André Erissaud, “le sentiment” — je dirais, moi, la certitude, — que “tout ce qui, dans l’Occident le plus récent, avait pris la forme d’une religion, et de la religion chrétienne particulièrement,” . . . “appartenait au “trop humain”, donc n’avait pas grand chose à voir avec les valeurs vraiment transcendantes, et, de plus, “offrait un climat général ou une ligne intérieure peu compatible avec ses dispositions et sa vocation propres, situées par delà les vérités et les dogmes de la foi proposée a l’homme ordinaire”1. Or, c’est tout l’ensemble de la civilisation occidentale qui est à la fois “récent” et “chrétien”. Il ne faut jamais l’oublier.
Cela n’empêchait cependant pas Adolf Hitler, qui était impartial comme l’est nécessairement tout sage (à plus forte raison toute expression humaine du Divin), d’admirer Charlemagne : — le Sachsenschlüchter ou “exterminateur des Saxons”, comme l’appelaient Alfred Rosenberg, Johann von Leers, Heinrich Himmler, et bon nombre d’autres grands dignitaires, penseurs et hommes d’action du Troisième Reich. Il voyait en lui le conquérant à l’immense volonté de puissance, et surtout le premier unificateur des Germains ; celui qui, seul à soit époque, avait eu l’idée du Reich, même s’il s’était servi, pour l’imposer, de l’unité artificielle de “foi”, et si cette “foi” était la foi chrétienne, c’est-à-dire une foi étrangère. On se souvient qu’Adolf
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, page 111.
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Hitler insistait sur l’action dissolvante du Christianisme sur le monde gréco-romain, et qu’il le qualifiait de “pré-bolchevisme”. Mais peu importe ce qu’était (et ce qu’est encore) cette foi, si elle fut le ciment d’un Empire germanique conquérant et, plus tard, l’occasion de toute la floraison d’art que l’on connaît. Dans la mesure où cet art est beau, il présuppose, de toute façon, une certaine connaissance de ce qui est éternel. Le Führer reçut donc avec respect, comme un héritage allemand, une réplique de l’épée de l’Empereur d’Occident.
Il admirait aussi les grands empereurs Hohenstaufen, surtout Frédéric Barberousse, Celui-qui-doit-revenir, — et qui était revenu, en lui (pour bien peu de temps, hélas !) ; et Frédéric II, Stupor Mundi, en qui tant de ses contemporains avaient cru voir l’Antéchrist, — comme les hommes de nos jours, aveuglés par la propagande, devaient voir en lui, le Fondateur du Troisième Reich, l’incarnation même du Mal. Il admirait Frédéric Il de Prusse ; Bismark, tous ceux en qui s’était exprimé l’élan conquérant du peuple allemand, dont la mission culturelle — et bien plus que culturelle, — ne faisait pas, pour lui, le moindre doute.
Et Heinrich Himmler lui-même, tout en rendant un hommage éclatant aux guerriers saxons, martyrs de l’antique foi nationale, à Verden, en l’an 782 du Dieu étranger, professait un véritable culte à l’égard de l’Empereur Henri Ier, et exaltait les Chevaliers de l’Ordre Teutonique, — non certes pour ce que ces derniers ont, à grand renfort de brutalité, forcé les Slaves (et finalement les Prussiens1) à accepter le Christianisme, mais pour ce qu’ils ont, par l’épée, “préparé la voie à la charrue allemande” : rendu possible la colonisation allemande de vastes territoires à l’est.
Ce qu’il y avait, d’ailleurs, d’éternel, dans la religion guerrière de Wotan et de Thor, — et, avant celle-ci dans l’immémoriale religion nordique du Ciel, de la Terre, et du “Fils” de l’une et de l’autre, qu’a étudiée le Dr. Hermann Wirth, — devait survivre dans l’ésotérisme chrétien, et dans l’ésotérisme tout court. Celui-ci a, parallèlement à l’enseignement des Eglises, continué tout au long de l’histoire à avoir ces initiés, de moins en moins nombreux, sans doute, mais toujours présents, et parfois très
1. Les Prussiens étaient encore “païens”, c’est-à-dire fidèles à leurs Dieux germaniques, au quatorzième siècle.
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actifs. (On compte, en effet, parmi eux, d’immortels créateurs, tels que le
Grand Dürer et, plus tard, Goethe, Wagner, et jusqu’à un dertain degré, Nietzsche. Et on sait que Frédéric II le Grand, roi de Prusse, — le héros par excellence du Führer — fut Grand Maître des Loges Vieilles-Prussiennes). La signification profonde de l’antique Irminsul, Axe du monde, n’est pas, au fond, différente de celle de la Croix détachée de toute la mythologie chrétienne, c’est-à-dire de l’histoire du supplice de Jésus considéré comme un fait dans le temps. La pointe du vénérable symbole germanique vise en effet l’Etoile Polaire, qui figure “l’Un” ou Principe suprême ; et ses branches incurvées sont censées soutenir le cercle du Zodiaque, symbole du Cycle de la manifestation, se mouvant autour de son centre immobile. Il existe dans certaines très vieilles églises d’Allemagne, jusqu’à des “crucifixions” dans lesquelles la croix elle-même a les branches incurvées de l’Irminsul “païenne”, l’ensemble suggérant comme la fusion des deux religions dans leur symbolisme le plus élevé et le plus universel. D’autre part, — d’après le Professeur von Moth, de Detmold, — la Fleur de Lys, liée, comme chacun le sait, à l’idée de pouvoir royal ou impérial, serait, quant à sa forme, un répliquât quelque peu stylisé de l’Irminsul, ou “Pilier-du-Tout”, ayant comme elle une signification polaire et axiale. Tout pouvoir légitime vient en effet d’En-haut. Et la Croix gammée, elle aussi “essentiellement le signe du Pôle”1 ainsi que celui du “mouvement de rotation qui s’accomplit autour d’un centre ou d’un axe immuable” et, — le mouvement représentant la vie, — celui “du rôle vivifiant du Principe par rapport à l’ordre cosmique”2, s’apparente par là et à l’Irminsul et à la croix.
Ce qui, donc, était important, c’était d’exalter tout ce qui avait contribué, ou pouvait contribuer, à renforcer la volonté de puissance germanique, — condition du “redressement” universel, que seule une Allemagne régénérée pouvait amorcer. C’était d’autre part, de garder vivant le dépôt de vérité traditionnelle, c’est-à-dire de vérité plus qu’humaine — cosmique — transmis du fond des âges. L’expression de cet héritage, la forme sous laquelle il était présenté, pouvait, certes, varier d’une époque à
1. René Guénon, “Symboles fondamentaux de la Science sacrée”, page 89.
2. René Guénon, “Symboles fondamentaux de la Science sacrée”, page 90.
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l’autre au gré des fluctuations politiques du monde visible, mais le fond en demeurait un, et expliquait aussi bien la suprême beauté des vieilles sagas nordiques, que celle de la musique, d’inspiration éminemment chrétienne, de Jean-Sébastien Bach, et, cela va sans dire, celle de l’œuvre tout entière (musicale et littéraire), également initiatique, de Richard Wagner.
Ce dépôt, plus précieux que tout, provenait de la mystérieuse Hyperborée, patrie originelle des “hommes transparents”, fils des “Intelligences du Dehors” ; de l’Hyperborée dont le centre, — la “capitale” — était Thulé.
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Il est sans doute inutile de faire remarquer que la “transparence” dont il est question ici n’a rien de matériel, et par conséquent, de visible. Elle figure un état d’être plus subtil que celui que nous connaissons ; plus ouvert au contact direct avec l’intangible et même l’informel. En d’autres termes, les Hyperboréens, détenteurs de la Tradition primordiale, auraient été capables d’intuition intellectuelle à un degré que nous ne concevons pas.
Qui étaient-ils ? Et, — s’il a vraiment existé — où s’étendait leur territoire ? Les allusions plus ou moins évocatrices qui y sont faites par les Anciens, — par Sénèque, dans sa “Médée” ; par Pline l’Ancien, Virgile, Diodore de Sicile, Hérodote, Homère (dans l’Odyssée) et l’auteur ou les auteurs de la Genèse, et surtout de l’énigmatique Livre d’Enoch — sont assez vagues, quoique se rapportant toutes au “grand Nord”. Et l’évocation de la “blancheur” extrême des Hyperboréens, de l’indicible beauté de leurs femmes et des “extraordinaires dons de clairvoyance”1, de certaines d’entre elles, ferait penser à une race aryenne immensément supérieure à la moyenne des Nordiques actuels, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’un passé qui se perd dans la nuit des temps. Mais il y a plus : le savant Bal Gangadhar Tilak, plus connu sous le nom de Lokomanya Tilak, érudit et sage Hindou2, a, dans son ouvrage The Arctic Home in the Vedas (“La patrie arctique dans les Védas”), très clairement rattaché
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition citée (1969), page 58.
2. Né le 3 juillet 1856 ; mort le ler août 1920. C’était un Brahmane du Maharashtra, de la sous-caste des Chitpavan.
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la plus ancienne tradition des Indes à une région située sous les hautes latitudes ; une région connaissant et la longue nuit polaire et le soleil de minuit, et . . . les aurores boréales ; une région où les astres ne se lèvent ni ne se couchent, mais se déplacent, ou semblent se déplacer, circulairement le long de l’horizon.
Le Rig-Véda, qu’il a étudié tout spécialement, et dont il tire la plupart des citations à l’appui de sa thèse, aurait été, ainsi que l’ensemble du “Véda” — ou connaissance “vue”, c’est-à-dire directe, — révélé à ces “Aryas”, c’est-à-dire “Seigneurs” de l’extrême Septentrion, et conservé précieusement par eux lors des migrations qui les ont, au cours des siècles, peu à peu amenés jusque dans l’Inde.
Tilak place l’abandon de la patrie arctique au moment où celle-ci perdit son climat tempéré et sa verdoyante végétation, pour devenir “glaciale”, c’est-à-dire au moment où l’axe de la Terre bascula de plus de vingt-trois degrés, il y a quelque huit mille ans. Il ne précise pas si l’ile ou la portion de continent ainsi frappée de soudaine stérilité a été engloutie, comme le veut la Légende de Thulé, ou continue d’exister quelque part dans le voisinage ou à l’intérieur du Cercle polaire. Il ne mentionne, pas, non plus, les étapes que les dépositaires du Véda éternel — Sagesse cachée sous les textes sacrés de ce nom, — durent parcourir entre leur patrie arctique et les premières colonies qu’ils fondèrent dans le nord-ouest de l’Inde. Et, son ouvrage ne s’adressant pas à des initiés — qui n’en auraient d’ailleurs nul besoin — mais seulement à des savants orientalistes de bonne foi, qu’il sait insensibles à tout argument non étayé de preuves, il ne dit évidemment rien des centres initiatiques “souterrains”, Agartha et Shamballa, dont il est si souvent question, dans l’enseignement secret que la “Société de Thulé” donnait à ses membres — enseignement qu’ont donc reçu, entre autres, Alfred Rosenberg, Rudolf Hess, Dietrich Eckart et, vraisemblablement par l’intermédiaire de ce dernier, Adolf Hitler lui-même. (Agartha, ou Agarthi, serait le centre placé “sous la roue du Soleil d’Or, c’est-à-dire celui auquel se rattachent les contemplatifs qui refusent d’avance de participer aux affaires de ce monde : celui des sages que j’ai appelés “hommes au-dessus du Temps”. Shamballa serait, par contre, le centre spirituel des hommes “contre le Temps” : des initiés qui, tout en vivant dans
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l’éternel, acceptent d’agir dans ce monde “dans l’intérêt de l’Univers”, selon les valeurs immuables, ou, pour employer les paroles mêmes du Führer, selon le “sens originel des choses”. C’est, naturellement, à ce second centre des Maîtres de l’Action qu’Adolf Hitler se rattacherait).
Il est remarquable que les noms d’Agartha et de Shamballa “apparaissent plusieurs fois sur les lèvres de plus d’un chef S.S. au cours des procès de Nuremberg, et, plus particulièrement, des S.S. qui furent parmi les responsables de l’Ahnenerbe”1. Cette organisation a, entre autres, on le sait, envoyé au Tibet “une expédition dirigée par l’ethnologue Standartenführer S.S. Docteur Scheffer”2. Les fragments, les comptes-rendus de celle-ci, qui existent, microfilmés, “aux Archives nationales, à Washington”, ont paru “extraordinaires” à André Brissaud, qui les a lus. Pourquoi une telle expédition ? Certes pas pour tenter de retrouver, en Asie Centrale, “les origines de la race nordique”, comme semble le laisser croire Brissaud. Sous le Troisième Reich, même les enfants des écoles savaient, pour l’avoir lu dans leurs manuels, — dont quelques-uns, tel celui de Klagges/Blume, “So ward das Reich”, étaient remarquables, — que cette race s’était étendue du nord vers le sud et vers l’est, et non inversement3. Non. Ce que voulaient, sans doute, le Docteur Scheffer et ses collaborateurs, c’était, plutôt, essayer de pénétrer le mystère d’Agartha et de Shamballa ; peut-être essayer, avec l’aide du ou des chefs d’un centre spirituel où il se manifeste, d’entrer en contact avec le principe (car c’est un principe, non un personnage) que René Guénon appelle le “Roi du Monde”4. Cela semble d’autant plus plausible que, parmi ces sections de l’Ahnenerbe dont le travail était classé “affaire secrète du Reich” et “dont on ignore tout”, “l’une comprenait, outre l’étude des langues anciennes, de la cosmologie et de l’archéologie, celle “du Yoga et du Zen”, et une autre s’intéressait
1. André Brissaud “Hitler et l’Ordre Noir”, édition citée, page 59-60.
2. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition 1969, pages 59-60.
3. Klagges/Blume, “So ward das Reich”, page 15.
4. René Guénon, “Le Roi du Monde” ; page 13.
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“aux doctrines ésotériques, et aux influences magiques sur le comportement humain.”1
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D’ailleurs, ce n’est pas seulement avec les initiés de la Cité interdite de Lhassa (et peut-être avec le Dalaï-Lama lui-même) que l’élite spirituelle de l’Ordre S.S. — qui était celle d’une nouvelle civilisation traditionnelle en puissance, sinon actuellement en gestation, — cherchait à prendre contact. A mon humble connaissance, il y eut aussi de semblables rencontres aux Indes ; — rencontres que peu de gens soupçonnent en Occident — et cela, tout à fait en dehors des conversations politiques qui ont pu avoir lieu avec certains chefs hindous, tel Subhas Chandra Bose, aux Indes et en Allemagne, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il paraissait à Calcutta, depuis 1935, une revue “culturelle”, The New Mercury, très habilement éditée par Sri Asit Krishna Mukherji, en collaboration avec Sri Vinaya Datta et quelques autres. Les discours du Führer, dont la presse officielle, tant en anglais qu’en bengali, ne rapportait que des extraits, s’y étalaient in extenso, surtout s’ils présentaient, comme c’était souvent le cas, un intérêt débordant “la politique”. L’un d’eux, qui avait alors particulièrement attiré mon attention, portait sur le sujet : “Architecture et nation”. Mais la dite revue publiait aussi des études sur tout ce qui pouvait tendre à mettre en lumière une connection profonde, non-politique, remontant très loin et très haut, entre la civilisation traditionnelle hindoue telle qu’elle n’a cessé d’exister, et la civilisation traditionnelle germanique, telle qu’elle avait existé, longtemps avant le Christianisme, et aspirait à renaître en ce qu’elle avait d’essentiel. Ces études révélaient chez leurs auteurs, outre l’érudition archéologique indispensable, une connaissance sérieuse du symbolisme cosmique. Plusieurs étaient, cela va sans dire, centrées sur la Croix gammée. Elles semblaient vouloir montrer — indirectement — le caractère exceptionnel d’un grand Etat moderne qui reconnaissait pour “sien” un Signe d’une telle portée universelle, qui le gravait sur tous ses monuments publics, l’imprimait sur tous ses
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition 1969, page 285.
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étendards. Elles suggéraient en même temps l’aspiration de ce grand Etat à renouer contact avec la Tradition primordiale — dont l’Europe s’était détachée depuis des siècles déjà, mais dont l’Inde avait gardé le dépôt inestimable.
Je n’ai aucune preuve que les services de l’Ahnenerbe aient joué un rôle quelconque dans la publication de la revue “New Mercury”. Cela me paraît, au fait, d’autant moins probable que cette section spéciale de la S.S. n’a été elle-même fondée qu’en 1935 ; — la même année que la dite revue. Mais je sais que cette dernière était en partie au moins, soutenue financièrement par le gouvernement du Troisième Reich. Les Allemands, et les représentants, — Allemands ou non — de firmes allemandes aux Indes, étaient censés s’y abonner. Et l’un d’entre eux au moins, à ma connaissance, fut rappelé en Allemagne, après avoir été démis de la direction de la succursale qu’il régissait depuis des années, pour avoir refusé de le faire et déclaré que “cette propagande d’un nouveau style” (sic) ne l’intéressait pas.
Le fondateur et éditeur du périodique, Sri A. K. Mukherji, demeura en contact étroit avec Herr von Selzam, Consul Général d’Allemagne à Calcutta, tant que celui-ci resta à ce poste. Et ce représentant officiel d’Adolf Hitler lui remit, la veille de son départ, un document adressé aux autorités allemandes, dans lequel il était spécifié en toutes lettres que “personne en Asie n’avait rendu au Reich des services comparables aux siens”. J’ai vu ce document. Je l’ai lu et relu, avec joie, avec fierté — en tant qu’Aryenne et Hitlérienne, et épouse de Sri A. K. Mukherji. J’y ai déjà fait allusion au cours de ces entretiens.
Il ne m’est pas possible de dire si les “services” dont il y était question avaient ou non débordé les limites, assez étroites, des activités de Sri A. K. Mukherji en tant qu’éditeur d’une revue bimensuelle, traditionaliste, à la fois hindoue et pro-allemande. Il semblerait bien qu’ils les aient dépassées, — car la revue n’avait duré que deux ans, les autorités anglaises l’ayant interdite vers la fin de 1937, peu après le “tournant” définitif dans l’évolution de la politique britannique vis à vis du Reich. De toute façon je ne connaissais pas encore personnellement Sri A. K. Mukherji à cette époque : son nom évoquait seulement, pour moi, l’existence de l’unique revue de tendances nettement hitlériennes que je connusse aux Indes. Mais une chose me porte à croire que la connaissance qu’il possédait dès lors, et même auparavant,
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de l’Hitlérisme ésotérique, c’est-à-dire de la connection profonde de la doctrine secrète du Führer avec la Tradition éternelle, n’avait aucune commune mesure avec les vagues impressions que je pouvais avoir, moi, sur le même sujet. Au cours de la toute première conversation que j’eus avec lui, après avoir eu l’honneur de lui être présentée, le 9 Janvier 1938, — celui qui, moins de deux ans plus tard, était destiné à me donner son nom et sa protection, me demanda incidemment ce que je pensais de . . . Dietrich Eckart.
Je savais qu’il s’agissait là de l’auteur du célèbre poème “Deutschland erwache” ; du combattant des tout premiers jours de la Kampfzeit, mort quelques semaines après le “putsch” manqué du 9 Novembre 1923, à l’âge de cinquante-cinq ans ; du camarade auquel Adolf Hitler avait dédié la seconde partie de “Mein Kampf”. J’ignorais encore jusqu’à l’existence de la Thülegesellschaft, et étais par conséquens loin de soupçonner le rôle que le poète de la révolution nationale avait pu jouer auprès du Führer.
J’étalai avec enthousiasme ma pitoyable petite érudition. Mon interlocuteur qui avait rendu, — et allait bientôt rendre — au Troisième Reich (et plus tard à ses alliés japonais) “des services comparables à ceux de nul autre”, sourit et passa à un autre sujet.
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L’opinion selon laquelle Adolf Hitler aurait été un agent des Forces diaboliques, que son initiation n’aurait été qu’une monstrueuse contre-initiation, et son Ordre S.S. qu’une sinistre confrérie de magiciens noirs, est — on s’en doute ! — on ne peut plus répandue parmi les Anti-hitlériens plus ou moins barbouillés d’occultisme. (Et ceux-ci ne manquent pas).
L’argument le plus probant là-contre me semble venir des Indes. En Occident, en effet, la confusion sur le plan de la connaissance des principes est aujourd’hui telle qu’il est difficile de, dire s’il y existe encore un groupe pouvant légitimement se targuer d’une filiation véritable avec la Tradition. Il n’y a donc pas de point de comparaison entre l’attitude des vrais initiés et celle des charlatans. Selon René Guénon, pratiquement toutes les sociétés d’Europe qui se prétendent de nos jours “initiatiques”,
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seraient à classer sous cette dernière rubrique. Or, ce sont leurs membres qui se font entendre, qui s’agitent, qui prennent position contre l’Hitlérisme — comme l’ont fait, toutes les fois qu’ils l’ont pu, Louis Pauwels et le Juif Bergier, dans la revue “Planète”. Au fait, je ne connais pas un seul groupe européen intéressé aux doctrines ésotériques, qui ne soit nettement anti-hitlérien. (Je puis me tromper, certes. Je voudrais, sur ce point, me tromper).
Mais il n’en va pas de même aux Indes.
D’abord, on fait face, là, à un “paysage spirituel” tout différent. Au lieu d’avoir affaire à des groupes à prétentions plus ou moins “initiatiques” se mouvant au milieu d’une immense société profane, entichée de sciences expérimentales et de “progrès”, et préoccupée surtout de son bien-être matériel, nous sommes en présence d’une civilisation traditionnelle, bien vivante malgré l’emprise croissante de la technique. L’homme des masses, non-empoisonné de propagande puisqu’il jouit encore du “bienfait de l’analphabétisme” (pour reprendre ici une expression chère au Führer), y pense davantage que l’individu de même niveau social en Occident — ce qui, entre nous, n’est pas un exploit ! Il y pense, surtout, dans l’esprit de la Tradition, témoin ce jeune Soudra dont j’ai rappelé l’histoire au début de ces “Souvenirs et réflexions”.
L’Hindou qui, lui, a fréquenté les écoles, et même celui qui a fait ses études en Europe ou aux U.S.A. n’en est pas pour autant hostile à la Tradition. L’idée de hiérarchie naturelle, d’hérédité biologique — donc raciale — intimément liée au karma de chacun, lui est familière. Et dans l’immense majorité des cas, il vit selon les règles immémoriales de sa caste — même alors que le gouvernement “progressiste” d’une Inde dite “libre” (en réalité : grotesque copie des Démocraties d’Occident) a proclamé la suppression des castes et imposé le suffrage universel. Dans certains cas, bien sûr, il rapporte de ses contacts avec l’étranger des idées subversives ou des habitudes choquantes. Mais alors, il est méprisé des siens, et la société orthodoxe se détourne de lui, — aucun gouvernement n’ayant le pouvoir de la forcer à l’accepter bon gré mal gré. Quant aux groupes initiatiques traditionnels et aux maîtres isolés d’une science secrète vraie, ils continuent d’exister comme par le passé : — en silence ; inaperçus du grand public. Ils se tiennent, en principe, hors du tourbillon de la politique, et ne donnent pas de conférences
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de presse. Tout au plus un mot, une réflexion formulée auprès d’un visiteur respectueux de la Tradition bien que lui-même non-initié, peut parfois laisser deviner où vont les sympathies terrestres de tel ou tel sage.
Il y a aussi, comme il fallait s’y attendre à une époque de décadence universelle, des personnes qui font profession de “spiritualité” et des groupes qui se réclament de maîtres transcendents et prétendent en transmettre la soi-disant “initiation” sans en avoir l’ombre d’un droit. Les charlatans en tunique orangé — ou nus, le corps couvert de cendres — qui traînent autour des temples, spécialement dans les lieux de pélerinage, vivant de mendicité ou d’escroquerie, se posant en “gurus” auprès de veuves crédules, ne manquent pas. Ce sont des fripons, mais de petite envergure et de nuisibilité limitée. Infiniment plus dangereux sont les individus ou les groupes qui travaillent à faire pénétrer aux Indes — autant que se peut — l’anthropocentrisme inhérent aux doctrines religieuses ou politiques influencées plus ou moins directement par le Judaisme ou par les Juifs. Je désigne par là tous les individus ou groupes qui, sous le couvert d’une mensongère fidélité à la Tradition, qu’ils tordent, et défigurent à leur gré, prêchent des principes égalitaires, la démocratie, l’horreur de toute violence, même détachée, quand celle-ci s’exerée contre “des hommes”, quels qu’ils soient — alors que la monstrueuse exploitation de la bête (et de l’arbre) par l’homme les dérange à peine (s’ils n’y sont pas totalement indifférents, voire même, s’ils ne la justifient pas ! ). Je pense à tous ceux qui prétendent rendre hommage à la “sagesse antique véritable” en niant obstinément toute hiérarchie raciale naturelle, en condamnant le système des castes jusque dans son principe, en prêchant le “droit” de gens de races différentes de s’épouser, s’ils croient par là, trouver leur “bonheur”. Je pense à ceux qui voudraient remplacer, chez les Hindous, les vieux privilèges de caste par des privilèges basés sur “l’instruction” (au sens occidental du mot) et le souci d’orthodoxie métaphysique par une préoccupation toujours plus intense du “social”, de l’“économique”, de “l’amélioration des conditions de vie pour les masses”. Je pense aux organisateurs de “Parlements des religions” ; aux avocats d’une fusion entre “l’Orient et l’Occident” aux dépens de l’esprit de la Tradition, commune, à l’origine, aux deux, et que l’Hindouisme seul a conservée comme base de civilisation ; aux missionnaires
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d’une morale universelle centrée sur “l’homme”, comme la conçoivent et l’Occident chrétien et l’Occident rationaliste.
La “Mission” qui se réclame du divin Ramakrishna — un véritable initié, lui, qui a vécu au siècle dernier, — semble de plus en plus donner dans ce sens, sous l’influence de bienfaiteurs occidentaux, surtout Américains. Mais cette tendance ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plus de cent cinquante ans qu’elle s’est fait jour avec la fondation du Brahmo Samaj, société de déistes profondément marqués par leur éducation universitaire anglaise et la forme “protestante” du Christianisme. Cette secte, sous prétexte de ramener l’Hindouisme à une soi-disant “pureté originelle”, l’a interprété selon cet “esprit moderne”, dont René Guénon a si justement déploré l’emprise sur l’Europe. Mais, comme le dit encore Guénon, ses adhérents sont, malgré la position sociale et, qui plus est, la haute caste des plus connus d’entre eux, rejetés des Hindous orthodoxes. Ceux-ci refusent de leur donner leurs filles en mariage, — ou d’accepter les leurs pour leurs fils. Et dans les villages, ils n’accepteraient pas d’eux un verre d’eau — et, je le répète, aucun gouvernement ne pourrait les y contraindre. Cette attitude vient de ce que les Brahmo Samajistes rejettent le principe du système des castes : l’inégale “dignité” des hommes, selon leur hérédité. Elle vient de ce que le Brahmo Samaj n’est pas l’Inde — pas plus que ne le sont les autres sectes de même esprit, quelles qu’elles soient.1
Je ne veux pas m’étendre en détails sur celles-ci. Cela entraînerait le lecteur trop loin. Mais il ne m’est pas possible de passer sous silence deux organisations qui ont pris naissance dans l’Inde du Sud : l’une, la Société de Théosophie, à Adhyar près de Madras ; l’autre, la communauté qui s’est formée à Pondicherry, autour du sage bengali, Aurobindo Ghosh, aujourd’hui décédé.
La première est une vaste institution internationale de subversion au sens profond du mot, comme Guénon l’a fort bien montré dans son livre “Le Théosophisme, une fausse religion”2. Ce qu’on voudrait y faire passer pour “doctrine” est un salimigondi de constructions arbitraires de l’esprit et de quelques notions et croyances dont les noms — karma ; transmigration des
1. Par exemple l’Arya Samaj, qui n’a d’“Arya” que le nom car il rejette, lui aussi, l’idée de hiérarchie naturelle des races.
2. Livre aujourd’hui pratiquement introuvable.
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âmes, etc. — sont tirés de la tradition hindoue, et bouddiste. Les notions et croyances elles-mêmes sont tout aussi arbitraires, tout aussi peu orthodoxes, que les théories où elles entrent, — telle, par exemple, cette idée d’“âme collective” (group soul) des animaux, chère à Leadbeater ; tel, aussi, tout ce qu’enseignent les Théosophes sur leurs divers “Maîtres” : Kouthoumi, Rajkoski, et autres. L’illustre Lokomanya Tilak, dont j’ai cité plus haut l’un des ouvrages, a comparé Annie Besant, Présidente de la Société de Théosophie jusqu’à sa mort en 1933 — et pendant un temps, Présidente du Congrès National Indien — à la diablesse Putna, envoyée comme nourrice à l’Enfant-Dieu, Krishna, afin de le tuer de son lait vénéneux. Tilak espérait que, semblable au jeune Dieu qui, tout en assimilant impunément le poison, a finalement tué Putna en la vidant de toute sa substance, la société hindoue saurait se défendre, et confondre ceux qui essayent de la séduire par des contre-vérités habilement travesties.
L’autre institution s’est développée autour d’un sage apparemment véritable. Toutefois elle tendait, déjà durant la vie de celui-ci, à tomber au rang d’une entreprise d’exploitation très habile et très lucrative. Elle achetait, en effet, l’une après l’autre, toutes les maisons de Pondicherry qui étaient à vendre, si bien qu’elle comprenait en 1960, en dehors du centre où quelques disciples se livraient à la méditation, de nomberux ateliers de poterie, de menuiserie, de tissage, etc, etc, . . . dont les produits étaient — et sont encore aujourd’hui — vendus au profit de ses œuvres ; des écoles mixtes, avec classes sportives ; une université, pourvue de laboratoires richement équipés.
Cette prospérité serait, m’a-t-on dit, en grande partie due au génie des affaires que possèdent et la “Mère” de l’ashram — femme d’origine juive, veuve d’un Juif, puis d’un Français1 — et le fils qu’elle a de son premier mari. Des membres de l’organisation, pleins à la fois de zèle et de sens pratique, et jouissant de la confiance de ces deux personnes, en sont aussi, peut-être, responsables, chacun suivant ses talents. De toute façon, dès la salle de réception, où sont en vente de nombreuses photographies, grandes et petites pour toutes les bourses, — du
1. Monsieur Paul Richard. Son premier mari s’appelait Alfassa. la “Mère”, encore vivante quand ces pages furent écrites, est morte depuis lors, — en 1973 — à l’âge de 95 ans.
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défunt guru et de la “Mère”, on est impressionné par l’atmosphère business-like du lieu, impression qui se précise et s’intensifie au cours d’une visite des ateliers. Et l’on se remémore, par contraste, le rayonnement spirituel qui se dégage de certains écrits d’Aurobindo Ghosh : — de ses Commentaires sur la Bhagawad-Gita ; de sa “Vie divine” ou de sa “Synthèse des Yogas”. On a le sentiment d’un profond décalage entre cette organisation plus que florissante, qui couvre les deux tiers d’une ville de plus de cent mille habitants, et le sage qui y a vécu dans l’isolement le plus complet : — invisible à la foule et même aux disciples, sauf pour quelques heures par an.
Or, il y a un fait qui me semble éloquent, et le voici : au milieu de cette civilisation traditionnelle qu’est encore celle des Indes, c’est précisément des organisations les plus profanes, les plus “modernes”, en un mot les plus anti-traditionalistes, que sont venus les gestes, les écrits ou les déclarations hostiles à l’Hitlérisme.
Aurobindo Ghosh n’a, lui, à ma connaissance, jamais exprimé de jugement “pour” ou “contre” aucune des grandes figures ou des grandes fois politiques (ou plus-que-politiques) contemporaines. Il avait définitivement quitté l’action — et quelle action !1 — pour la contemplation, et il s’est confiné au domaine spirituel. Mais sur la fin de 1939, — ou était-ce en 1940 ? — les journaux de Calcutta publiaient que “l’Ashram de Pondicherry” avait fait au Gouvernement colonial des Indes un don de dix-mille livres sterling “pour aider l’effort de guerre britannique”. Monsieur de Saint-Hilaire, dit Pavitra, secrétaire de l’Ashram, que j’interrogeai sur ce point en 1960, me répondit qu’il “ne pouvait pas me dire” si l’information recueillie et publiée vingt ans plus tôt dans la presse de Calcutta, était exacte. Mais il me déclara que “cela se pouvait bien”, attendu que l’Hitlérisme allait, selon lui (et sans doute aussi selon plus d’une personne ayant à l’ashram quelqu’influence), “contre le sens de l’évolution humaine”. (Contre l’évolution ? Et comment ! Rien ne saurait être plus vrai ! Mais loin d’être une raison de le combattre, c’en serait là, au contraire, une, de le soutenir. La décadence universelle est un signe, de plus en plus visible, que notre cycle s’avance rapidement vers sa fin. Tout combat contre
1. Il avait, au debut du siècle, joué un rôle de premier plan dans le mouvement “terroriste” (anti-britannique) du Bengale.
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elle, tout “retour aux principes éternels, va nécessairement “contre le sens de l’évolution humaine”. C’est une phase de la lutte perpétuelle, à contre-courant du Temps. Mais c’est là, je le répète, et j’y insiste, une raison, — la raison majeure, — de l’exalter, plutôt que de le condamner.)
Par ailleurs, les chefs de la Société de Théosophie — selon René Guénon, maîtres de contre-initiation, malgré leurs prétentions contraires — ont prouvé, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, combien ils haïssaient (et haïssent encore) la doctrine d’Adolf Hitler. Arundale, alors Président de la dite Société, parcourait les Indes à la recherche de prêtres complices, c’est-à-dire, achetables, et leur commandait des prières pour la victoire des “Croisés”1 contre le National-socialisme. Et il n’y a qu’à ouvrir un numéro quelconque de “Conscience”, l’organe officiel de la Théosophie, pour y voir étalée, noir sur blanc, une propagande anti-hitlérienne qui n’a rien à envier à celle des journaux d’Angleterre ou des U.S.A. de la même époque, voire même à celle de la presse de l’Union Soviétique (après, cela s’entend, la rupture du Pacte germano-russe du 23 août 1939). Il n’est pas jusqu’aux hypothétiques “maîtres” invisibles des Théosophes, Kouthoumi, Rajkoski et autres, auxquels on n’ait attribué des “activités cachées” pour le succès des Nations Unies.2
En dehors de la Société de Théosophie — elle-même en liaison étroite avec certaines Loges maçonniques d’Occident, — c’est parmi les Hindous des sectes dissidentes, telles que le Brahmo Samaj, que j’ai rencontré les seuls Anti-hitlériens qui aient, aux Indes, croisé mon chemin, — à part, bien entendu, la grandes majorité des Européens non-Allemands, et tous les Communistes sans exception. Je n’en citerai, pour exemple, que ce milieu Brahmo Samajiste par excellence que représentait alors, et que représente toujours, l’Université en plein air de Shantinikétan. Le poète Rabindranath Tagore, son fondateur, était encore vivant quand, en 1935, je passai six mois à la dite Université afin d’y améliorer ma connaissance de la langue bengalie et d’y apprendre le hindi. Je n’y remarquai rien de spécial hors
1. “Crusade to Europe” est le titre du livre du général Eisenhower sur sa campagne contre l’Allemagne.
2. En 1947 Gretar Fels, Président de la Société de Théosophie de Reykjavik, m’assurait que “maître Rajkoski” avait “aidé les Alliés à combattre le Nazisme.
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mis la présence, en tant que “professeur d’Allemand,” d’une Juive de Berlin, Margaret Spiegel, dite Amala Bhen, qui y était venue, après deux ans de séjour dans l’ashram de Gandhi, répandre sa haine du Troisième Reich auprès des élèves qui lui étaient confiés et des collègues Hindous qu’elle pourrait endoctriner. Je sus bientôt que “Govinda”, le moine bouddhiste dont la robe couleur de safran et le beau parasol birman ajoutaient une note pittoresque au paysage, était aussi un Juif venu d’Allemagne. On me parla aussi de l’amitié profonde qui liait le poète à Andrews, un Britannique, ancien missionnaire chrétien. Mais personne ne m’exprima d’hostilité envers ma foi hitlérienne, — sauf Amala Bhen.
Celle-ci, à qui on avait cru bon de me présenter “en tant qu’Européenne” dès mon arrivée à Shantiniketan, s’était, au boutd’une demi-heure à peine de conversation, fort bien rendue compte de la nature “pan-aryenne” de l’Hitlérisme tel que je le concevais et le conçois toujours. Elle s’empressa de me déclarer — elle qui était venue au bout du monde “pour ne plus voir l’ombre d’un Nazi”, — que j’étais “pire que toute la bande réunie”1 de ceux qu’elle voulait tant éviter. Ceux-là, en effet, me dit-elle, défilaient dans les rues des villes du Reich en chantant : “Aujourd’hui l’Allemagne nous appartient ; demain, le monde entier !”, mais ils pensaient surtout à l’Allemagne, malgré les paroles de leur chant. Tandis que moi, en insistant sur la profonde identité de l’esprit hitlérien et de celui de l’Hindouisme orthodoxe, je préparais la voie à la future conquête militaire et morale, et à l’influence illimitée d’un Reich allemand qui déborderait largement sur l’Asie.
Ces propos me flattaient bien au-delà de mes mérites. Mais l’hostilité de Margaret Spiegel, dite Amala Bhen, — et sans doute celle de “Govinda”, à qui on se garda bien de me présenter, — me paraissait encore confinée à l’élément non-Hindou de l’Université de Shantinikétan.
Ce fut pour moi une surprise que d’apprendre, quelques mois avant la Seconde Guerre mondiale, que le poète Rabindranath Tagore lui-même avait envoyé au Führer un télégramme de protestation contre l’invasion de la “malheureuse Tchéchoslovaquie”. De quoi se mêlait-il ? — lui dont je ne pouvais m’empêcher
1. “Worse than the whole pack rolled in one”.
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d’exalter l’œuvre en tant qu’artiste. Ne se rendait-il donc pas compte que c’étaient surtout les malheureux Allemands des Sudètes qui avaient le droit d’être protégés ? Ne savait-il pas que la Tchéchoslovaquie n’avait jamais été qu’un Etat artificiel, un assemblage d’éléments on ne peut plus disparates, édifié de toutes pièces pour servir d’épine permanente au flanc du Reich allemand ? Mais que dis-je ? Aurait-il même été capable d’en tracer la carte ? Alors, pourquoi cette intervention indiscrète ? Lui avait-elle été suggérée — ou inspirée — par les étrangers, Chrétiens ou Juifs, que je viens de nommer, et par d’autres, tous humanitaires et anti-racistes — du moins anti-aryens, — qui hantaient occasionnellement Shantinikétan, ou qui y vivaient ?
Ou ne devais-je pas plutôt admettre que, quelqu’artiste qu’il pût être — quelque lumineuse et musicale qu’ait pu se révéler, sous sa plume de génie, une langue néo-sanskrite, telle que le bengali, — un Brahmane qui rejetait en bloc le système des castes ne pouvait être qu’anti-hitlérien ? La prise de position du poète contre le Défenseur de l’élite aryenne d’Europe, dans un conflit européen, me choquait d’autant plus que Rabindranath Tagore avait un teint d’ivoire et les traits les plus classiques de la race blanche : — signes physiques d’une filiation à peu près sans mélange avec ces Aryas conquérants, qui ont transmis à l’Inde ancienne la Tradition d’Hyperborée. Mais j’aurais pu — j’aurais dû — penser que, si ces mêmes signes visibles de noblesse aryenne n’avaient pu l’empêcher de joindre sa voix à celle des contempteurs de la “Loi de la couleur et de la fonction sociale” — varnashramdharma — aux Indes, il était peu probable qu’ils eussent pu devenir en lui l’occasion d’un éveil de conscience ancestrale lié, comme se devait, à une quelconque sympathie pour cette forme européenne et moderne de “l’esprit brahmanique”, qu’est l’Hitlérisme.
* * *
J’ai toujours, par contre, été agréablement frappée par la compréhension que j’ai rencontrée, en tant qu’Hitlérienne, chez les Hindous orthodoxes de toutes castes.
J’ai, au début de ces entretiens, raconté l’épisode du jeune Soudra, au beau nom historique de Khudiram1, qui montra plus.
1. C’est le nom d’un jeune héros du Bengale, qui a donné sa vie pour l’indépendance des Indes.
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de sens des vraies valeurs — et une appréciation plus exacte du rôle d’Adolf Hitler, — que tous les Démocrates d’Europe et d’Amérique réunis1. J’ai aussi cité Satyananda Swami, le fondateur de la “Hindu Mission”, pour qui, pourtant, la création d’un front commun hindou contre l’emprise de l’Islam, des missionnaires chrétiens, et du Communisme, comptait bien plus encore que la stricte observance de l’orthodoxie. Celui-ci tenait notre Führer pour “une Incarnation de Viçnou — la seule en Occident.”2
Je pourrais, sur ce sujet-là, multiplier les souvenirs; rappeler, par exemple, cet admirable Brahmane de Poona, Pandit Rajwadé, aussi versé dans la connaissance de l’œuvre de Nietzsche que dans celle des textes sacrés (qu’il commentait, deux fois par semaine, devant un étroit cercle de disciples) et qui professait la plus profonde admiration pour “le roi chakravartin d’Europe” venu “pour rétablir l’ordre vrai”, dans un monde à la dérive. Je pourrais rapporter les propos de cet autre homme peu ordinaire — moins lettré peut-être, mais doué d’un étrange pouvoir de voyance — que je rencontrai au début de la guerre dans une famille amie, dont il était le guru, ou maître spirituel. Ce sage me dit : “Votre Führer ne peut qu’être victorieux car ce sont les Dieux eux-mêmes qui lui dictent sa stratégie. Tous les soirs, il se dédouble, et s’en vient ici, dans les Himalayas, recevoir leurs instructions.”
Je me demandai ce qu’Adolf Hitler aurait pensé de cette explication inattendue des victoires de l’armée allemande. Je dis alors au saint homme : “Il est, dans ce cas, certain qu’il gagnera la guerre.”
“Non”, me répondit-il ; “car il viendra un temps où ses généraux rejetteront son inspiration divine et lui désobéiront — le trahiront !”
Et il ajouta : “Il ne peut en être qu’ainsi ; s’il est une Incarnation, il n’est pas l’Incarnation suprême — la dernière de ce cycle,” — Hélas!
Mais ce n’est pas tout. Comment oublierais-je l’atmosphère des familles hindoues orthodoxes que je connais le mieux ? celle, par exemple, de la maison d’un de mes beaux-frères, alors
1. Voir plus haut, pages 33, 34, 35.
2. Voir plus haut, page 39.
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encore vivant, et médecin à Médinipur1, chez qui je me trouvais lors de la campagne de Norvège et au début de la campagne de France ? Tous acceptèrent avec enthousiasme ma suggestion d’aller au temple de la Déesse Kali — à la “Maison de Kali”, comme on dit en bengali — rendre grâces à Celle qui à la fois bénit et tue, pour l’avance tromphale des soldats du grand Reich allemand. Nous y allâmes en procession, chargés d’offrandes de riz, de sucre, de farine, de fruits, de guirlandes de fleurs écarlates — à défaut du sacrifice sanglant dont la famille rejetait autant que moi l’idée. Je me revois encore, entourée d’une jeunesse fière, elle aussi, de son ascendance aryenne, debout devant la terrible Image au sabre recourbé. Inhalant les fumées d’encens, bercée par la musicalité envoûtante des formules liturgiques sanskrites, je fermais parfois les yeux pour mieux voir en esprit, telle une fresque grandiose, le défilé des blindés allemands le long des routes d’Europe. Je vivais intensément mon rôle de trait d’union entre la plus vieille civilisation aryenne vivante d’Orient et cet Occident aryen qu’Adolf Hitler était entrain de conquérir afin de le rendre à lui-même et de le régénérer. Puis je promenais mes regards sur mes neveux et nièces, et les jeunes Brahmanes, leurs voisins et camarades d’études, qui m’avaient accompagnée. Et je rêvais du jour ou je verrais enfin le nouvel Empereur — l’éternel Empereur — des Pays du Crépuscule, éveillé et surgi de sa mystérieuse caverne, et où, le saluant de mon bras tendu, je lui dirais : “Mein Führer, je vous apporte l’allégeance de l’élite des Indes !”
Cela ne paraissait pas alors un rêve impossible.
Comment oublierais-je la joie générale à Calcutta — et sans doute aussi dans le reste de la péninsule, — à la nouvelle de l’entrée des troupes d’Adolf Hitler à Paris ou, quelque vingt mois plus tard, à l’annonce de l’avance foudroyante de nos alliés les Japonais jusqu’à la frontière de l’Assam et au-delà ? Les gamins eux-mêmes, vendeurs de journaux, le visage rayonnant, jetaient triomphalement au public les noms des villes prises, — tous les jours de nouvelles : Kualalumpur, Singhapur, Rangoun, Mandalay, Akyab, . . . Imphal, en territoire indien — les unes après les autres. Le gouvernement colonial avait interdit d’écouter la
1. Qu’on écrit encore, souvent, Midnapore. Ville du Bengale occidental.
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radio allemande. Les gens qui entendaient l’allemand l’écoutaient clandestinement. Je connais des Hindous qui y prêtaient l’oreille sans en comprendre un mot — simplement pour entendre la voix du Führer. Ils sentaient qui Celui qui parlait au monde aryen dans une langue “indo-européenne” qui leur était inconnue, s’adressait aussi à eux, — du moins à l’élite raciale de leur continent.
* * *
Mais cela n’est encore rien. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que ce culte du Führer a survécu, dans ce pays, à l’effondrement du Troisième Reich. Je l’ai retrouvé vivant, lors de mon séjour aux Indes de 1957 à 1960, et je le retrouve, à ma joie, et malgré une propagande communiste intensifiée, en 1971, et cela, je le répète, surtout dans les milieux les plus fidèles à la Tradition.
Dans le livre qu’elle a consacré à l’Inde, dans la collection “Petite Planète”, l’orientaliste Madeleine Biardeau, elle-même nettement hostile à notre Weltanschauung, se voit obligée de le constater — avec regret, pour ne pas dire avec amertume. “Dans aucun pays”, écrit-elle, “je n’ai entendu plus de louanges d’Hitler. Des Allemands sont félicités pour la seule raison qu’ils sont ses compatriotes”1. Et elle est aussi obligée d’admettre que le ressentiment des Hindous à l’égard de la domination britannique — maintenant d’ailleurs révolue, — ne suffit pas à rendre compte de ce culte. L’érudite a, sous la main, comme on pouvait s’y attendre, une explication qui lui est propre. L’Hindou, dit-elle, sent et salue la présence du Divin dans tout ce qui est “grand” — serait-ce “grand dans le mal”. En d’autres termes il est, lui, libre de ce dualisme moral qui sous-tend encore, presque toujours, les jugements de valeur que porte l’homme d’Occident.
Cela est certes vrai. Mais cela ne suffit pas comme explication. La seule justification de ces louanges à l’adresse d’un Chef aryen étranger à l’Inde réside, non pas dans le fait que l’Hindou transcende facilement le dualisme moral, mais dans la raison qui rend compte de ce fait. Cette raison est à chercher dans l’attachement de l’Hindou à la Tradition, pas ailleurs ; dans son acceptation de la connaissance sacrée avec une confiance entière,
1. Madeleine Biardeau, “L’Inde”, collection “Petite Planète”.
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même s’il ne l’a pas lui-même acquise. C’est au nom de cette science plus qu’humaine qu’il trouve naturel que, dans certaines conditions, ce qui, à l’échelle humaine moyenne, semblerait “un mal”, n’en est pas un. C’est à la lumière de la doctrine de la violence nécessaire, exercée sans passion “dans l’intérêt de l’Univers” — c’est-à-dire de la Vie, non de “l’homme” — c’est à la lumière de la vénérable Bhagawad-Gîta, qui proclame l’innocence d’une violence de cette nature-là, que l’Hindou orthodoxe peut précisément voir, dans le Maitre du Troisième Reich, — et cela malgré toutes les histoires de camps de concentration dont la propagande l’a abreuvé, comme tout le reste des hommes de cette Terre, pendant plusieurs décades, — autre chose que “l’incarnation du Mal”.
De plus, il lui est impossible de ce pas être frappé par la similitude d’esprit qui existe entre l’Hitlérisme et, non pas, certes, les philosophies de non-violence, qui se sont détachées du tronc brahmanique, ou les sectes hindoues dissidentes, mais le brahmanisme le plus rigoureux et le plus ancien. L’un et l’autre sont centrés sur l’idée de pureté de sang, et de transmission indéfinie de la vie saine — surtout de la vie de l’élite raciale ; de la vie dont peut sortir l’homme que la maîtrise de lui-même élève au rang d’un Dieu. L’un et l’autre exaltent la guerre dans une attitude de détachment — la “guerre sans haine”1 — parce que “rien ne peut arriver de meilleur au Kshatriya” — ou au parfait guerrier S.S. — “qu’un juste combat”2. L’un et l’autre proposent à la Terre — comme le font par ailleurs toutes les doctrines “traditionnelles” — un ordre visible calqué sur les réalités cosmiques et les Lois mêmes de la vie.
Ce culte du Führer, prolongé aux Indes, et en dépit de tant de propagandes ennemies, bien au-delà du désastre de 1945, est une preuve de plus — si besoin en était d’une, — que l’Hitlérisme, dépouillé de ce que son expression allemande peut avoir de contingent, se rattache bien, lui aussi, à la Tradition primordiale hyperboréenne, — dont le Brahmanisme semble être la forme vivante la plus ancienne. Il s’y rattache sans doute par ce qui a, malgré l’imposition du Christianisme, survécu en Allemagne d’une forme traditionnelle très vieille et proprement germanique,
1. C’est là le sous-titre d’un livre paru après la guerre, sur la carrière du Feldmarschall Rommel.
2. La Bhagawad-Gîta, Chant II, verset 31.
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découlant d’une Source commune de la sainte “patrie arctique” des Védas . . . et de l’Edda.
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Il est impossible de dire dans quelle mesure la Thülegesellschaft était en pessession de cet héritage inestimable, venu du fond des âges. Sans doute certains de ses membres — Dietrich Eckart, Rudolf Hess, et, bien entendu, le Führer lui-même, — l’étaient-ils. L’un des traits propres à l’initié serait la capacité de feindre, toutes les fois qu’il le juge convenable à ses desseins, la colère, la folie, l’imbécilité, ou tout autre état humain. Or le Führer se contraignait, il le dit lui-même1, à “paraître dur”. Et ses trop fameux accès de fureur — sur l’existence desquels l’ennemi s’est jeté avec délectation, comme sur une source de ridicule, exploitable ad infinitum, — étaient, selon Rauschning, “soigneusement prémédités” et “destinés à déconcerter son entourage et à le contraindre à capituler”2. Hermann Rauschning qui, au moment où il écrivait son livre, apparemment détestait son ancien maître, n’avait aucune raison de détruire, comme il le fait, d’un trait de plume, la légende qui visait à déconsidérer celui-ci aux yeux de plus d’un homme pondéré. Ou plutôt, s’il en avait une, ce ne pouvait être, malgré tout, qu’un reste d’honnêteté intellectuelle.
Quant à Rudolf Hess, la comédie de l’“amnésie” qu’il a si magistralement jouée au procès de Nuremberg, a trompé les psychiatres les plus avertis. Et le ton “normal”, parfois même enjoué, de ses lettres à son épouse et à son fils3, — ton qui déconcerte le lecteur, chez un homme plus de trente ans captif, suffirait à prouver sa surhumanité. Seul en effet un initié peut écrire, après trois décades passées en cellule, de la manière légère ; et détachée d’un mari et d’un père en vacance loin de sa famille, pour trois semaines.
Le Führer a, selon toute apparence, dépassé ses maîtres de la Société de Thulé (ou d’ailleurs), et échappé à l’emprise que certains d’entre eux — on ne saura jamais au juste lesquels, —
1. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, page 34.
2. Hermann Rauschning, “Hitler m’a dit”, treizième édition française, page 84.
3. Frau Ilse Hess a publié deux recueils de lettres de son époux prisonnier : “Londres, Nuremberg, Spandau” et “Prisonnier de la Paix”.
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auraient voulu avoir sur lui. Il devait le faire, étant souverain ; étant l’un des visages de Celui-qui-revient.
Et si, brusquement, la guerre a pris un mauvais cours ; si ce qui est pour le moins, troublant, — l’irréparable s’est précisément joué à Stalingrad qui, selon certains, serait le site même de l’antique Asgard, forteresse des Dieux germaniques, c’est sans doute que, pour quelque raison cachée, il devait en être ainsi. Et le jeune Adolf Hitler n’en avait-il pas eu la révélation sous le ciel nocturne, au sommet du Freienberg, aux portes de sa chère ville de Linz, à l’âge de seize ans?
La cause matérielle immédiate, ou plutôt l’occasion du tournant fatal, a dû être non une faute de stratégie de la part du Führer — il est reconnu qu’il ne se trompa jamais dans ce domaine — mais quelque raidissement, aussi soudain que malencontreux, dans son attitude vis à vis de l’adversaire. Siegfried, le surhomme, fit autrefois preuve d’une fierté aussi lourde de conséquences en refusant, pour ne pas avoir l’air de céder à la menace, donc à la peur, de rendre aux Filles du Rhin l’Anneau qui leur appartenait de droit. Ce geste eût sauvé Asgard et les Dieux. Le refus du héros en précipita l’effondrement. Le nouveau Siegfried, sans doute, lui aussi, pour ne pas paraître “faible”, bien qu’aucun défi ne lui eût été lancé, a refusé d’exploiter, comme il l’aurait certainement pu, la bonne volonté de ces populations de l’Ukraine, — anti-communistes, aspirant à leur autonomie, — qui avaient d’abord reçu ses soldats en libérateurs.
L’a-t-il fait sciemment, se rendant compte que la perte de la guerre, inscrite dans les astres, de toute éternité, était une catastrophe nécessaire à l’Allemagne et au monde aryen tout entier, que seule l’épreuve du feu pourrait un jour purifier ? Il n’y a que les Dieux qui le sachent. La rapidité avec laquelle l’Allemagne a, dès les premières années de l’après-guerre, mordu à l’appât de la prospérité matérielle sans aucun idéal, montre combien, malgré l’enthousiasme des grands rassemblements nationaux-socialistes, elle n’était qu’incomplètement dégagée de son confortable moralisme humanitaire, et que superficiellement armée contre l’emprise juive, tant “politique” que profonde, c’est-à-dire s’exerçant dans de domaine des valeurs.
Il reste vrai que, dans son célèbre Testament, le Führer fait appel aux Aryens — à tous les Aryens, y compris les non-Allemands — “des siècles à venir”, les exhortant à “garder leur
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sang pur”, à combattre les doctrines de subversion, en particulier le Communisme, et à demeurer confiants en eux-mêmes et invinciblement attachés à l’idéal aristocratique pour lequel il a lui-même lutté. Le parti national-socialiste peut être dissout ; le nom du Führer peut être proscrit, ses fidèles traqués, forcés au silence, dispersés. Mais l’Hitlérisme, nourri à la Source de la connaissance supra-humaine, ne peut pas mourir.
Il reste vrai, aussi, que les hommes de l’Ahnenerbe n’ont pas tous été, après 1945, pendus comme “criminels de guerre” ou tués à petit feu dans les cachots ou les camps de concentration des vainqueurs. Quelques-uns semblent même avoir joui d’une étrange immunité, comme si un cercle magique les avait entourés et protégés, jusque devant les “juges” des procès de Nüremberg.
La section de l’“Ahnenerbe” qui s’occupait tout spécialement de doctrines ésotériques avait, dit André Brissaud, “un éminent collaborateur en la personne de Friedrich Hielscher, ami de l’explorateur suédois Sven Hedin, de Karl Haushofer, de Wolfram Sievers, d’Ernst Junger et même de . . . Martin Buber, philosophe juif”1 (Pourquoi pas, en effet, si ce Juif avait atteint un haut degré de connaissance dans la “métaphysique pure”, et n’avait aucune activité politique ? D. H. Lawrence n’écrit-il pas quelque part2 que “les fleurs se recontrent et mêlent leurs couleurs au sommet” ?). André Brissaud “ne sait pas” si Friedrich Hielscher était membre de la Thülegesellschaft. Il le présume. Mais il sait que cet officier supérieur S.S. “joua certainement un grand rôle dans l’activité secrète-ésotérique de l’Ahnenerbe, et eut une grande influence sur son disciple, le Docteur Wolfram Sievers”3, Standartenführer S.S. et secrétaire général de cet Institut. “Lors du procès de ce dernier à Nuremberg”, continue l’historien de “l’Ordre Noir”, “Friedrich Hielscher, qui ne fut pas poursuivi, vint témoigner d’une curieuse manière : il fit des diversions politiques pour “noyer le poisson” et tint des propos racistes volontairement absurdes, mais ne dit rien de l’Ahnenerbe. Sievers non plus, ne parla pas. Il écouta l’évocation de ses “crimes” avec un apparent détachement et s’entendit condamner à mort avec une indifférence
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition 1969, page 285.
2. Dans “Le Serpent à plumes”.
3. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition 1969 ; page 285.
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totale.Hielscher obtint des Alliés l’autorisation d’accompagner Sievers à la potence, et c’est avec lui que le condamné dit des prières particulières à un culte dont celui-ci ne parla jamais, ni au cours des interrogatoires, ni au cours de son procès.”1
On peut se demander combien d’anciens S.S. membres comme Hielscher de quelque section de l’“Ahnenerbe”, — cette gardienne de l’orthodoxie profonde de l’Hitlérisme, c’est-à-dire de la connaissance ésotérique qui en constitue la base, — ont échappé à la vengeance des vainqueurs, et vivent encore aujourd’hui à la surface de notre Terre, peu importe où. Il y en a peut-être en Allemagne même, que l’on côtoie, mais que l’on ne connaît pas, car ils portent le Tarnhelm du divin Siegfried : le casque qui permet au guerrier d’apparaître sous quelque forme qui lui plaise, et même de se rendre invisible. Il serait encore plus intéressant de savoir combien de jeunes de moins de vingt-cinq ans sont déjà affiliés, dans le plus absolu secret, à la fraternité des chevaliers de l’Ordre Noir, dont “l’honneur s’appelle fidélité”, et s’apprêtent, sous la direction des anciens, à en gravir les échelons initiatiques — ou en ont, peut-être, gravi les premiers.
Aucun livre comme celui d’André Brissaud, ou de René Alleau, ou de qui que ce soit, ne fournira jamais, sur ce point-là, aux curieux, une information dont ils n’ont que faire et qui, une fois en leur possession, risquerait tôt ou tard de s’ébruiter à travers d’irresponsables bavardages. Pour les vrais disciples du Führer, que ceux-ci l’aient ou non rencontré dans le monde visible, l’existence d’un tel réseau ultra-secret, pan-européen, voire pan-aryen, ne fait plus aucun doute. La raison d’être de cette fraternité invisible et silencieuse est précisément de conserver le noyau de connaissance traditionnelle — plus qu’humaine — sur lequel est centré l’Hitlérisme, et qui en assure la pérennité. Les Hitlériens sincères, mais encore sans expérience de l’initiation, y viendront si les maîtres, gardiens de la foi, les en jugent dignes. Mais alors, ils ne parleront pas plus que Friedrich Hielscher ou Wolfram Sievers, ou tant d’autres. “Celui qui parle ne sait pas ; celui qui sait ne parle pas”, disait Lao-Tsé, dont la sagesse demeure intangible et entière, même si son pays — la très vieille Chine — l’a aujourd’hui rejetée.
1. André Brissaud, “Hitler et l’Ordre Noir”, édition 1969, pages 285-286.
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