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XI
L’IRREMEDIABLE DECADENCE
“Non plus géant, semblable aux Esprits, fier et libre,
Et toujours indompté, sinon victorieux;
Mais servile, rampant, rusé lâche, envieux,
Chair glacée où plus rien ne fermente et ne vibre,
L’homme pullulera de nouveau sous les cieux.”
Leconte de Lisle, (Qaïn ; Poèmes Barbares.)
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“Un air impur étreint le globe dépouillé
Des bois qui l’abritaient de leur manteau sublime;
Les monts sous des pieds vils ont abaissé leur cime;
Le sein mystérieux de la mer est souillé.”
Leconte de Lisle (L’Anathème ; Poèmes Barbares.)
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La pérennité de l’Hitlérisme en tant qu’expression de la Tradition éternelle, plus qu’humaine, — et en particulier de la forme germanique de cette Tradition — adaptée à notre époque, ne signifie, toutefois, nullement la résurgence, dans un avenir plus ou moins proche, de la nouvelle civilisation qui était en train de prendre corps, dans le cadre du Troisième Reich.
Comme j’ai essayé de le montrer dans une autre étude1, tous les chefs religieux ou politiques (ou les deux), dont l’action s’exerce contre la décadence, contre les fausses valeurs inséparables de la puérile surestimation de “l’homme”, échouent, à la longue, même quand ils paraissent réussir — car la décadence est le sens même du Temps, contre lequel nul ne saurait, au cours d’un cycle, s’ériger victorieusement pour toujours. Malgré tout, il en est qui parviennent à mettre sur pied une civilisation se rattachant, par ses principes de base, à quelque forme particulière de la Tradition. Ils y parviennent au prix de certains compromis indispensables sur le plan exotérique, lesquels leur assurent la ferveur permanente des foules, conséquence du
1. Dans “The Lightning and the Sun”, livre achevé au début de 1956, et publié à Calcutta en 1958.
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succès spectaculaire. Une législation basée sur leur enseignement régit encore des Etats, sinon des continents, des siècles après leur mort. Et bien que leur œuvre s’effrite et se désagrège d’autant plus vite qu’ils sont, eux, plus tard-venus dans la succession des promoteurs de “redressements” ; bien que, s’ils pouvaient “revenir”, ils reconnaîtraient à peine leur création dans ce que sont devenues, au cours du Temps, les civilisations qu’ils avaient fondées, ils ont laissé quelque chose de visible ; quelque chose de pitoyablement sclérosé — parfois même, de dégénéré, — mais au moins, d’historiquement important.
Mais il en est d’autres, dont la création contre les tendances directives de leur temps prend fin avec eux. Cela arrive quand les chefs inspirés refusent ces compromis qui, de plus en plus à mesure que les âges se suivent, sont la condition sine qua non du succès en ce monde. Mais cela arrive aussi toutes les fois que de tels chefs vivent et agissent à une époque “condamnée”, c’est-à-dire à une époque où aucun “redressement” de quelqu’envergure (et de quelque durée) n’est plus possible, — et cela, quelle que puisse être la valeur et l’habileté de celui ou de ceux qui en prennent l’initiative. Seul alors Kalki, — le dernier des avatars de Viçnou, — ou de quelque nom que les hommes qui se rattachent aux diverses expressions de la Tradition unique, se plaisent à l’appeler, — est assuré du “succès” dans un combat à contre-courant du Temps. Et ce succès sera alors total, ne consistant en rien moins qu’en ce retournement absolu des valeurs qui caractérise la fin d’un monde et la naissance d’un monde inconnu et très longtemps impensable. Accompagné de destructions sans précédent, il signifiera la fin du présent cycle, — la fin de l’Age Sombre, dont rien de bon ne pouvait plus jaillir ; la fin de cette humanité maudite, et l’apparition de conditions de vie et de moyens d’expression semblables à ceux de chaque Age d’Or.
Les chefs qui ont mené, ou qui mèneront, quelque phase de l’éternelle lutte “contre le Temps” après le point-limite où un dernier grand redressement aurait encore été possible, après ce que Virgil Ghéorghiou nomme “la Vingt-cinquième heure”, — n’ont pu et ne pourront rien laisser derrière eux dans ce. monde visible et tangible, à part une poignée de disciples clandestins. Et ceux-ci n’ont, et n’auront, rien à attendre — sinon la venue de Kalki ; ou du Soashyant des Mazdéens, du Bouddha
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Maitreya des Bouddhistes, du Christ glorieux et combattant tel que l’attendent les Chrétiens lors de sa “Seconde Présence”1 ; du Mahdi des Mahométans ; de l’immortel Empereur des Germains, resurgi en armes de son énigmatique Caverne, à la tête des Chevaliers justiciers. Celui qui revient pour la dernière fois au cours de notre cycle, porte bien des noms. Mais Il est le Même, sous chacun d’eux.
Or, on Le reconnaît à son action, c’est-à-dire a sa victoire sur toute la ligne, suivie de l’aurore éblouissante du cycle suivant : du nouveau Satya Yuga, ou Age de Vérité.
La défaite dans ce monde d’un Chef qui a combattu contre la décadence universelle, donc contre le sens même du Temps, suffit à prouver que ce Chef, quelque grand qu’il ait été, n’était pas Lui. Il pouvait certes bien être Lui quant à son essence : le Sauveur éternel, non de “l’homme”, mais de la Vie, “revient” d’innombrables fois. Mais il n’était certainement pas Lui, sous la forme ultime sous laquelle Il doit réapparaître à la fin de tout cycle. Adolf Hitler n’était pas Kalki — bien qu’il ait été, de même, essentiellement parlant, que l’antique Rama Chandra ; ou que le Krishna historique, ou que Siegfried, ou que le Prophète Mahomet, le Chef d’une vraie “guerre sainte” (c’est-à-dire d’un combat incessant contre les Forces de désintégration ; contre les Forces de l’abîme). Il était, comme tout grand Combattant contre le courant du Temps, un Précurseur de Kalki. Il était, toujours quant à son essence, l’Empereur de la Caverne. Avec lui, celui-ci est réapparu, intensément éveillé, et en armes, comme il était réapparu déjà sous la figure de divers grands chefs allemands, en particulier de Frédéric II de Prusse, qu’Adolf Hitler vénérait tant. Mais ce n’était pas là sa dernière et définitive réapparition en ce cycle.
Dans un cas comme dans l’autre, il s’était éveillé à l’écho de la détresse de son peuple. Emporté par l’enthousiasme de l’action, il s’était, avec ses fidèles barons, élancé quelques pas hors de la averne. Puis, il tétait rentré dans l’ombre, les Corbeaux omniscients lui ayant dit que ce n’était, en dépit de signes impressionnants, “pas encore l’heure”. Frédéric Il fonda les Loges Vieilles Prussiennes, grâce auxquelles la vérité plus qu’humaine devait, après lui, continuer d’être transmise à quelques générations
1. La “Deutéra Parousia” dont parle l’Eglise grecque orthodoxe.
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d’initiés. Adolf Hitler laissa son admirable Testament, dans lequel il exhorte, lui aussi, les meilleurs, à garder leur sang pur, â résister à l’envahissement de l’erreur et du mensonge, — de la contre-Tradition, et à attendre.
Il savait que la “vingt-cinquième heure” avait sonné, — et depuis longtemps. Il avait eu, à seize ans, comme je l’ai rappelé, la vision anticipée de son propre combat, matériellement inutile, mais malgré tout nécessaire.
En tant qu’Allemand, en tant qu’Aryen, en tant qu’homme conscient de l’excellence de la race aryenne indépendamment du fait qu’il en était lui-même partie intégrante, il voulait ardemment vaincre le monde coalisé contre lui et contre son peuple. Il tendait de toutes ses forces, de tout son génie, vers l’édification d’une société supérieure durable, reflet visible de l’ordre cosmique ; vers le Reich de ses rêves. Et y tendait contre tout espoir, contre toute raison, dans un effort démesuré pour arrêter à tout prix le nivellement, l’abêtissement, l’enlaidissement de la variété d’hommes la plus belle et la plus douée ; pour prévenir et empêcher à tout jamais sa réduction à l’état de masse sans race et sans caractère. Et il luttait, avec toutes l’amertume d’un artiste, contre la destruction éhontée du milieu naturel vivant et beau, en laquelle il voyait, à juste titre, un signe de plus en plus patent de la victoire imminente des Forces de désintégration. Sa confiance, irrationnelle en un salut in extrémis, grâce à “l’arme secrète” ; son attente fébrile, sous Berlin en flammes, de l’entrée en action de “l’armée du général Wenck”, qui depuis longtemps n’existait plus, rappellent, en dramatique absurdité, quoiqu’en puissent penser les Chrétiens, l’attitude du Christ à Gethsémani, — priant pour que s’éloignât de ses lèvres le calice de souffrance qu’il était cependant venu boire jusqu’à la lie.
Adolf Hitler — et cela d’autant plus qu’il était, lui, un combattant contre le Temps, dont le royaume, s’il appartenait à l’éternel, était aussi “de ce monde” — s’est cramponné jusqu’à la fin à l’illusion d’une victoire totale et, malgré tout, d’un redressement immédiat. Il s’y est cramponné, je le répète en tant qu’Allemand et en tant qu’homme. En tant qu’initié, il savait que ce n’était là qu’une illusion ; qu’il était “trop tard” — déjà en 1920. Il l’avait vu, en cette nuit extraordinaire au sommet du Freienberg, en 1905. Et les vrais Chefs de l’“Ordre Noir”, — en particulier
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ceux de l’Ahnenerbe, instruits comme lui de l’inévitable, conscients comme lui de la fatalité du cycle proche de sa fin, — préparaient, déjà avant 1945, la survie clandestine de l’essentiel, au-delà de l’effondrement de l’Allemagne nationale-socialiste.
Et nous qui les suivons et le suivons, savons aussi qu’il n’y aura jamais de civilisation hitlérienne.
“Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs que n’a pu conserver mon Hector.”
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Je me souviens de ces vers que Racine met dans la bouche d’Andromaque, dans la scène IV du premier acte de sa tragédie de ce nom. Et je songe que les grandioses défilés au rythme du Horst Wessel Lied, sous les plis de l’étendard rouge, blanc et noir, à Croix gammée, et toute cette gloire que fut le Troisième Reich allemand, noyau d’un Empire pan-aryen, sont aussi irrévocablement passés que les fastes de la prestigieuse Troie ; aussi “passés” et aussi immortels, car un jour la Légende les recréera, quand la poésie épique sera de nouveau une nécessité collective.
Celui qui revient d’âge en âge, à la fois destructeur et conservateur, fera de nouveau son apparition tout à la fin de votre cycle, afin d’ouvrir aux meilleurs l’Age d’Or du cycle suivant. Comme je l’ai rappelé au cours de ces pages, Adolf Hitler L’attendait. Il disait à Hans Grimm, en 1928 : “Je sais que je ne suis pas Celui qui doit venir,” — c’est-à-dire le dernier, et le seul pleinement victorieux des Hommes contre le Temps, de notre cycle. “Je me charge seulement de la tâche de préparation la plus urgente (die dringlichste Vorarbeit), car nul n’est là pour s’en charger”.1
Un incommensurablement plus dur que lui accomplira la tâche finale — la tâche de redressement — sur les débris d’une humanité qui s’est cru tout permis parce que douée d’un cerveau capable de calculs, et qui a largement mérité sa déchéance et sa perte.
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Que veut dire l’impossibilité irrévocable de “redressement”, eu sens où un fervent de la théorie cyclique de l’Histoire — tel, aux Indes, le premier venu des Hindous orthodoxes, tel, en Occident, un René Guénon, ou un Evola. —entendrait ce mot ?
1. Cité plus haut, page 2-10.
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Cela veut dire — et c’est là presqu’une “lapalissade” — la continuation de la marche des événements et des courants de pensée, et de l’évolution du monde humain et non-humain, telle que nous la connaissons depuis qu’il existe une histoire, c’est-à-dire, depuis qu’à l’aide de vestiges et de documents, nous sommes en mesure de nous faire une idée, aussi peu arbitraire que possible, du passé.
Nous ne pouvons guère remonter au-delà de quelques millénaires si nous voulons nous en tenir à l’histoire proprement dite, c’est-à-dire à un passé humain plus ou moins explicable. Nous sommes tout juste capables de jeter un regard quelques dizaines de millénaires en arrière, en partant d’objets d’art, mystérieusement conservés, dont nous ne connaissons ni la signification ni l’usage, mais dont nous admirons néanmoins l’évidente perfection.
J’ai vu, il y a quelques années, au petit musée du château de Foix, une statuette de silex d’un tel modelé, et d’une telle expression, qu’aucun des chefs-d’œuvres de Tanagra ne la surpasse en beauté. Le sculpteur anonyme qui a laissé cette merveille, vivait, me dit le guide, “il y a quelque trente mille ans”. Qu’a-t-il voulu faire en passant sans doute plusieurs années de sa vie à donner une âme à cet insignifiant fragment de la pierre la plus dure qui soit ? A-t-il voulu représenter une divinité : — créer une forme concrète qui l’aide, lui et d’autres, à la concentration de l’esprit, premier pas vers la “réalisation” de l’Impensable ? A-t-il voulu immortaliser un visage aimé ? Attirer en un point des forces éparses — et lesquelles ? — dans un but défini — et lequel ? Seuls les hommes qui vivent réellement “dans l’éternel” et qui peuvent, à travers un objet créé, entrer en contact effectif avec son créateur, toujours présent pour eux, pourraient le dire. Je ne le puis pas. Mais je sais l’impression profonde que cette statuette m’a laissée : l’impression d’un monde interdit, séparé du nôtre par quelque voile impénétrable, et d’une qualité très supérieure à celle du nôtre ; d’un monde où “l’homme moyen” — le simple artisan — était combien plus près de la Réalité cachée que les plus grands de nos artistes relativement récents (sans parler, bien entendu, de tous les producteurs d’ “art moderne” !)
Trente mille ans ! Dans la perpétuité sans commencement ni fin, c’était hier. Certains archéologues, dont je ne puis, dans mon ignorance, juger l’exactitude ou l’erreur des évaluations,
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attribuent dix fois cet âge aux énigmatiques blocs taillés et sculptés de Tiahuanaco. En admettant qu’ils disent vrai, ou qu’ils ne se trompent que de quelques millénaires, c’était encore hier. Il est, au-delà d’un certain éloignement, difficile de distinguer, dans le passé, des différences. Cela s’applique déjà à cette très courte période que représente une vie humaine. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, mes plus anciens souvenirs clairs se rapportent au temps où j’avais entre un an et demi et deux ans. Je revois très bien, avec ses meubles, l’appartement que mes parents habitaient à cette époque. Je revis aisément l’impression que me faisaient certains bibelots, et plusieurs épisodes connectés avec la voiture d’enfant dans laquelle ma mère me promenait. Mais ces souvenirs, qui remontent, disons, à 1907, me paraissent à peine plus anciens que celui du premier film, “Quo vadis ?”, que j’ai vu — en Avril 1912, puisqu’il était précédé d”actualités” dont l’une, la plus importante et la seule que ma mémoire ait retenue, n’était autre que le fameux naufrage du “Titanic”. Si je devais vivre plusieurs siècles, je mettrais sans doute “sur le même plan” les souvenirs se rapportant à ma dixième et à ma cinquantième année, (à la manière dont l’Egypte “pré-dynastique” et celle du Pharaon Tjeser1, me paraissent, dans le brouillard du temps, presque contemporaines).
Tout ce que je puis dire des bornes plus ou moins lointaines que les savants, spécialistes de la préhistoire, découvrent le long du chemin parcouru par des hommes créateurs, — nous ne savons même pas lesquels — c’est qu’elles évoquent toutes un passé qui, en tout ce qui pour moi compte, et en particulier en beauté, surpasse étrangement le présent que je vois autour de moi.
On m’a enseigné, comme à tout le monde, que l’homme préhistorique était “un barbare”, dont j’aurais peur si, telle que je suis, je me retrouvais, par l’effet de quelque miracle, en sa présence. J’en doute fort, quand je pense à la perfection des crânes de la “race de Cro-Magnon”, de capacité supérieure à ceux des plus beaux et des plus intelligents hommes d’aujourd’hui. J’en doute quand je me remémore les extraordinaires fresques de Lascaux ou d’Altamira, — la rigueur du
1. “The great king of the IIIrd Dynasty” (H. R. Hall; “Ancient History of the Near East”, 9éme edition).
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dessin, la fraîcheur et l’harmonieux assemblage des couleurs, l’irrésistible suggestion du mouvement, — et surtout quand je les compare à ces peintures décadentes, sans contours, et qui plus est, sans relation aucune avec la saine réalité visible ou invisible, que les autorités culturelles du Troisième Reich jugeaient (avec raison) propres à meubler le “musée des horreurs”. J’en doute quand je me souviens qu’on n’a trouvé dans ces grottes, et dans bien d’autres, aucune trace de noircissement de la pierre dû à une quelconque fumée.
Cela porterait à croire que les artistes d’il y a douze mille ans, — ou plus1 — ne travaillaient ni à la lumière de torches ni à celle de lampes à mèche. Quel éclairage artificiel connaissaient-ils donc, qui leur permît de décorer les parois de grottes aussi obscures que des oubliettes ? Ou possédaient-ils sur nous et sur nos prédécesseurs des grandes époques d’art, cette supériorité physique de pouvoir voir dans les ténèbres les plus épaisses, au point de s’y diriger à loisir et d’y travailler sans éclairage ? S’il en était ainsi, — comme certains (à tort ou à raison ?) l’ont supposé, — la réaction normale d’un esprit épris de perfection, en face de ces représentants de la pré-histoire tout au moins, devrait être non pas une angoisse rétrospective, mais une admiration sans réserves.
Remonter au-delà de toute époque à laquelle ont sûrement vécu des hommes créateurs d’art et de symboles, serait prendre position dans la vieille controverse des origines biologiques de l’homme. Le peut-on, sans entrer dans le domaine de la pure hypothèse ? Peut-on voir, dans les vestiges classifiables d’un passé d’un million d’années et plus, des “preuves” d’une quelconque filiation corporelle entre certains primates d’espèces éteintes et “l’homme”, — ou certaines races d’hommes, — comme l’a fait R. Ardrey sur la base des observations d’un nombre impressionnant de paléontologues ? L’assomption que certains primates “hominides” d’espèces éteintes, ou même vivantes, seraient plutôt des spécimens de très vieilles races humaines dégénérées, n’expliquerait-elle pas tout aussi bien, sinon mieux, les données de l’expérience ? Les hommes des races très inférieures actuelles, qu’on appelle à tort des “primitifs”, sont, au contraire, les restes
1. Les peintures des grottes de Lascaux datent du “magdalénien moyen.” (Larousse).
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sclérosés de civilisés qui, dans la nuit des âges, ont perdu tout contact avec la source vive de leur ancienne sagesse. Ils sont ce que la majorité des “civilisés” d’aujourd’hui pourraient bien devenir, si notre cycle durait assez pour leur en laisser le temps. Pourquoi les primates “hominides” ne seraient-ils pas, eux aussi, des restes d’hommes, survivants déchus de cycles révolus, plutôt que des représentants de races humaines “en gestation” ? N’étant moi-même ni paléontologue ni biologiste, je préfère demeurer en dehors de ces discussions auxquelles je ne pourrais apporter aucun nouvel argument valable. L’esprit scientifique interdit de parler de ce qu’on ne sait pas.
Je ne sais, à vrai dire, ni l’âge des ruines de Tiahuanaco ou de Machou-Pichou — ni le secret du transport et de l’érection de monolithes de centaines de tonnes ; ni celui de la peinture — et de quelle peinture ! — sans torches et sans lampes, dans des grottes où il fait aussi noir que dans un four, ou un cachot du Moyen-Age. Mais je sais que les êtres humains qui ont peint ces fresques, dressé ces blocs, gravé dans la pierre le calendrier plus complexe et plus précis que le nôtre, d’après lequel on a voulu donner une date approximative à la civilisation de Tiahuanaco, étaient supérieurs aux hommes que je vois autour de moi, même à ces camarades de combat, devant qui je me sens si petite.
Ils leur étaient supérieurs, non certes quant à la capacité, que partagent tous les modernes, d’obtenir des résultats immédiats, à volonté, rien qu’en appuyant sur des boutons, mais quant à celle de voir, d’entendre, de sentir, de connaître directement, et le monde visible, proche ou éloigné, et le monde invisible des Essences. Ils étaient plus près que nous, et que les plus remarquables de nos prédécesseurs des civilisations “historiques” les plus parfaites, de cet état édénique, dont toutes les formes de la Tradition font, au début des temps, un privilège de l’homme non encore déchu. S’ils n’étaient pas, — ou n’étaient plus — tous des sages, il vivait au moins, parmi eux, proportionnellement beaucoup plus d’initiés même que dans notre plus lointaine Antiquité, plus ou moins datable.
Mais ce n’est pas tout. Le monde visible autour d’eux était infiniment plus beau que celui qui s’étale aujourd’hui — ou s’étalait déjà hier et avant-hier, — dans le voisinage des agglomérations.
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humaines. Il était plus beau parce qu’il y avait alors peu d’hommes, et beaucoup de bêtes, et d’arbres, et d’immenses espaces inviolés.
Il n’y a pas de pire ennemi de la beauté du monde que le pullulement illimité de l’homme. Il n’y a pas de pire ennemi de la qualité de l’homme lui-même que ce pullulement : il faut — on ne saurait trop le répéter, — choisir entre “quantité” et “qualité”.
L’histoire de notre cycle est — comme celle de tout cycle — l’histoire d’un combat indéfiniment prolongé entre la qualité et la quantité, jusqu’à la victoire de cette dernière : victoire complète, mais très courte, puisqu’elle coïncide forcément avec la fin du cycle, et la venue du Vengeur, que j’ai appelé de son nom sanscrit : Kalki.
Si je dis que la tentative héroïque, mais pratiquement inutile, de “redressement”, que représente l’Hitlérisme, est la dernière, — celle au-delà de laquelle tout effort de quelque magnitude, à contre-courant du Temps, est voué à l’échec immédiat — c’est que je ne connais, dans le monde actuel, aucune force capable d’arrêter la décadence universelle, en particulier de réduire impitoyablement le nombre des hommes tout en réhaussant la qualité des survivants ; aucune, c’est-à-dire, en dehors de celle du seul champion des Puissances de Lumière et de Vie, pleinement victorieux : Kalki. Malgré tous les moyens et tout le prestige dont il disposait, Adolf Hitler n’a pas pu créer, — recréer — les conditions qui étaient et demeurent indispensables à l’éclosion d’un Age d’Or. Il n’a pu ni supprimer la technique, ni réduire dans le monde entier le nombre des hommes à quelque chose de l’ordre d’un millième de ce qu’il est, c’est-à-dire, pratiquement à ce qu’il devait être durant les siècles qui ont précédé notre Age Sombre.
Il est possible et même probable que, victorieux, il eût tenté de le faire, graduellement. Encore aurait-il fallu que sa victoire fût complète, et à l’échelle non seulement européenne, mais mondiale ; et qu’il n’y eût pas eu sur terre de puissance rivale de la sienne et capable de contrecarrer son œuvre. Mais alors, il aurait été Kalki Lui-même, et nous vivrions aujourd’hui à l’aurore d’un nouveau cycle. En fait, il avait besoin c e la technique, et au moins d’une population allemande de plus en plus nombreuse, pour mener, dans les conditions actuelles, son combat à contre-courant du Temps. Si, comme plusieurs de ses
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grands prédécesseurs qui ont laissé derrière eux des civilisations nouvelles, il avait, sur le plan matériel, partiellement réussi, son œuvre, du seul fait qu’elle se serait insérée dans une époque si proche de la fin du cycle, aurait à peine duré. Tout laisse supposer qu’elle se serait détériorée en quelques années, étant donnés l’égoïsme sordide et la stupidité de l’immense majorité de nos contemporains, même des meilleures races. Le cuisinier le plus habile ne peut préparer une omelette appétissante et saine avec des œufs pourris. Si atroce que celle-ci puisse nous paraître, avec ses conséquences immédiates et lointaines, mieux valait encore la défaite militaire de 1945, que la dégénérescence galopante d’une civilisation hitlérienne apparue trop tard : après la clôture définitive de l’ère des redressements possibles, même éphémères !
Il y a, jusque dans l’effondrement du Troisième Reich allemand, jusque dans l’horreur des derniers jours du Führer et de ses ultimes fidèles dans le Bunker de la Chancellerie, sous le brasier qu’était devenu Berlin, une grandeur digne des tragédies d’Eschyle ou de la Tétralogie wagnérienne. Le combat sans espoir et sans faiblesse du héros surhumain contre l’inflexible Destin, — le sien, et celui du monde ; — s’est rejoué là, sans doute pour la dernière fois. La prochaine fois, ce ne seront ni des géants ni des demi-dieux, mais de misérables nains qui subiront la destruction inévitable : — des milliards de nains, d’une laideur banale, sans caractère, qui disparaîtront devant le Vengeur comme une fourmilière anéantie par une coulée de lave. De toute façon, et que nous devions ou non survivre à l’enfantement douloureux du nouveau cycle, nous ne serons pas parmi ces nains. L’épreuve de 1945 et surtout des années d’après guerre, — l’épreuve, victorieusement surmontée, de la prospérité tentatrice, — aura fait de nous, les quelques-uns, ce que nous sommes et restons. Et dans le rugissement de puissance déchaînée qui marquera la fin de tout ce que nous méprisons si cordialement, nous saluerons avec un frisson d’extase la Voix de la vengeance divine, dont le triomphe sera le nôtre, même si nous devons périr.
Mieux cela, cent fois, que la participation à la dégénérescence universelle sous un titre glorieux, mais de plus en plus vide de toute signification ! — ce qui aurait indubitablement été notre lot,
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si le Reich victorieux avait survécu à la “vingt-cinquième heure”.
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Que reste-t-il donc à faire à ceux qui vivent maintenant, dévoués corps et âme à notre idéal de perfection visible (et invisible) sur tous les plans ? A l’échelle mondiale, ou même nationale, strictement rien. Il est trop tard. La “vingt-cinquième heure” a sonné, voilà trop longtemps.
A l’échelle individuelle, ou au moins “restreinte”, il reste à préserver, dans la mesure où cela est encore en notre pouvoir, la beauté du monde : — humaine, animale, végétale, inanimée ; toute beauté ; — à veiller obstinément et efficacement auprès des minorités d’élite, prêts à les défendre à tout prix — toutes les nobles minorités, qu’il s’agisse de celle des Aryens d’Europe, d’Asie ou d’Amérique, conscients de l’excellence de leur race commune, ou de celle des splendides grands félins menacés d’extinction, ou de celle des nobles arbres menacés de l’atroce déracinement au bulldozer, en vue de l’installation sur leur sol nourricier, de multitudes envahissantes de mammifères à deux pattes, moins beaux et moins innocents qu’eux. Il reste à veiller et à résister ; et à aider toute belle minorité attaquée par les agents du chaos ; à résister, même si cela ne doit retarder que de quelques décades la disparition des derniers aristocrates, hommes, animaux ou arbres. Il n’y a rien autre que l’on puisse faire, sinon, peut-être, maudire en son cœur, jour et nuit, l’humanité actuelle (à de très rares exceptions près), et travailler de tous ses efforts à son anéantissement. Il n’y a rien à faire, sinon à se rendre responsable de la fin de ce cycle, au moins en la souhaitant sans cesse, sachant que la pensée, — et surtout la pensée dirigée — est, elle aussi, une force, et que l’invisible régit le visible.
Toi qui es des nôtres, — fils et père des Forts et des Beaux, — regarde autour de toi sans préjugés et sans passion, et dis ce que tu vois ! D’un bout à l’autre de la Terre, les Forts reculent devant les faibles armés de malice ingénieuse ; les Beaux, devant les malingres, les difformes, les laids, armés de tromperie ; les sains, devant les malades armés de recettes de combat arrachées aux démons, avec qui ils ont pactisé. Les géants cèdent le pas aux nains détenteurs de puissance divine
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usurpée au moyen de recherches sacrilèges. Tout cela, tu le vois, plus clairement que jamais, depuis le désastre de 1945.
Mais ne crois pas que cela date de 1945. Certes non ! L’effondrement du Troisième Reich allemand et la persécution de la Religion des Forts, qui sévit depuis lors avec plus d’acharnement que jamais, ne sont que la conséquence d’une lutte désespérée, aussi vieille que la chute de l’homme et la fin de l’“Age de Vérité”. Ce sont les phases récentes d’une graduelle et inexorable perte de terrain, qui dure depuis des millénaires, et n’est que plus apparente depuis notre effort infructueux en vue d’y faire obstacle.
Considère les arbres. Parmi les Forts, ce sont eux les plus anciens. Ce sont nos frères aimés : les vieux rois de la Création. Pendant des millions d’années, ils ont seuls possédé la Terre. Et comme la Terre devait être belle, au temps où, à part quelques insectes géants, et la vie naissante au sein des océans, elle ne nourrissait qu’eux !
Les Dieux savent quel enthousiasme m’a saisie, lors de mon retour en Allemagne en 1953, à la vue des industries ressuscitées du bassin de la Ruhr ! En chaque nuage de peroxyde d’azote qui déferlait en volutes ardentes des cheminées d’usines reconstruites, je saluais un nouveau et victorieux défi à l’infâme plan Morgenthau. Et cependant . . . une image me hante et me fascine : celle du bassin de la Ruhr à l’époque où la future houille qui, avec le fer, en fait aujourd’hui la richesse, existait “en puissance” sous la forme de forêts sans fin de fougères arborescentes. Je crois les voir, ces fougères de cinquante mètres de haut, serrées à l’infini les unes contre les autres, rivalisant de force dans leur poussée vers la lumière et le soleil. Il faisait nuit entre leurs fûts innombrables, tant le plafond, toujours vert, de leurs feuilles enchevêtrées, était épais : une nuit humide, lourde des vapeurs qui s’élevaient de la vase chaude et noirâtre, dans laquelle plongeaient leurs racines ; une nuit que le vent, soufflant à travers les gigantesques frondaisons, emplissait d’un harmonieux gémissement, ou que les pluies torrentielles emplissaient de vacarme. Partout où se trouvent aujourd’hui des houillères s’étendaient alors de telles forêts.
Mais il y a, à mes yeux, une image plus nostalgique encore. C’est celle de la forêt aux essences multiples, peuplée
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d’oiseaux bariolés, de reptiles magnifiquement marqués de brun, de jaune pâle, d’ambre et d’ébène, et de mammifères de toute espèce — en particulier de félins : les plus beaux parmi les êtres vivants — forêt des centaines de millénaires qui ont précédé l’apparition de l’homme sur notre planète, et forêt du temps où l’homme, peu nombreux, n’était pas encore la bête nuisible qu’il est devenu depuis. Le domaine des arbres s’étendait alors à peu près partout. Et c’était aussi le domaine des animaux. Il englobait celui des plus anciennes civilisations, qui étaient également les plus belles. Et l’homme, à qui le rêve de “dominer la Nature” et d’en renverser à son profit l’équilibre, aurait alors paru absurde et sacrilège, trouvait normale son infériorité numérique. Dans une de ses plus suggestives évocations poétiques de l’Inde antique, Leconte de Lisle fait dire à un de ses personnages :
“Je connais des sentiers étroits, mystérieux,
Qui conduisent du fleuve aux montagnes prochaines.
Les grands tigres rayés y rôdent par centaines . . .”1
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Dans les forêts chaudes et humides des bords du Gange (ou du Mékong), c’étaient les tigres, les léopards et lés éléphants. Dans le nord de l’Asie et de l’Europe, c’étaient les aurochs et les loups, par milliers, par millions. Les premiers chasseurs, — les premiers pâtres, rivaux des prédateurs à quatre pattes — en tuaient certes quelques-uns, dans le but de garder pour eux seuls la chair des troupeaux domestiqués. Mais de la forêt sans limites, en sortaient d’autres. L’équilibre naturel entre les espèces n’était pas encore rompu, et ne devait pas l’être de longtemps. Il nie le fut que du jour où la forêt, — ou la savane — a définitivement reculé devant l’homme ; où la “civilisation” a empiété sur elle sans arrêt.
Pendant des siècles, toutefois, celle-ci était destinée à demeurer confinée à des régions fort restreintes. Dans l’Antiquité, aussi bien en Egypte qu’en Assyrie, ou en Mésopotamie, en Syrie, en Afrique du Nord, et jusqu’en Europe du Sud, on rencontrait des lions à quelques kilomètres des villes. Tous les récits des Anciens, depuis ceux que rapporte la Bible jusqu’à celui des aventures d’Androclès (combien récentes, en comparaison !) en font foi. On chassait ces fauves, hélas ! Et de
1. Leconte de Lisle, “Çunacépa,” (“Poèmes Antiques”).
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cela aussi les témoignages, écrits ou sculptés, font abondamment état. Personnellement, j’ai toujours, — moi, l’amie des félins, — été outrée à la lecture de l’inscription qui relate le succès du jeune Amenhotep III, censé avoir, en une seule battue, tué “cent quatre” de ces royales bêtes. Et les célèbres bas-reliefs du Musée d’Oxford qui, avec ce réalisme, effrayant, dont l’art assyrien possède au plus haut degré le secret, représentent Assur-nasir-pal et sa suite entrain de transpercer de flèches toute une armée de lions,-dont quelques uns, — les reins brisés, se tordent, et semblent littéralement hurler de douleur, — ne m’inspirent rien moins qu’une ardente haine de l’homme.
Et cependant . . . je dois admettre que, pas plus à l’aube du quatorzième siècle qu’au cours du neuvième avant l’ère chrétienne, ce primate n’était encore devenu, à l’échelle où il allait bientôt l’être, le fléau du monde vivant. Il chassait, il est vrai, de même que d’autres prédateurs. Et it possédait la flèche, qui frappe de loin, au lieu de l’honnête griffe et de la dent, qui n’atteignent que de près. Mais il n’exterminait pas des espèces entières, comme il était destiné à le faire plus tard, et comme ne l’a fait aucune autre bête de proie. La forêt, la savane sans fin, le désert — l’espace qu’il ne pouvait occuper tout entier, et dans lequel il n’était même pas en mesure de faire sentir sa présence d’une façon plus ou moins permanente, — demeuraient le domaine libre sinon inviolé, de la vie non-humaine. Aucune civilisation n’avait encore accaparé au profit de “l’homme” tout le territoire sur lequel elle florissait. L’Egypte elle-même, — dont le peuple était, de loin, le plus prolifique de l’Antiquité, gardait, outre ses luxuriantes palmeraies, sa faune de lions, de crocodiles et d’hippopotames. Et, qui plus est, grâce à ses représentations thériomorphiques de la Divinité, et grâce surtout au pieux amour dont elle entourait certaines bêtes, — tels les innombrables chats, nourris et choyés par les prêtresses de le Déesse Bastet1 — elle maintenait avec cette faune un lien d’un ordre plus subtil et plus fort, comparable à celui qui existe, aujourd’hui encore, entre l’Hindou et la Vache, certains singes et certains serpents, entre autres animaux symboliques.
1. Ces chats étaient momifiés après leur mort. On en a trouvé des centaines de mille, dans les nécropoles où ils avaient été déposés.
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Il aurait semblé à un observateur superficiel que, malgré les chasses, malgré les sacrifices, malgré le vaste usage du bois dans la construction des maisons comme des navires, les espèces animales et les essences sylvaines pouvaient compter sur un avenir indéfiniment prospère.
Toutefois, déjà à cette époque relativement lointaine, l’homme était devenu “le seul mammifère dont l’accroissement numérique ne cesse pas”1. En d’autres termes, l’équilibre qui avait si longtemps été maintenu entre toutes les espèces vivantes, y compris l’homme, était — et cela depuis quelques siècles déjà, — rompu en faveur de ce dernier.
Il est pour le moins curieux de noter que cette expansion, lente encore, peut-être, mais désormais inexorable, du mammifère à deux pattes, commence, selon l’estimation des chercheurs, “autour de quatre mille ans avant l’ère chrétienne”2, c’est-à-dire, selon la tradition hindoue, quelques siècles avant le début de l’Age Sombre, ou Kali Yuga, dans lequel nous vivons. Il n’y a là rien d’étonnant. Le “Kali yuga” est, par excellence, l’âge de l’universelle et irrémédiable décadence, — ou plutôt, l’âge au cours duquel l’irrémédiable décadence, imperceptible à l’aube du cycle, puis, relativement lente, s’accélère, jusqu’à devenir, à la fin, vertigineuse. C’est l’âge au cours duquel on assiste de plus en plus au renversement des valeurs éternelles dans la vie des peuples, et dans celle de la majorité croissante des individus, et à la persécution, toujours plus acharnée (et plus efficace, hélas !), des êtres qui vivent et veulent continuer de vivre selon ces valeurs de l’élite humaine, — des élites de toutes les civilisations traditionnelles, qui, originellement, sont toujours des élites biologiques, — et du monde animal et végétal tout entier.
C’est l’âge où, contrairement à l’ordre primitif, la quantité a, de plus en plus, préséance sur la qualité ; où l’Aryen digne de ce nom recule devant les masses des races inférieures, de plus en plus nombreuses, compactes, et uniforménient barbouillées d’instruction obligatoire. C’est l’âge aussi, où d’autre part, le
1. . . . “der einzige Säuger, der sich in ständiger Vermehrung befindet”, (“Tier”, onzième année, No. 5, page 44. Article : “Die Uberbevölkerung droht als nahe Weltkatastrophe”)
2. Revue “Tier”, onzième année, No. 5, page 44. Article : “Die Überbevölkerung droht als nahe Weltkatastrophe”.
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roi des animaux et, avec lui, tous les aristocrates de la jungle, reculent devant l’homme moyen (et moins que moyen), — moins beau qu’eux, moins fort qu’eux ; décidément plus loin de l’archétype parfait de son espèce, qu’ils ne le sont, eux, de celui de la leur.
Ce n’est pas le triomphe de l’homme au sens où nous entendons ce mot ; de cet “homme-dieu” dont il est parfois question dans certains propos d’Adolf Hitler, tel que Rauschning les a rapportés. Cet homme-là est mort, le plus souvent sous l’uniforme de la S.S. sur tous les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, ou dans les cachots des vainqueurs de 1945, ou pendu à leurs potences. S’il survit exceptionnellement, — ou si, né après le désastre, il respire parmi nous, orné de jeunesse, — c’est dans la plus stricte clandestinité. Il vit dans un monde qui n’est pas le sien, et qui, il le sait, ne le deviendra jamais, du moins jusqu’au jour où l’Empereur endormi — Celui-qui-revient-d’âge-en-âge, — sortira définitivement de l’ombre où Il attend, et rebâtira le visible à l’image de l’éternel. Jusqu’à ce jour-là le surhomme, ou du moins le candidat à la surhumanité, sait qu’il est et demeurera “le vaincu” : — celui qui n’a de place nulle part; celui dont l’action reste inutile, si héroïque qu’elle soit.
L’homme qui règne aujourd’hui — le vainqueur de 1945 et, avant lui et avec lui, le vainqueur dans tous les conflits décisifs d’idées d’importance vraiment mondiale, — c’est l’homme-insecte. Innombrable, et de plus en plus uniforme, banal, malgré toutes les contorsions qu’il peut faire, individuellement, pour se donner l’air “original”, et se croire tel ; irrésistible par la seule poussée de son pullulement sans limites, il prend possession de la terre au dépens de tous les êtres qui ont relativement peu changé, alors qu’il se dégradait, lui, de plus en plus rapidement au cours de ce cycle, et particulièrement au cours de l’Age ténébreux.
Ce sont encore des vers de Leconte de Lisle, — ce nostalgique chanteur de toutes les beautés détruites par l’inexorable marche du Temps, — qui me reviennent à la mémoire quand je pense à “ce vermisseau plus faible que les herbes”1 de l’antique Forêt, mais fort de la toute-puissance de son intelligence vouée à l’œuvre de désintégration ; — à l’œuvre diabolique (“à rebours” de l’ordre idéal). Le poète s’adresse à la Forêt, qui semblait devoir durer toujours, et lui dit :
1. Leconte de Lisle, “La Forêt Vierge”, (“Poèmes Barbares”).
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“Pareil à un essaim de fourmis en voyage,
Qu’on écrase et qu’on brûle, et qui marche toujours,
Les flots t’apporteront le roi des derniers jours ;
Le destructeur des bois, l’homme au pâle visage.”1
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Paroles qui ne sont que trop vraies, avec cette restriction que, si le “Blanc” a en effet été, jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’impitoyable destructeur de la forêt, comme de la faune, — le massacreur de quarante millions de bisons en Amérique du Nord ; et celui qui a littéralement vidé l’Afrique du Nord et l’Asie antérieure de leurs lions, et l’Inde de la plupart de ses tigres et de ses léopards, le “Noir”, et le basané de toutes teintes, se sont, avec un sinistre enthousisme, empressés d’emboîter le pas, et de poursuivre, avec un acharnement de néophytes, la guerre de “l’homme” contre l’arbre et l’animal. Ils se sont mis au service du “Blanc” — pas nécessairement et pas toujours Aryen, — et ont cru ses mensonges, ont accepté son argent, et l’ont secondé dans l’œuvre de destruction. Ils ont tué pour lui les éléphants dont il trafiquait l’ivoire ; chassé ou trappé les grands félins, dont il voulait la magnifique peau. Et, tout pénétrés de l’anthropocentrisme nouvellement appris dans ses écoles, et tout fiers de posséder quelques-unes au moins de ses techniques, ils ont continué la boucherie après qu’il avait, lui, commencé à s’en lasser ; voire après qu’un remord tardif — ou un tardif éveil du sens de son propre intérêt — l’avait incité à “protéger” désormais les espèces menacées d’extinction. C’est toute l’humanité qui est coupable de l’usurpation du sol au dépens de la forêt et de ses anciens habitants ; toute, sauf les quelques individus ou groupes, toujours minoritaires, qui ont protesté là-contre, toute leur vie, et prouvé, par tout ce qu’ils ont dit, écrit ou fait, qu’ils avaient, dans cette guerre aussi odieuse qu’ancienne, et apparemment interminable, nettement pris position pour l’animal et pour l’arbre, contre l’homme, de quelque race qu’il soit.
A la racine de cette usurpation indéfinie il y a, sans doute, la technique, qui est, il faut bien l’avouer, une expression — la plus inférieure, certes, mais une expression quand même, — du génie aryen. Même à l’époque romaine, où les malheureux fauves étaient capturés par centaines et par
1. Leconte de Lisle, “Le Forêt Vierge”, (“Poèmes Barbares”).
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milliers, pour être envoyés, à plus ou moins brève échéance, à la mort dans les cirques, jamais le massacre de la faune africaine, asiatique (et européenne)1 n’a atteint les proportions qu’il était destiné à prendre à notre époque, et déjà au siècle dernier, grâce aux méthodes modernes de chasse, et en particulier aux armes à feu.
Mais la technique sous toutes ses formes, y compris celle-ci, ne s’est développée qu’en tant que solution avantageuse — parfois, que seule solution possible — de problèmes de survie de masses d’hommes de plus en plus compactes. Ce n’est qu’au-delà d’une certaine limite numérique que l’homme, de quelque race qu’il soit, devient un fléau pour tout ce qui vit sur la terre qu’il habite, et, s’il est d’une des races inférieures (généralement, hélas, les plus fécondes), un dangereux rival des races les plus nobles — une véritable peste, à tous les points de vue.
En même temps que le passage du poème cité plus haut, me vient à l’esprit le titre d’un livre publié en France il y a, quelques années : un cri d’alarme à l’idée de ce que sera, dans une génération ou deux, l’amplitude de l’expansion humaine à la surface de notre malheureuse planète : “Six milliards d’insectes”.
Six milliards d’insectes, c’est-à-dire six milliards de mammilières à deux pattes ayant de plus en plus les habitudes et la mentalité de la termitière, et . . . plus aucune, ou presque plus aucune, des belles bêtes qui ont orné la Terre depuis l’aube des temps ! Car il n’y a pas que les fauves que l’homme tue de sa main. Il y a ceux qu’il condamne à mort du seul fait qu’il leur enlève l’espace vital indispensable : la forêt, la savane, voire (dans le cas de ces petits demi-fauves que sont les chats), le banal “terrain vague”, où vivaient leurs proies coutumières.
Toute forêt, déracinée sans pitié au bulldozer, pour qu’on installe, sur le sol qu’elle occupait, une agglomération humaine, certainement moins belle qu’elle, et généralement de valeur culturelle à peu près nulle, est un hymne à la gloire de l’éternel qui disparait pour faire place à “des rires, des bruits
1. . . . et américaine. Il est impossible, ici, de ne pas faire allusion au massacre des phoques — en particulier des bébés-phoques — si atroce que nombre de nos contemporains eux-mêmes en ont été indignés.
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vils, des cris de désespoir”1. Bien plus : c’est un habitat volé aux nobles bêtes fauves, — ainsi qu’aux écureuils, aux oiseaux, aux reptiles, et autres formes de vie qui s’y perpétuaient toujours en parfait équilibre les unes par rapport aux autres. L’action qui la supprime au profit de l’homme — ce parasite insatiable, — est un crime contre la Mère universelle, dont le respect devrait être le premier devoir d’un vivant soi-disant “pensant”. Et il est presque consolant, pour ceux qui pensent vraiment, et ne sont pas particulièrement enamourés du mammifère à deux pattes, de voir que la Mère réagit parfois à cet outrage en se manifestant sous son aspect terrible. On installe un millier de familles sur l’emplacement aplani, desherbé, asphalté, arraché à la forêt. Et à la suivante saison des pluies, les arbres massacrés n’étant plus là pour retenir les eaux, de leurs puissantes racines, les fleuves débordent, entraînant, dans leur course furieuse, dix fois plus de gens de la région et de toutes les régions environnantes. L’usurpateur est puni. Mais cela ne lui apprend rien, hélas, car il se multiplie à une cadence vertigineuse, la technique étant là pour contrecarrer la sélection naturelle et empêcher l’élimination des malades et des faibles. Et il continuera de déboiser, pour subsister aux dépens des autres êtres.
Mais les fauves, les oiseaux de proie, et en général les bêtes qui vivent libres, ne sont pas les seules victimes de l’expansion indéfinie de l’homme. Le nombre des animaux domestiques lui-même, — sauf celui des représentants de ces espèces que l’homme élève spécialement pour les tuer et les manger, ou pour les exploiter d’une façon ou de l’autre — diminue rapidement. La maudite technique, en modifiant la Nie de l’homme dans les pays fortement mécanisés, et en enlevant au pullulement humain la salutaire restriction que lui opposaient encore, il y a quelques décades, les épidémies périodiques, est à la base de ce résultat.
Je me souviens avec nostalgie des beaux chats qui abondaient, il y a plus d’un demi-siècle, dans les rues et les maisons de la bonne ville de Lyon où je suis née, et où j’ai grandi. Rares étaient alors les magasins où l’on ne voyait pas l’un de ces félins assis à la porte, ou confortablement étendu
1. Leconte de Lisle, “Là Forêt Vierge”, (“Poèmes Barbares”).
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sur le comptoir, ou roulé en boule dans “son” panier, quelque part dans un coin, — bien nourri, aimé, confiant, prêt à se laisser caresser par l’enfant que j’étais. Rares étaient les familles où l’on n’en voyait pas un, — à moins qu’il n’y eût à sa place un chien, lui aussi aimé, choyé, heureux (en général). La plupart des citadins n’avaient pas, alors, de vacances ; certainement pas de vacances payées. Et les quelques uns qui, peut-être, en avaient, ne se croyaient pas tous obligés de les passer hors de chez eux. Ou, s’ils devaient s’absenter, un membre au moins de la famille demeurait pour s’occuper de la ou des bêtes ; ou une voisine, qui ne quittait pas la ville, ou une concierge complaisante, s’en chargeait. Mes parents avaient un chat dès avant ma naissance. Et aussi loin que je puisse me souvenir, je me revois en train de passer la main avec délice dans une fourrure soyeuse, chaude et ronronnante, tandis qu’une belle tête de velours se frottait contre moi, et que deux yeux d’ambre, à demi-clos, me regardaient avec un abandon total.
Aujourd’hui, dans la même ville et dans tant et tant d’autres, de plus en plus rares sont les enfants qui grandissent en la compagnie quotidienne d’animaux domestiques aimés, chiens ou chats. C’est que la question se pose : “Que ferait-on de ceux-ci au moment des indispensables vacances ? Et que ferait-on d’eux au cas où il faudrait changer d’immeuble et où on ne serait pas autorisé à avoir des bêtes dans le nouvel appartement ?”. On ne conçoit plus une vie entière passée dans la même maison, sans vacances annuelles, sans voyages, sans changements. On se passe de bêtes familières plutôt que de randonnées en voiture. Peu de gens renoncent à tout déplacement par amour pour les animaux qu’ils ont pris sous leur protection1, au cas où ils ne peuvent les emmener et où ils ne trouvent personne sur qui ils puissent compter pour s’en occuper. Par contre, à l’époque de la ruée annuelle des vacanciers hors des villes, on rencontre dans les rues, le long des routes, et jusque dans les bois (parfois attachées aux troncs d’arbres, et destinées de ce fait à mourir lentement de soif et de faim)2, des bêtes abandonnées ; des bêtes qui, dans leur innocence, avaient fait confiance à des hommes et leur avaient
1. J’en connais cependant quelques-uns qui l’ont fait.
2. On a découvert, il y a peu d’années, plusieurs milliers de chiens ainsi abandonnés dans la forêt de Fontainebleau.
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donné un amour sans conditions, et que ces mêmes hommes avaient, pour quelque temps, paru aimer : qu’ils avaient nourries et choyées, — et qu’ils ont, finalement, jetées d’un coup de pied hors de leur voiture, pour s’en aller, d’un cœur léger, sans responsabilités, sans “embarras”, jouir de leur congé ; en fait, qu’ils n’avaient jamais aimées.
S’il existe une Justice immanente, il est à souhaiter que de tels gens crèvent de faim et de soif, abandonnés, reniés de tous ceux en l’affection de qui ils croient, sur quelqu’île déserte ou au fond d’un cachot. Ils sont, parfois, punis d’une façon inattendue, tels cet homme et cette femme dont le Journal de la Société Protectrice des animaux de Lyon a relaté le châtiment, sans toutefois publier leur nom. Parents d’un garçonnet de six ans, ils avaient, malgré les pleurs et les supplications de cet enfant, poussé hors de la portière de leur voiture le chien qui leur avait, lui, voué tout son amour, puis étaient repartis à toute vitesse, étaient arrivés à leur lieu de villégiature, s’étaient installés à l’hôtel et endormis sans remord. Mais la sereine Justice veillait. Le lendemain, les deux êtres indignes trouvèrent leur fils unique mort, dans une mare de sang il s’était ouvert les veines avec la “gilette” de son père. Sur la table de nuit ils trouvèrent, écrits de sa main d’enfant, quelques mots : son verdict contre eux et contre tous ceux qui leur ressemblent; de quoi se souvenir jour et nuit, le restant de leur vie : “Papa et maman sont des monstres. Je ne peux pas vivre avec des monstres !”.
Cet acte d’héroïsme d’un tout jeune enfant n’a pas pu, hélas, rendre à la malheureuse bête le foyer perdu. Mais il garde une valeur de symbole. Il proclame, dans sa tragique simplicité, que, dans ce monde de l’Age Sombre touchant presque à sa fin, où tout appartient à l’homme, et où l’homme, appartient de plus en plus aux Forces de l’abîme, il vaut mieux mourir que naître. Il s’apparente, en son essence, et en dépit des circonstances entièrement différentes qui l’ont provoqué, à tous les suicides glorieux motivés par un intense dégoût du milieu naguère encore respecté sinon admiré, à la brusque révélation de sa vilenie véritable, car toute vilenie, — en particulier toute trahison, — est lâcheté. Il s’apparente à tous les actes similaires d’héroïsme — suicides ou, parfois, meurtres demandant plus de désespoir encore que le suicide, — motivés par la
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conscience que l’avenir inévitable, conséquence du présent, ne peut être qu’un enfer (je pense, en particulier, aux paroles que la sublime Magda Goebbels adressait à l’aviatrice Hanna Reitsch, quelques jours avant de donner à ses six enfants le sommifère et puis, le poison, qui devaient leur éviter de connaître l’horreur de l’après-guerre : “Ils croient au Führer et au Reich”, avait-elle dit. “Quand ceux-ci ne seront plus, ils n’auront de place nulle part dans le monde. Que le Ciel me donne la force de les tuer !”. Dans le monde que le Führer avait rêvé, la lâcheté — et surtout la lâcheté de la part de gens de race aryenne, — serait devenue impensable. Le garçonnet dont j’ai rappelé la mort y aurait été, lui, à son aise, car il ne demandait qu’à vivre au milieu de gens aussi nobles que lui (et sans doute que ses ancêtres). Il aurait sûrement senti, dans le Défenseur des valeurs éternelles — comme lui ami des bêtes, et surtout des chiens, — un chef digne de son allégeance totale. Mais la dernière tentative de redressement avait échoué, quinze ans avant sa naissance. Le monde présent, le monde d’après-guerre, se révélait à lui en la personne de ses abominables parents. Car ce ne sont pas seulement ceux qui ont cru et croient encore “au Führer et au Reich”, mais tous les caractères “bons et braves”, tous les Aryens dignes de ce nom, qui n’y ont aucune place, et qu’on y rencontre — comme cela était à prévoir, — de moins en moins.
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D’autre part, le vieux lien d’affection qui liait si souvent, autrefois, l’homme à son cheval, ou à son bœuf de labour, — son fidèle compagnon de travail — existe de moins en moins. Le paysan français dont Pierre Dupont, il n’y a pas tellement longtemps, chantait l’attachement à ses bœufs1, se sert maintenant d’un tracteur. Le paysan européen ou bien l’a précédé, ou bien le suit, dans ce “progrès”. Le laboureur des pays “sous-développés” le suivra tôt ou tard, grâce à l’aide technique des U.S.A. ou de l’Union Soviétique, et à une propagande intensive. Le bœuf sera de moins en moins utilisé, . . . sinon comme bête de boucherie. Le cheval aussi, — hélas !
Certes, le “bon vieux temps” admettait bien des cruautés.
1. On se souvient de la chanson bien connue : “J’ai deux grands bœufs dans mon étable, deux grands bœufs blancs, marqués de roux . . .”
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Je me souviens clairement de l’indignation (et de la haine de l’homme) qui me soulevaient, enfant, à la vue de la brutalité de certains charretiers, tant en ville qu’à la campagne. Et la vénérable Antiquité, — y compris l’Antiquité égyptienne, la plus douce, avec celle des Indes, — nous a laissé quelques exemples de scènes qui n’ont rien à envier à celles qui, entre 1910 et 1920, provoquaient, en même temps que mon impuissante colère, l’intervention, verbale et, souvent aussi légale de ma mère. Entre autres images de la vie quotidienne qui s’étalent sur les murs d’un tombeau égyptien du vingt-huitième siècle avant Jésus-Christ, il y en a une qui représente un homme entrain de rouer de coups un malheureux âne qui, ses longues oreilles aplaties en arrière, ses grands yeux pleins de terreur, semble le supplier. Le vingt-huitième siècle, c’était déjà l’Age Sombre, malgré toute la science qu’impliquait alors, chez l’élite, la construction, encore toute récente, des Pyramides de Gizeh.
J’ai, plus haut, fait allusion aux chasses de l’Antiquité et aux jeux sanglants dans les cirques romains, ainsi qu’à la vivisection pratiquée (que je sache) dès le sixième siècle avant l’ère chrétienne, sous l’incitation de la “curiosité scientifique” de certains Grecs. Et le monde n’a fait, dans l’ensemble, tout au long de ce cycle (comme de tout cycle) qu’aller de mal en pis. On pourrait, en dehors de la grande misère des ânes et des chiens dans les pays d’Orient, et en particulier dans les pays musulmans, — misère qui dure encore — évoquer l’horrible traitement infligé aux chats, et spécialement aux chats noirs, en Europe occidentale, au Moyen-Age et jusqu’au dix-huitième ou même dix-neuvième siècle, — longue pratique d’abominations sans nom1, dont l’effet dans l’invisible a été, peut-être, de rendre le continent, collectivement responsable, indigne de tout “redressement” au cours de ce cycle, — en particulier, indigne de l’Hitlérisme, qui aurait pu en retarder, de quelques décades, la dégénérescence. On pourrait aussi rappeler la recrudescence de la vivisection, qui coïncide avec le renouveau de l’intérêt porté aux sciences expérimentales, dès le seizième, et surtout au dix-septième et au dix-huitième siècles et depuis. Le malheur a voulu que cette infamie, qui a pris, au siècle
1. Voir les livres du Docteur Fernand Méry, “Sa Majesté le Chat” et “Le Chat”, dans lesquels il est rappelé que les malheureux animaux dits “diaboliques” étaient “crucifiés, écorchés vifs, jetés hurlants dans les brasiers”.
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dernier et de nos jours, des proportions effrayantes chez les peuples pourris d’anthropocentrisme tant chrétien que rationaliste, se répandît, précisément en même temps que cette attitude anthropocentrique, dans tous les pays colonisés politiquement ou moralement (ou des deux manières) par l’Occident européen ou américain, c’est-à-dire, s’étendit pratiquement à la terre entière.
Pour ne citer qu’un exemple, mais des plus significatifs, le Gouvernement indien, — démocratique et humanitaire, comme se doit dans le monde que dominent les vainqueurs de 1945, — a, durant ces dernières années, encouragé l’exportation de milliers de singes, sachant pleinement que ceux-ci seraient soumis à des expériences criminelles (qu’il tenait, lui, sans doute, pour “louables”, puisque faites “dans l’intërêt de la science”, donc, de “l’homme”).
Et sur le sol même des Indes, depuis la dite “indépendance du pays comme du temps des Anglais, existent et de multiplient les divers centres de recherches, en particulier de recherches contre le cancer, dans les laboratoires desquels ont lieu les mêmes horreurs que dans ceux de Paris, de Londres, de Chicago ou de Moscou. Et dans les grandes villes, les chiens errants, considérés comme “inutiles” par les néophytes de l’anthropocentrisme meurent dans des souffrances atroces, systématiquement empoisonnés à la strychnine, comme j’en ai vu mourir en Grèce en 1970.1 (et que dire du traitement des chiens de Constantinople, ramassés le plus brutalement du monde — au lasso ; à la pince — et jetés sur une île déserte de la mer de Marmara, pour y mourir de faim et de soif, par ordre du Gouvernement “Jeune Turc” quelques mois après l’accession de celui-ci au pouvoir, en 1908 ?).2
Toutefois, malgré toutes ces horreurs et beaucoup d’autres, il existait encore, il y a quelques décades, un lien très puissant entre nombre d’êtres humains et leurs bêtes domestiques chiens ou chats (en Europe occidentale, au début de ce siècle) ; chevaux de guerre ou de trait ; bœufs et buffles de labour.
1. Maintenant, en 1976, les chiens de Delhi sans collier ni médaille sont électrocutés — ou envoyés à la “All India Institute of medical sciences” pour y servir d’objets d’expérimentation. La municipalité en a ainsi cette année supprimé plus de trente mille.
2. Il est intéressant de rappeler que les trois principaux membres du gouvernement “Jeune Turc” — Enver Pasha, Talat Pasha, et Essad Pasha, — étaient trois Juifs d’origine dont les familles avaient été “converties” à l’Islam.
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L’attachement de l’Arabe à son cheval ou à son chameau était proverbial. La mécanisation progressive du monde est maintenant entrain de briser ce lien, dans tous les pays.
A mon retour aux Indes en 1971, cela a été pour moi une grande joie que de revoir, dans la campagne inondée de pluie de mousson, tant de bons gros buffles, bien nourris, plongés avec délice jusqu’au museau dans les innombrables étangs, et ruminant paisiblement.
Il y en avait, et il y en a encore, des milliers. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que, — comme ailleurs les chevaux et les bœufs, — les tracteurs les remplacent. Et les tracteurs les remplaceront infailliblement, si des étendues de plus en plus vastes de terre fertile doivent être, — aux Indes comme partout dépouillées de leurs forêts pour nourrir une population dont le nombre monte en flèche — double tous les trente ans.
Le pullulement de l’homme est, comme je l’ai réputé, à la racine de la mécanisation de la vie, — processus impensable, parce que parfaitement superflu, chez une population aussi peu dense qu’elle l’était il y a quelques millénaires encore. D’autre part, la technique médicale, mise au service de l’anthropocentrisme envahissant, contribue de plus en plus au pullulement de l’homme en agissant contre la sélection naturelle. C’est un cercle vicieux, qu’il faudrait à tout prix briser. Nous étions et nous sommes, nous, les racistes aryens, les fervents d’Adolf Hitler, les seuls êtres humains à vouloir sérieusement le briser en redonnant libre cours à la sélection naturelle salvatrice. Mais la “vingt-cinquième heure” ayant apparemment déjà sonné bien des années, sinon des siècles, avant 1933, nous n’avons pas pu garder le pouvoir en gagnant la guerre.
Et le processus d’avilissement graduel de l’homme, en même temps que d’extermination des plus nobles bêtes et de destruction des forêts, — le processus de désécration et d’enlaidissement de la Terre, — continue. Il ne peut que continuer, vue l’attitude mentale des hommes actuellement au pouvoir.
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